Fidèle au format des Chroniques, ce billet se décline en deux temps : le texte de l'auteur et à sa suite, le témoignage en deux temps d'une jeune étudiante et ceux de trois jeunes enfants âgés de moins de dix ans, tous délogés sur décision administrative.

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Tout n’a pas été dit au sujet de la politique de destruction des quartiers pauvres de Mayotte. Comment épuiser ce thème alors que le préfet lui-même s’est engagé à la suite de son prédécesseur dans un programme sans fin au rythme annoncé d’un arrêté de démolition par mois[1] ? Si rien ne retient son bras criminel, il continuera à duper la population, et à se duper lui-même quand il fait mine de mettre en œuvre une loi dont il détourne les principes fondamentaux. D’après ses propres déclarations, glanées dans ses communiqués de presse consécutifs aux opérations, seulement 154 personnes (une trentaine de familles) auraient été relogées en hébergement d’urgence[2] sur les 8200 habitants dont il a détruit les maisons depuis le début du programme en octobre 2020. Car enfin qui fera croire qu’un pouvoir, un parlement, des institutions de contrôle aient pu sans frémir rédiger un texte, et le valider, qui jette à la rue et à la ruine des milliers de gens ? Pourtant le masque reste bien accroché sur le visage du diable. Pour éviter la honte, nous admettons sans la vérifier l'excuse d’une politique de résorption de l’habitat insalubre et nous détournons les yeux du sort réservé aux habitants ruinés, sort dont personne ne se soucie de toute façon. L’accusation d’inhumanité[3] se retourne alors contre les rares consciences qui luttent pour contraindre l’État à respecter les lois qu’il édicte[4].
La population de Mayotte dans toutes ses composantes a pourtant droit à la protection de l’État, qu’elle soit française, étrangère en situation régulière ou non. Il s’agit d’un droit absolu. Aussi le législateur, lors de la rédaction de la loi ELAN, n’eût-il d’autres choix que d’inclure une clause de sauvegarde qui impose que soit annexé à l’arrêté de démolition « une proposition de logement ou d’hébergement d’urgence adaptée à chaque occupant ». Il est également prévu un délai d’un mois à compter de la notification de l’arrêté prolongé d’une semaine « si le propriétaire n’est pas l’occupant », pour « évacuer et démolir ».
Cette obligation n'est pas négociable. En principe donc, à l’arrivée des engins de chantier, les quartiers auraient dû être vidés de leurs occupants. Durant ce « préavis » si le souci des habitants avait prévalu, les administrations et les associations impliquées d’une manière ou d’une autre dans ces opérations auraient dû prendre en charge les habitants et les installer dans des logements « salubres ».
Que se passe-t-il en réalité dans le laps de cinq semaines entre la notification de l’arrêté et la démolition ? Les mieux lotis parviennent à mobiliser les ressources nécessaires au repli et à la sauvegarde de leur famille. Depuis un an que l’État mène sa danse infernale, toutes les familles ont appris à se méfier des promesses de relogement et de secours toujours illusoires. Les expériences antérieures ont chaque fois montré que, seule à l’œuvre en ces circonstances, la force brute de sa police les frappera sans pitié[5].

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Aussi, à Mramadoudou comme à Carabole[6], la grande majorité des habitants avaient déjà démonté leur maison et décampé le jour fatidique. Les photographies aériennes du même quartier à deux semaines d’intervalle confirment le sauve-qui-peut général (voir ci-dessus). Seules furent piégées sur place quelques femmes isolées, mères d’enfants en bas âge, incapables d’organiser un déplacement qui préserveraient les intérêts du ménage tout en assurant le quotidien. La présence d’un homme fait toute la différence, mari, compagnon ou enfant majeur en situation de négocier un lieu où déposer leurs biens et si possible remonter la maison.
