daniel gros (avatar)

daniel gros

Retraité. Ancien Cpe du Lycée de Mamoudzou. Référent de la Ligue des droits de l'homme à Mayotte.

Abonné·e de Mediapart

83 Billets

0 Édition

Billet de blog 2 décembre 2024

daniel gros (avatar)

daniel gros

Retraité. Ancien Cpe du Lycée de Mamoudzou. Référent de la Ligue des droits de l'homme à Mayotte.

Abonné·e de Mediapart

Mayotte, mettre à la rue inlassablement

[Rediffusion] Depuis le début de la mise en œuvre de la loi Elan à Mayotte, le préfet aura pris 40 arrêtés de démolition et détruit 35 quartiers, mettant à la rue plus de 12 000 habitants. Depuis ce matin, lundi 2 décembre, il procède au « décasage » d’un immense quartier de près de 4000 habitants, avec l’espoir que toutes ces gens quitteront l’ile invivable pour les Comores voisines.

daniel gros (avatar)

daniel gros

Retraité. Ancien Cpe du Lycée de Mamoudzou. Référent de la Ligue des droits de l'homme à Mayotte.

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Illustration 1
Mavadzani sur le départ, 29 novembre 2024 © daniel gros

Ce texte est illustré par trois portfolios.

Mavadzani menacé

Mavadzani sur le départ

Mavadzani déserté

Mayotte ne sait plus où elle vit. Dans l’archipel des Comores ? En Europe ? En France ? Le préfet semble encourager ses agents à l’illégalité. Combien de mères sont renvoyées à Anjouan, l’ile voisine, laissant leurs enfants en bas âge derrière elles, aux bons soins hasardeux de membres de la famille ou de voisins solidaires ! Bien que nées à Mayotte, bien que titulaires d’une carte de séjour hélas périmée du simple fait que le service de l’immigration de la préfecture est bloqué depuis le 14 octobre par des femmes activistes que la population a pris l’habitude de nommer les « mama wuambushu ». De ce côté-là non plus, le délégué du gouvernement ne se sent pas tenu de rétablir le droit et l’ordre et de garantir l’accès aux services publics. Personne ne veut s’en mêler. Ni la justice ni la police.

Alors jeunes filles et jeunes gens sont régulièrement interpellés sur le chemin de l’école et expédiés dans l’ile voisine sans le moindre examen de leur situation. De nombreux jeunes gens, à peine sortis de l’enfance, sont exilés dans un pays inconnu. Ils quittent Mayotte, l’ile où ils sont nés et ont grandi comme ils ont été attrapés, sans bagages, sans habit de rechange, sans argent ni papiers.  

Une routine qui ne choque plus personne, ni les fonctionnaires chargés de la mettre en œuvre, ni la population blasée des rudesses administratives. Car l’Etat à Mayotte ne connait que la brutalité contre les indésirables qualifiés du label inapproprié d’étrangers[1], mais plus justement marqués par la position qu’ils occupent dans l’espace socio-économique et le statut dégradé que cette position leur confère.

Voilà des décennies qu’une même politique répressive frappe les populations, mobilisant des dispositifs législatifs et policiers toujours plus renforcés. Une loi Asile de septembre 2018 qui dégrade le sacro-saint droit du sol, et une loi ELAN d’octobre de la même année qui permet au préfet de Mayotte – et à celui de la Guyane – de décider administrativement la destruction des lieux de vie informels et de jeter des milliers de gens à la rue et à Anjouan.

Depuis 2019, 40 arrêtés de démolition auront été publiés dans le Registre des actes administratifs mis en ligne sur le site de la préfecture de Mayotte, près de 3000 logements « indignes » auront été détruits et plus de 12 000 habitants délogés. Pour cette seule année 2024, le programme Wuambushu prévoit la destruction de 1000 logements. 

D’ores et déjà, six arrêtés de démolitions ont été exécutés dans diverses parties de l’ile, deux quartiers furent rasés dans la commune de Bandrele dans le sud, entrainant la destruction de 137 habitations et le délogement de 220 habitants selon la préfecture. Puis ce fut le tour d’un quartier de Doujani, dans la commune de Mamoudzou dont la destruction inaugura la période Mayotte Place Nette devant s’étendre sur 100 jours. Selon les sources, le nombre d’habitations visées dans ce quartier va de 175 cases en tôle dans les annexes de l’arrêté à 220 dans la presse locale et jusqu’à 250 dans le journal l’Humanité. Deux quartiers sur la commune de Sada, sur la côte ouest de Mayotte, où étaient installées 16 cases en tôle, furent rayés de la carte, et 18 habitations dans les environs du village de Handréma à l’extrême nord furent récemment démontées.

