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Billet de blog 29 septembre 2021

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Russie : Jean Valjean à la Cour suprême

Un arrêt de la Cour suprême de la fédération de Russie exclurait la prison ferme pour les délits mineurs commis par des personnes sans moyens de subsistance

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Sans aller jusqu’au franco-centrisme du titre de mon billet — mais Les Misérables sont un roman lu en Russie — une grande partie de la presse russe a commenté un arrêt de Cour suprême de la fédération de Russie, cassant un jugement du tribunal municipal de Donetsk (une ville russe de 50 000 habitants de l’oblast de Rostov, et non la Donetsk ukrainienne, ancienne Aleksandrovka puis Stalino, dont nous entendons plus souvent parler), en se fondant sur la pauvreté du condamné.

Illustration 1
Gustave Brion, Le Vol de Jean Valjean, illustration pour Les Misérables, 1866 © Domaine public

Précisons l’espèce, en espérant qu’elle fasse bien jurisprudence. Le tribunal avait condamné pour contrebande un habitant de la région. Travaillant comme docker pour 8000 roubles par mois [88 euros], il avait perdu son emploi, et dans une situation financière difficile, avec des enfants malades, des parents âgés à charge et une femme ne travaillant pas, il s’était vu proposer par un ami de rapporter des cigarettes d’Ukraine moyennant rétribution. Ce qui lui avait avait valu d’être condamné à trois ans de colonie pénitentiaire, une peine sévère, un peu comme l’étaient cinq ans de bagne pour le vol d’un pain.

La Cour suprême a estimé que, si la commission du délit était établie, le tribunal n’avait pas pris en considération les circonstances dans lesquelles la loi avait été enfreinte, ni la personnalité du condamné. Outre les points évoqués plus haut, elle a relevé que le tribunal aurait dû préciser pour quels motifs il prononçait une condamnation à la prison ferme plutôt qu’une condamnation avec sursis, et pourquoi cette dernière n’était pas une mesure de correction et de rééducation suffisante.

Elle a donc décidé d’appliquer le sursis, « compte tenu des circonstances indiquant que le prévenu avait commis le délit en raison d'une situation financière difficile, que les objets de contrebande lui avaient été confisqués, qu'il avait plaidé coupable et exprimé des remords, et également de l'ensemble des circonstances atténuantes, dont les conditions de vie de sa famille, ayant besoin de son aide et de son soutien matériel ».

La presse russe a vu dans cet arrêt une exclusion des condamnations à la prison ferme pour les délits mineurs commis en raison de la pauvreté. Dans un commentaire, Olga Podoplelova, directrice du département juridique de Rous sidiachtchaïa, le fonds de défense des détenus que j’ai mentionné à plusieurs reprises dans ce blog, notamment dans ce billet, souligne que le taux de récidive dans les prisons russes est de 50 %. Elle indique « que beaucoup de ceux qui vont en prison perdent leurs liens familiaux et amicaux, leur logement et ne peuvent pas trouver de travail leur sortie. Il leur est plus souvent facile d’y retourner que de commencer une vie respectueuse de la loi ». Et enfin ajoute que la pauvreté est dans les faits un facteur qui augmente le risque d’être emprisonné, et craint que l’arrêt de la Cour ne reste une décision isolée.

RAPSI (9 septembre 2021) - RIA novosti (9 septembre 2021) - The insider (9 septembre 2021)

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