Tous les habitants des quartiers condamnés à la destruction par arrêté préfectoral savaient des expériences antérieures qu’il ne dépend que d’eux-mêmes de se dégager de ce guêpier. Faute de fuir ils perdront assurément tous leurs biens. Huit familles furent finalement réduites en connaissance de cause à l’espoir absurde en un secours de l’État[7].
Tandis que les bulldozers grondaient en broyant les tôles et les charpentes des quelques cabanes encore debout, les mamans attendaient que les associations chargées de leur prise en charge arrivent sur les lieux.
Fallait-il donc attendre le rugissement des engins de chantier pour éloigner les familles et les installer dans le confort de leur nouvelle vie, puisqu’il ne s’agirait que de cela, d’amélioration de l’habitat ?
Fallait-il que les familles soient expulsées de leur logement par les forces de l’ordre et mises à l’écart du chantier de démolition pour des raisons de sécurité évidentes ? Fallait-il attendre le jour de l’exécution pour les mettre à l’abri ?
Fallait-il que les mères et les enfants assistent à la destruction et à la mise à feu de leur lieu de vie et de leurs biens qu’ils furent empêchés d’emporter ?
A aucun niveau de préparation[8], il n’est venu à personne l’idée d’épargner aux enfants le spectacle de guerre qui tout détruit et tout emporte. Tous assistent impuissants et démunis au saccage. Ce niveau de brutalité à leur encontre démontre que la sauvegarde des habitants ne fut jamais prise en considération. Cela confirme ce que l’histoire nous apprend avec obstination : qu’à l'existence des plus pauvres, il n’est attaché aucun prix. Ils sont de trop : il faut le leur faire savoir.
Parmi les familles clouées sur place, cinq furent amenées à refuser le logement proposé, éloigné à plus de cinquante kilomètres au nord de l’île dans les communes de M’Tsamboro, Acoua, Bandraboua. Ces familles ne trouvèrent pas d’autre alternative que le secours solidaire du voisinage avant d’être à même de se relever. Le sort réservé à leurs voisines plus dociles montre qu’elles ont probablement fait le bon choix. Parmi les trois familles qui acceptèrent la proposition, une seule fut installée dans un village de la commune de Chirongui, opportunité qui préservait la continuité scolaire des enfants et le réseau d’entraide.
Les deux familles restantes furent emportées sans autres bagages que des baluchons contenant un peu de linge dans une maison à Combani : une mère, accompagnée de deux enfants en bas âge s’est résignée à l’éloignement de son lieu de vie habituel, les enfants n'ayant pas atteint l'âge de l'obligation scolaire ; l’autre famille, composée d’une mère et de huit enfants subit la situation contrainte et forcée. Les trois ainés, une fille de 15 ans scolarisée en seconde au lycée de Chirongui, et deux cadets âgés de 11 et 12 ans scolarisés au collège de Tsimkoura ont été placés dans différentes familles pour partager les charges de sorte que la scolarité ne soit pas perturbée par les longs trajets de transport. Les cinq petits sont privés d’école. Et cela ne fait pas débat !
Puisque l’incroyable est sans limite, les deux familles ont été déposées dans la maison comme de vulgaires paquets : grande maison de quatre chambres sans literie ni meuble, sinon deux matelas de mousse simple posés à même le sol ; cuisine équipée d’une plaque vitrocéramique et d’un réfrigérateur mais sans la moindre casserole ni vaisselle ni couvert. Aucune chaise, aucune table. Rien de rien. Une voisine émue par la situation a prêté une marmite inadaptée au type de cuisson dans laquelle les mères préparent le riz et qu’elles déposent sur le sol (sans natte bien-sûr) et dans laquelle chacun prélève lors du repas partagé de ses doigts la part qui lui revient.
Qui s’interroge sur le sort de ces gens ruinés par décision administrative n’en croira ni ses yeux ni ses oreilles. Car personne à ce jour, un mois après les événements, n’a réussi à se relever de ce désastre[9].