Les informations concernant les démolitions sont particulièrement partielles. Personne n’a intérêt à lever le voile sur ces opérations que ne surveille aucun observateur indépendant. Le rapport entre le nombre d’habitations recensées par les autorités et celui de la population délogée est étonnamment faible. Pour les deux quartiers de Hamouro par exemple, il est de deux occupants par logement, ce qui n’a aucun sens. A Doujani, l’administration n’a même pas pris la peine de compter les habitants.

Enfin sur Handréma, aucun habitant n’a été identifié. Sans doute, les services de la préfecture ne se sont-ils pas donné la peine de les chercher. Autre hypothèse plausible : dans sa volonté d’atteindre un objectif de mille destructions cette année 2024 décidé par le gouvernement, le préfet en serait réduit à inclure dans son bilan des cabanes de jardin à la campagne, tout en étant contraint par la pénurie de logements de sous-estimer le nombre d’habitants délogés. Dans les derniers mois, il a pris plusieurs arrêtés de réquisition des hébergements d’urgence afin de régler le problème de campement des demandeurs d’asile sur la voie publique.

L’Etat ne se donne pas les moyens de sa politique de résorption de l’habitat insalubre ou illégal quand il concentre toutes ses forces sur le régalien aux dépens du volet social. Aussi n’a-t-il d’autres choix que de mettre les populations à la rue malgré ses démentis publics. La seule obligation de la loi ELAN n’est jamais respectée, qui veut qu’une proposition de relogement ou d’hébergement adaptée à chaque habitant soit annexée à l’arrêté. Ce défaut a conduit le juge des référés à suspendre systématiquement les arrêtés lors des recours déposés par les habitants.

La bataille judiciaire fut âpre et abondamment chroniquée par les médias nationaux lors de l’opération de Talus 2.  L’intérêt à agir des associations qui accompagnaient les habitants fut contesté et surtout, le juge administratif s’est laissé convaincre de la bonne foi du préfet dans ses engagements à reloger les populations. Et n’a pas hésité à condamner à des amendes les familles requérantes pour recours abusifs.

A présent l’Etat a momentanément les mains libres, mais la répétition immodérée des « décasages » exerce une forte pression sur les populations condamnées à chercher un nouveau logement dans un marché locatif saturé. Tant que les personnes étrangères en situation régulière n’auront droit à aucune prestation sociale, ni allocations familiales, ni allocation logement, ni RSA, et que le marché de l’emploi ne fournira de travail qu’à 30% de la population en âge de travailler (15-65 ans), il sera vain d’espérer régler humainement ces opérations d’ampleur.  

Que se passe-t-il en réalité lors des programmes de démolitions des quartiers entre la notification d’un arrêté aux habitants et son exécution ?  L’observation du quartier de Mavadzani, sur la commune de Koungou, fournit de nombreux enseignements sur les astuces des services de la préfecture dans l’organisation des « décasages » et l’adresse des habitants à se tirer d’affaire dans un environnement réellement inhospitalier du fait de la rareté des ressources. Tant que n’auront pas été modifiées en parallèle les éligibilités des plus démunis aux droits sociaux ni programmée la construction de logements accessibles aux familles délogées, seules les personnes les plus dominées paieront la facture sociale de telles politiques.

Le lundi 2 décembre débute la démolition du quartier de Mavadzani qui s’étend au sud du village de Majicavo Koropa. Il est peuplé d’environ 500 familles et l’administration a dénombré 465 habitations « de fortune ». Le quartier avait déjà fait l’objet le 11 juillet 2022 d’un arrêté avorté qui stipulait dans son article 2 que « l’ensemble des immeubles/installation ou locaux […] sont déclarés insalubres et sont interdits à l’habitation et à toute utilisation ».

L’arrêté intimait alors aux propriétaires des parcelles « d’informer le préfet des offres de relogement définitif qu’ils ont faites aux occupants », dans un délai de trois mois ; « dans un délai de quatre mois […] reloger de manière définitive les occupants ; empêcher l’accès aux habitations au fur et à mesure de leur évacuation ; cesser la mise à disposition à titre d’habitation. Et enfin, « dans un délai de cinq mois […] démolir les habitations concernées par le périmètre[2] ».

