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Billet de blog 20 décembre 2019

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Repas chauds, réhabilitation, test du VIH : l’action d’une fondation orthodoxe russe

Le site internet www.spid.centr a publié un reportage sur Diakonia, une fondation orthodoxe qui accompagne des sans abris dépendants à l'alcool ou aux drogues à Saint-Pétersbourg. Le modèle Minnesota ou la réduction des risques face à la violence sociale ?

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SPID.Tsentr, en russe СПИД.Центр, est un fonds créé en 2016 par le journaliste et présentateur de télévision russe Anton Krassovski et la cheffe du service de consultations externes du Centre de prévention et de lutte contre le SIDA de l'oblast de Moscou, Elena Orlova-Morozova. Son objectif est d'aider les personnes vivant avec le VIH et de lutter contre la discrimination. Il administre un site internet, www.spid.center, qui relaie une information objective et de qualité sur le sida en Russie. Un long article de Nastia Dmitrievna y présente l’action à Saint Pétersbourg d’une fondation orthodoxe, Diakonia, en faveur de sans abris, pour partie alcooliques ou toxicomanes, pour partie séropositifs, à Saint-Pétersbourg. J’en reprends une partie dans ce billet. 

Diakonia aide depuis plus de dix ans des personnes marginalisées et sans abri. Elle gère également un centre de réadaptation pour les alcooliques et les toxicomanes à Sologoubovka, à une heure et demie de voiture de Saint-Péterbourg, et procède également au dépistage du VIH. Le reportage de Nastia Dmitrievna, fait d’images, de courts portraits, des accompagnants surtout, et d’échanges, aborde successivement ces trois activités. 

Ce qui est dit des repas ne surprendra pas le lecteur français, même s’il y a des différences avec la façon dont les associations françaises interviennent. Un petit bus aménagé à cette fin, avec un guichet. Une queue sous la pluie d’une trentaine de personnes, hommes, femmes et enfants des rues, certaines venant de loin. Soupe chaude, thé et pain, ensuite un yaourt. Cinq distributions de repas par semaine. 

En arrière plan, deux mentions qui reviendront dans l’article : d’abord, la violence, récurrente dans la vie des personnes, présentée aussi comme possible lors des distributions : il y a eu des rixes, le chauffeur aurait une ligne directe pour appeler la milice ; ensuite le fait qu’une grande partie des intervenants de Diakonia est constitué d’anciens marginaux et d’anciens toxicomanes, et qu’ils parlent de pair à pair avec ceux qu'ils accompagnent.

Illustration 1
Centre de réhabilitation et église de Sologoubovka © Diakonia

Le centre de réadaptation de Sologoubovka est dans un bâtiment accolé à l’église, elle-même à distance du village. Il accueillait 14 personnes au moment du reportage. Il faut être enregistré comme résident de la Fédération de Russie pour y entrer (j’espère avoir une occasion de consacrer un billet à cette procédure d’enregistrement, et à ses conséquences pour l’action sociale et l'organisation des soins en Russie), et ne pas être atteint par la tuberculose et la syphilis. Le séjour est de six mois. Les personnes hébergées peuvent quitter le centre à tout moment.

La réadaptation consiste en un suivi par un psychologue, des réunions de groupes, des conférences, des travaux pour la collectivité et la participation à l’activité de Diakonia (distribution des repas, test VIH, aide aux familles nécessiteuses), les services religieux, ouverts aux non-croyants, et des devoirs écrits, à partager avec le groupe : par exemple, souvenez-vous de vingt fois où vous avez eu honte dans votre vie. Elle reprend le modèle Minnesota. Pour les conseillers, le travail est tendu, et difficile, et parfois le dialogue est dur à établir. Pour les résidents aussi, selon l’un d’entre eux, c’est une succession d’épreuves, de tâches un peu imposées et de confrontations avec soi-même. Mais avec la volonté instillée de faire à la sortie « quelque chose de valable ».

Illustration 2
Camion de dépistage de Diacona © Diakonia

Le bus de dépistage du VIH propose des tests gratuits, mais n’échange pas de seringues et ne distribue pas de préservatifs, sauf, pour ces derniers, quand les personnes dépistées en demandent. Diakonia souligne que c’est pour prévenir la transmission du VIH, et non comme moyen de contraception, et indique également qu’elle ne fait pas de prosélytisme, mais est prête à engager la discussion sur des questions spirituelles. 

En cas de dépistage positif, les deux messages passés sont que la personne séropositive n’est pas seule - vous pouvez trouver de l’aide - et qu’elle doit s’adresser au centre sida - voici l’adresse. 

Cette approche réductrice du dépistage - il s’agit bien de cela, quel que soit l’engagement de Diakonia - et de la prévention de l’infection par le VIH fait ensuite l’objet d’un échange entre la journaliste et la directrice générale du fonds, Ielena Rydalevskaïa.

Celle-ci dit aller jusqu’au bout de la logique du modèle Minnesota, en ayant comme intervenants des personnes qui ont connu l’addiction ou la marginalité. Parce qu’ils en ont l’expérience, parce ils ont aussi pu guérir de leur addiction, ils peuvent partager leur expérience et apporter un soutien bienveillant. La prise en charge des toxicomanes par les institutions de la ville est selon elle, au contraire, agressive, violente et les prive de leurs droits, notamment parentaux. 

Elle se refuse à mettre en oeuvre des actions de réduction des risques, d’abord parce qu’elles sont interdites en Russie (ce qui est faux en droit pour l’échange de seringues, vrai pour les traitements de substitution, la méthadone est considérée comme une drogue), et aussi et surtout parce qu’elle considère que son pays n’est assez mûr pour mettre en oeuvre de telles actions : « si nous avions un système de prise en charge des toxicomanes où toutes les institutions travaillaient ensemble et de façon transversale, si nous savions faire de la prévention pour tous et de façon pertinente, si les gens avaient la possibilité d’évoluer socialement et de se réaliser, alors nous pourrions avoir aussi des thérapies de substitution. Mais c’est pour le moment un conte de fée ».

Faut-il croire Ielena Rydalevskaïa ?

La Russie ne peut-elle pas aller plus loin dans la prévention, elle dont les associations savent probablement mieux faire du pair au pair que les nôtres ?

C’est à la société civile russe, à son système de santé aussi, de répondre à cette question. Retenons, nous français, l’obligation impérative de défendre chez nous et de développer un modèle d'action sociale et sanitaire qui nous a permis d’aller au moins un peu plus loin. 

spid.center

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