Témoignages d'Atuya*, jeune femme de 20 ans, arrivée à Mayotte à l'âge de 10 ans, étudiante en licence de lettres à l'université de Dembéni, Mayotte. Cette jeune fille est en situation régulière et poursuit ses études avec une obstination qui lui permet de se relever de toutes les embûches mises sur sa route. La dernière en date semble celle de trop, l'ultime désastre dont il sera trop difficile de se relever. Pourtant l'espoir le plus enfoui laisse passer la lumière. J'ai rencontré Atuya à plusieurs reprises. Les deux entretiens ci-dessous ont été enregistrés avant et après la démolition de sa maison.
1 - Avant la démolition, le 20 octobre 2021.
J’habite à Mramadoudou depuis trois ans maintenant, je suis étudiante, en deuxième année de Lettres Modernes à l’université de Dembéni. Après ça fait plus de dix ans que je suis à Mayotte et j’ai un titre de séjour. Ma mère est en situation irrégulière, mon père est décédé, et je n’ai pas pu partir en métropole après mon bac, parce qu’il fallait avoir la bourse et ma mère n’a pas d’avis d’imposition. Donc je vivais parmi les bangas là qui vont bientôt être démolis par la préfecture. Lotissement Lapo, Mramadoudou. Et donc j’espérais que l’ACFAV, car elle est venue faire l’enquête, là, que peut-être on va nous trouver un logement. Mais maintenant, tout le monde s’en va, les gens, ils ont commencé à démolir leur banga eux-mêmes parce qu’ils ont peur qu’on vienne tout casser en fait, le soir par surprise par exemple. Donc ils démontent eux-mêmes les bangas pour récupérer ce qu’ils peuvent. Nous, avec ma famille, on est partis parce qu’on n’avait pas construit notre banga, on avait juste loué. Les gens qui ont construit eux-mêmes leur banga, ils peuvent démolir. Nous on a pris juste quelques affaires, et on est parti. Parce que tout le monde est parti, il n’y a presque plus personne. On est parti mais on n’a pas trouvé de logement. C’est toujours la même chose. Là-bas, on vivait dans une situation très précaire. Il n’y a pas d’eau courante, tous les jours. Il y avait de l’eau deux fois par semaine dans la cour. Il n’y a pas de toilettes, il n’y a qu’une seule toilette pour tout le monde. Il n’y a pas d’électricité, on est obligé d’aller charger les téléphones chez les voisins. Ou sur les panneaux solaires, pour ceux qui en ont. Après on s’alimente avec des bougies, et cela se passe à Mayotte. C’est très grave en fait parce que ça peut mener à des drames. On survit dans cette situation très précaire. C’est le propriétaire qui nous a donné le banga, c’est 50€ par mois. Il y avait un compteur de courant mais il a été coupé il y deux ans, parce que c’était le seul compteur qui alimentait toute la cour, il y a plusieurs bangas. Ils ont dit que c’est dangereux et ils ont coupé le courant. Depuis on vit dans le noir. Et pour l’eau il n’y a qu’un seul robinet, tout le monde récupère l’eau dans cette cour. C’est comme ça qu’on vit.
Dans les jours à venir, ils vont juste démolir les bangas mais personne ne va nous proposer de logement parce que jusqu’à maintenant on a revu personne à ce sujet. Ça m’inquiète parce que les gens prennent leurs affaires et s’en vont mais ils sont toujours là. Les mamans ont des grossesses, des petits enfants, elles ne savent pas où aller en fait. Ils ont mis leurs affaires à l’abri, ils ont démonté leur maison car ils savent que ça va être démoli. Mais cela ne veut pas dire qu’ils ont trouvé ailleurs. Ils sont partis juste parce que ça craint, parce que tout le monde part. Parce qu’ils savent que les engins peuvent débarquer le soir et tout casser. Ils cherchent un voisin qui veut bien accepter de garder les affaires, les mettre dans la cour. Ils sont partis à Combani, Mutsamudu, Chirongui, là où ils connaissent quelqu’un qui a un banga qui peut les héberger en fait. Ça veut pas dire qu’ils vont trouver des logements à 500 €. Ils n’ont pas les moyens. Justement on survivait dans ce trou, dans cet endroit très difficile parce que c’était le seul abri qu’on parvenait à s’offrir. Les mamans, elles font le ménage chez les femmes mahoraises. Les femmes mahoraises, elles proposent 100 à 200 € par mois. Elles font le ménage toute la journée, c’est comme cela qu’elles arrivent à avoir 50 € pour donner à monsieur Lapo. Il y a des Mahorais qui donnent le champ à cultiver, ils donnent 100 €, c’est comme cela qu’on arrive à avoir de quoi survivre ici.