L’arrêté a été notifié aux propriétaires des parcelles occupées, à leur charge de remplir les obligations de relogement et de destruction. L’arrêté restera lettre morte, aucun propriétaire n’étant en mesure de reloger des familles qu’ils avaient tolérées sur leurs friches. Comment en effet eussent-ils été en mesure de réaliser de telles obligations alors que la puissance de l’Etat s’en montre elle-même incapable ? Très efficace dans le volet destructeur des opérations qui ne nécessitent qu’armada policière et deniers publics, il faillit à toutes ses responsabilités lorsqu’il s’agit de la protection et la mise à l’abri des familles délogées.

L’arrêté du 11 juillet 2022, resté sans suite, inaugura un harcèlement périodique de la police municipale de Koungou envers les habitants du quartier, incités à quitter les lieux. Tout le monde a compris que le quartier était condamné à plus ou moins brève échéance. La visite de la première ministre le 8 décembre 2023 aux abords du village de bangas lança officiellement le processus.

Il fallut attendre le 3 septembre 2024 pour que le préfet publie dans le Recueil des actes administratifs de la préfecture de Mayotte l’arrêté de démolition « portant évacuation et démolition des constructions bâties illicitement au lieu-dit quartier Mavadzani, commune de Koungou[3] ».

Entre-temps, la partie haute du quartier avait été démontée et désertée, dévoilant un damier irrégulier de dalles et de céramiques mises à nu. (Voir Portofolio : Mavadzani déserté ».)  

Le dernier document en annexe de l’arrété indique que celui-ci a été notifié à 79 familles (sur les 170 identifiées dans le tableau) par les agents de la préfecture lors d’un unique passage le 29 mai 2024. A l’époque trois bangas avaient été démontés. Le tableau produit par les services de la préfecture dénombre 173 habitations numérotées en regard des occupants identifiés par le nom d’un ou des deux parents.  

Tout est très confus et les indications produites apportent peu d’informations sur la population du quartier.

Quant au rapport établi par l’Association d’aide aux victimes et à la condition féminine (ACFAV), missionné par la préfecture pour les enquêtes sociales préalable au relogement, il n’apporte aucune information supplémentaire sur les habitants. Il ne comporte qu’une série de tableaux sans texte explicatif. Une fois décortiqué, il apparait une liste de 102 familles, occupant 133 bangas numérotés, auxquelles aurait été proposé un logement dans différents lieux de l’ile. Le tableau est monté dans le plus grand désordre quelle que soit la colonne considérée. Rien n’est dit sur la composition des familles et il est impossible d’estimer la population totale concernée par la démolition.

D’ailleurs le rapport de gendarmerie ne s’embarrasse pas de scrupule : « ce quartier, note-t-il, est composé de plusieurs centaines de bangas, habitations en tôles ondulées. Il n’existe pas de recensement précis dans ce village vu la nature des constructions souvent illégales, et abritant des personnes en situation administrative irrégulière[4]. »

La loi prévoit un délai de cinq semaines entre la notification aux habitants et l’exécution de l’arrêté, ceci pour laisser aux occupants du quartier le temps d’un recours devant le tribunal administratif, de prendre toute disposition pour s’organiser et déménager et à l’Etat maître d’œuvre de reloger les habitants et de sécuriser les lieux.

Il se trouve qu’entre la notification de l’arrêté aux habitants et le jour de la démolition les gens ont été laissés sans information sur la conduite à tenir de sorte que nombreux sont ceux qui démontent leur case avant le jour fatidique et répugne à faire confiance à la parole de l’Etat sur sa promesse de relogement.

Ce texte se termine alors que la démolition est en cours, commencé ce matin à l’aube. Tout le week-end, les habitants cernés par des troupes de gendarmes venues en renfort depuis la métropole (150 recrues supplémentaires seraient arrivées la semaine précédente). Selon Mayotte la 1ère, 465 cases seront démolies, cela représente une population estimée entre 3500 et 4500 personnes[5]. »

____________________________________________________

[1] Les populations comoriennes de Mayotte comprennent les natifs de toutes les iles de l’archipel, quoi qu’en disent les promoteurs de Mayotte française. Les interactions sociales, familiales, économiques sont telles que la nationalité ne devient un opérateur de tri que pour la gouvernance depuis la métropole et les jeux et discours politiques des activistes.

[2] ARRETE N°2022-ARS-810 du 11 juillet 2022, Recueil des actes administratif de la préfecture de Mayotte.

[3] ARRETE N°2024-SG-702 du 2 septembre 2024 portant évacuation et destruction... Lien ici.

[4] Rapport de gendarmerie, annexé à l’arrêté. Voir note précédente.

[5] Raphaël Cann, « EN DIRECT. La démolition du bidonville de Mavadzani a débuté ce lundi matin à Mayotte », Mayotte la 1ère, le 2 décembre 2024. En ligne ici.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.