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Billet de blog 19 avril 2020

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Russie, autisme : 46 associations contre un projet de recommandations cliniques

Elles − les associations, des associations de parents et de professionnels − veulent éviter la prescription banalisée de neuroleptiques.

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J’ai plusieurs fois écrit que la société russe était sensible à la question du handicap, et  montrait une volonté collective de mieux le prendre en charge, en particulier pour les enfants. Et notamment à l’égard des enfants autistes. Pour eux, peut-être parce que ce handicap était plus mal compris que d’autres, les retards sont importants. 

Fin 2018, selon le ministère de la santé, 31 685 enfants avaient eu un diagnostic d'un trouble du spectre autistique. C’est peu, 0,1 % de la population infantile, alors que la prévalence habituelle de l’autisme devrait conduire à un chiffre 10 fois supérieur. 4 713 enfants ont été diagnostiqués dans l’année, c’est peu aussi, mais c’est plus que l’année précédente, où seulement 2600 l’avaient été. Il y donc un progrès tangible. Je ne connais pas le chiffre 2019, sans doute entre supérieur, il aurait du être publié le 2 avril dernier, pour la journée mondiale de sensibilisation à l'autisme, mais le Covid-19 a tout balayé. 

Un autre problème est bien sûr le manque de structures qui puissent accompagner les enfants et leurs parents. Il s’en est créé, sur l’initiative souvent de ces derniers. La sensibilité des professionnels et des travailleurs sociaux à la question de l’autisme est forte, leur volonté de s’approprier l’expérience étrangère aussi, cela s’est vue dans des rencontres auxquelles des experts français ont participé, celle-ci ou celle-là, par exemple.

Des progrès, donc, certainement. L’un d’entre eux a été la création en octobre 2020 de l’Association des psychiatres et des psychologues pour une pratique fondée sur des preuves, et la publication par celle-ci en février 2020 d’un projet de recommandations cliniques sur les troubles du spectre autistique à l’intention des médecins (même lien, son texte est après la présentation de l’association). Autant que je puisse en juger, elle fournit des informations claires, construites, et semble-t-il pertinentes. Les recommandations ont été travaillées avec l’association Autisme-Régions (Аутизм-Регионы), une des associations de parents et de professionnels. 

Mais en avril, un autre projet de recommandations a été rendu public, par la Société russe des psychiatres (Российское общество психиатров), héritière depuis 1908 de la tradition psychiatrique russe, puis soviétique, puis russe. Ce projet a été élaboré avec l’appui des deux médecins conseils pédopsychiatres du ministère fédéral de la santé et du district fédéral central, les experts, donc, les plus capés de ce sujet.

Selon Autisme-Régions, ces secondes recommandations constituent un retour un arrière, et ne prennent pas en compte les progrès scientifiques et cliniques dans la prise en charge des TSA. Elles préconiseraient l’administration massive et sans justification de neuroleptiques.

La question de la prescription des neuroleptiques aux personnes autistes est bien sûr complexe. S’agissant de la France, pour y faire un détour, on peut lire dans le rapport Schovanec la dénonciation « d'un principe de précaution dévoyé qui amène nombre de psychiatres à prescrire systématiquement des neuroleptiques à tous les hommes jeunes qui les consultent, ce afin  […] d'anticiper d'éventuels actes violents ou de possibles critiques envers le professionnel ne les ayant pas prévus et empêchés ». Une étude de 2017 conclut que « la prévalence des sujets avec autisme ayant reçu ou conservant un traitement pose question, étant donné le peu de preuves de leur efficacité et leurs effets indésirables conséquents ».

Mais en Russie, le risque d’excès est probablement plus général et plus important, et la déléguée aux droits de l'homme auprès du président de la Fédération de Russie s’est elle-même émue en 2017 de l’usage qui était fait des psychotropes dans les internats psycho-neurologiques russes, là où sont hébergés des adultes souffrant d’un handicap mental ou de déficience intellectuelle. Les recommandations cliniques du ministère de la santé doivent faire obstacle à cette utilisation abusive, et non la légitimer.

46 associations ont ainsi écrit à la vice-première ministre Tatiana Golikova pour lui demander d’écarter ce texte, fondé sur une approche obsolète et dangereuse. Espérons qu'elles seront suivies. 

Tass (2 avril 2019) - ASI (17 avril 2020) 

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