Moi je voulais dire que les gens qui viennent à Mayotte, ils risquent leur vie pour venir ici avec les kwassas, Une fois, deux fois, trois fois. Ça se passe partout dans le monde. Tout cela pour chercher une vie meilleure, et pour la santé aussi. Il y a des gens qui quittent leur pays parce qu’ils sont malades, Parce que là-bas, ils n’ont pas les moyens de se soigner. Aux Comores il n’y a pas de bonnes conditions de vie. Quand on vient à Mayotte, on abandonne sa famille, ses amis, ses proches. Tout ça parce qu’on croit qu’on va trouver mieux. C’est très dur aussi. Et en venant à Mayotte, une fois qu’on s’installe, on n’est jamais regardé, on ressent comme un racisme en fait. Quand je vais à l’école, j’ai subi du harcèlement. Moi quand j’étais là-bas, aux Comores, avec mes amies, j’étais bien en fait. Si j’avais su ce qui allait m’arriver, je ne serais pas venue en fait.
Moi, c’est mon frère qui a organisé mon voyage pour Mayotte. Il était déjà sur place, et il disait que les études, c’est mieux à Mayotte. Parce qu’aux Comores, il faut payer, même si t’es pas en école privée. Moi j’étais en collège, je m’en sortais pas mal. C’était son idée. Moi, je n’avais pas envie. C’était son idée, après… J’ai suivi parce que c’est la famille. Aux Comores, ce n’était pas une famille riche, mon père il était pécheur. Ma mère elle travaillait à la campagne, dans les champs. Ce n’était pas une famille riche. Ma mère elle est venue dernièrement, en 2016, parce qu’elle est diabétique, elle est venue pour l’hôpital. Elle a pas de carte de séjour mais elle a tous les documents qui montrent qu’elle va à l’hôpital tous les jours pour le traitement du diabète.
Je crains que cela ne change pas dans l’avenir. J’espère que les gens vont se rendre compte de ce qu’il se passe ici. Ils ne vont pas risquer leur vie pour venir ici. Parce qu’on vit dans des conditions très difficiles. Moi, si j’avais su que c’était comme cela, je ne serais pas venue à Mayotte. C’est mon frère qui a eu cette idée. Oui Mayotte tout le monde va là-bas pour réussir. Et finalement, depuis que je suis ici, ça fait dix ans que je suis à Mayotte et tu vois que les choses ne changent pas en fait. C’est toujours des situations très précaires, des bangas. Personne ne veut t’aider. Il n’y a pas de courant. Il n’y a rien. Moi si j’avais su que j’allais vivre dans une situation comme ça à Mayotte je ne serais pas venue. Quand je suis arrivée, j’avais dix ans, j’étais triste. Ça fait des années et rien ne change, malgré que j’aie un titre de séjour, que je suis à l’université. Et toujours je vis dans des bangas en tôles. On travaille beaucoup, on galère pour obtenir un titre de séjour, on paie les timbres et il n’y a rien qui change. Eux, ils ne font rien pour nous. Et la préfecture qui donne l’ordre de détruire nos maisons. Et nous on vivait là, on avait au moins un toit au-dessus de nous et un lit où poser la tête pour dormir. Et voilà ce qu’il se passe à Mayotte en ce moment. Il y a des gens qui retournent le soir où il y avait leur maison. Malgré qu’on pense qu’ils sont partis parce qu’ils ont démonté leur banga. Le matin, ils se lèvent très tôt dès l’aube pour repartir parce que la plupart, c’est des hommes sans papiers. Et après ils restent à la campagne toute la journée. Et ils reviennent le soir pour dormir dans des bangas qui ne sont pas encore démolies par le propriétaire. Le propriétaire, le banga, il le loue 50 € par famille, et on n’a pas d’électricité, et quand il passe pour récupérer le loyer, il crie : « oui, je vais mettre un cadenas sur la porte si vous ne payez pas. Il nous met toujours la pression comme ça. C’est difficile parce qu’une femme qui a trouvé un ménage à faire et qui touche 150 € dans le mois, il faut qu’elle donne la moitié pour la maison. La vie est chère à Mayotte. Et personne ne nous aide. Il n’y a pas d’assistante sociale qui s’occupe de nous. Rien. Rien n’a été mis en place pour nous. C’est pour ça que des fois je dis que ça aurait été mieux si je n’étais pas venue à Mayotte, ou si j’étais partie ailleurs. Moi voilà jusqu’à maintenant il n’y a rien qui change. En tout cas pour moi rien ne change. On m’a envoyée à Mayotte pour améliorer ma vie, mais jusqu’à maintenant il n’y a rien qui est changé dans ma vie. Ça va vraiment au ralenti. Un jour ! J’espère que personne ne va connaître ce que j’ai connu, parce que je ne souhaite à personne de vivre dans ces conditions. Je suis à l’université, j’ai de la chance mais je ne sais pas si je vais pouvoir continuer mes études et réussir dans ces conditions, cela m’inquiète justement. Parce que par exemple, pour les devoirs, on les donne à faire sur des ordinateurs, à la maison, chez moi. Je n’ai pas de WIFI, je n’ai pas de courant, comment je vais faire mes devoirs ? Tandis que les autres, ils ont les conditions pour bien travailler. Je n’ai pas de chambres à moi. Je n’ai pas de courant le soir pour réviser les cours, faire les devoirs. Dès fois il y a du travail à faire en ligne, des cours à distance. Je suis obligée d’aller chez un ami, un camarade de classe, on révise jusqu’au soir. Parce que chez moi, là où j’habitais jusqu’à présent, il n’y avait pas de courant. Les gens ils allument les moteurs, le soir, là pour ceux qui ont les moyens de payer l’électricité. Il faut payer 70 € par mois juste pour avoir le courant le soir.
Maintenant les gens ont peur. Ils savent que le préfet fait tout pour les chasser, qu’ils s’en aillent, même ceux qui ont les papiers. Alors ils vivent dans la campagne et se cachent. Je ne connais personne qui vivait chez Chamassi à qui on a proposé un logement social, personne. Peut-être qu’il y a des logements réservés pour les ces gens-là, les étrangers en situation régulière, mais finalement ce sont les Mahorais qui les occupent, parce que je ne connais personne qui a accès au logement social. Tout le monde demande un logement social, tous les gens qui sont partis. Tous les gens que je connais, aucun n’a reçu un logement.
La vie que je mène ici est trop difficile. C’est trop précaire pour moi, parce que pas de courant… parce qu’on n’a rien en fait. Moi j’espérais qu’avec mon bac je pourrais partir en métropole, faire mes études, parce que j’ai un titre de séjour. J’ai ouvert un compte bancaire à la poste, là. Après je me suis dit qu’ils allaient me verser la bourse qui me permette de partir en métropole, trouver un logement. Et finalement ce n’était pas possible parce qu’il fallait les impôts des parents. Forcément quand on a les bourses, ça aide. Sinon j’aurais pu partir, avoir un logement. Mais malheureusement je suis bloqué ici. Je ne peux rien faire.
2 - Après la démolition, le 12 novembre 2021.
L’ACFAV est venue pour nous proposer un logement mais c’était à Bandraboua, c’est carrément au nord. Ma mère a dit que ce n’était pas la peine parce que c’était trop loin de l’hôpital. Elle est diabétique et a besoin d’être près de l’hôpital de Mramadoudou. Ma mère a dit que ce n’était pas la peine d’aller là-bas, en plus que c’était pour 21 jours seulement. Mais ma mère elle n’a pas sa carte de séjour alors elle ne peut pas avoir un logement pour six mois, c’est ce qu’ils ont dit. Peut-être que si c’était moi qui avais demandé le logement, on aurait eu la possibilité d’un hébergement de six mois, mais on ne sait pas de toute façon. Maintenant on est installés à Mramadoudou au bout du village. Il y a quelqu’un qui avait un petit banga qui nous a permis de nous y installer. Mais il n’y a pas d’eau et pas d’électricité. On va chercher l’eau à la fontaine du quartier Chamassi où l’on s’est vu la dernière fois lors de la fête de la Croix-Rouge. On met un quart d’heure pour s’y rendre alors les corvées d’eau sont très longues. Les enfants de ma sœur sont venus avec nous parce qu’ils sont scolarisés à Mramadoudou. Ma sœur on lui a proposé un logement à Mutsamudu, on lui a proposé loin par rapport à l’endroit où ils sont scolarisés, au collège et au lycée. Alors leur maman les a laissés ici avec nous. Dans la maison, il y a mes trois neveux, ma sœur et ma mère et moi. Moi je pense vraiment quitter Mayotte et s’il y a quelqu’un qui peut m’héberger parce que moi j’ai de plus en plus de mal, je ne sais pas si j’arriverai en fait à préparer ma licence dans cette situation. C’est impossible de faire son travail à la maison, il n’y a pas de courant le soir, je n’ai pas de place. Il y a des devoirs que je dois rendre et je n’ai pas internet. C’est la galère. J’ai la possibilité d’aller à la fac pour travailler dans les salles et sur les ordinateurs, mais il n’y a pas assez pour tout le monde et c’est difficile d’en trouver un disponible et il n’y a pas de place. En plus si je vais là-bas je ne trouverai rien à manger parce qu’on n’a rien. Là-bas au CUFR les plats sont vendus 1 € pour les boursiers, mais pour les non-boursiers, c’est 3€50. Des fois je reste là-bas et j’ai faim. Alors je pense à rentrer chez moi pour manger un peu de riz. Mais il n’y a pas assez de bus pour cela. Je n’ai pas pu avoir les bourses à cause de l’avis d’imposition de ma mère. C’est compliqué pour les pauvres d’accéder au centre des impôts. Du coup les problèmes s’ajoutent. On a envoyé les formulaires de déclaration d’impôts mais ils n’ont jamais répondu. Ma mère n’a jamais reçu d’avis d’imposition. J’ai demandé l’aide de l’assistante sociale à l’université mais on me répond qu’il n’y a pas encore d’assistante sociale. A chaque fois que j’ai demandé à la scolarité, on me dit qu’il n’y a pas d’assistante sociale. Si je trouve quelqu’un qui peut m’héberger, je termine mes études ici et je pars de Mayotte. Je vais aller poursuivre mes études en métropole, il faudra que je trouve un hébergement et quelqu’un qui peut me prendre en charge si je n’ai pas les bourses. Je vais m’inscrire dans une école en France.
Témoignages d'enfants
Parti a été pris de laisser la parole à des enfants de moins de 10 ans, chassés de leur lieu de vie habituel, éloignés de leur école, plongé dans l'ennui suite à l'installation en hébergement d'urgence dans une maison totalement vide et certainement pas adapté à une famille.
Bahuwa, jeune fille de 10 ans, élève en CM2
Ici on nous dérange. On va pas à l’école et en plus on dort par terre. La personne qui nous a amenés ici, elle nous a mis là et ne s’occupe pas de nous. Elle nous donne rien, même pas du riz, personne ne nous donne rien. Elle nous a mis là et en plus elle nous donne rien. Elle n’est jamais revenue. Elle nous a mis là et en plus elle est partie. Elle n’est jamais revenue encore. Il est venu nous déposer avec le chauffeur, mais il ne revient jamais. On ne vient pas nous chercher pour nous amener à l’école. Le chauffeur, il ne s’occupe pas. On nous a mis là et on nous a dit qu’on partait dans 20 jours.
Faoulat, jeune fille de 9 ans, élève en CM1

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L’assistant social nous a laissé ici et il nous a dit qu’on se débrouille pour les repas alors qu’avant il ne nous avait rien dit. C’est nous qui habitions à Mramadoudou et que les gendarmes ont cassé la maison. Il nous a amené ici mais il ne s’occupe jamais de nous. Il nous a juste laissé ici, en plus il est sorti. Ici c’est une maison mais ce n’est pas bon parce qu’il n’y a pas quelque chose à manger. On a faim et juste on reste là. On ne fait rien ici, juste on dort et on se lève. En plus il n’y a rien à manger. Le problème c’est qu’on ne trouve pas quelque chose à manger. En plus si on veut aller à l’école, on ne peut pas car personne ne s’occupe de nous. Ici il n’y a pas de voiture pour y aller, et le chauffeur qui nous a amenés ici il nous a dit qu’il ne pouvait pas s’occuper de nous le matin pour nous emmener. Depuis trois semaines on va pas à l’école. Personne ici ne va à Mramadoudou pour nous emmener à l’école. On sait pas ce que la maitresse elle dit. Elle dit quoi, elle dit quoi, on sait pas. On reste juste ici. On fait rien.
Illiass, jeune garçon de 8 ans, élève en CE2
Bonjour, je veux dire que c’est dangereux ici, on ne sort pas. En plus on ne va pas à l’école, parce qu’on n’a pas de chauffeur. Je suis en CE2, j’ai huit ans.
* Tous les prénoms ont été changés.
---------------------------------NOTES
[1] De la sorte il ne fait que soutenir le rythme engagé par son prédécesseur : entre le 14 septembre 2020 et le 22 octobre 2021, pas moins de 15 arrêtés de démolitions auront été signés et publiés en à peine 14 mois.
[2] Il faut toujours garder à l’esprit que la situation administrative des personnes détermine leur droit à un relogement : seuls les français et étrangers titulaires d’une carte de résidence ont droit à un hébergement pérenne. Les ménages dont le responsable est titulaire d’un titre annuel n’ont droit qu’à un hébergement d’urgence éloigné le plus souvent de la commune où ils ont leurs intérêts et dont la durée ne dépasse pas trois semaines.
[3] La presse locale de Mayotte évite de ternir ses relations avec la préfecture. Ainsi on peut lire dans les colonnes d’un journal papier : « les associations préfèrent-elles que les gens dont elles sont censées défendre les intérêts, vivent dans des taudis ? ».Anne Constance Onghens, « Habitat insalubre. Les associations semblent vouloir préserver les bidonvilles ». FRANCE MAYOTTE matin, le 30 novembre 2021, p.5. (Pdf à disposition sur demande).
[4] Hélas l’État français ne commet pas ses exactions contre les personnes, leur corps et leurs biens uniquement en Outre-mer. Les dernières années en ont fournis des exemples jusqu'à saturation.
[5] Faire le parallèle avec Calais : lire entre autre : "A Calais le gouvernement peine à justifier les images de lacération de tentes de migrants". Le Monde avec AFP, le 1er décembre 2021. Ici. Et bien sûr le dossier s de Médiapart sur la question : "Calais, au centre de la crisse migratoire".
[6] Tous mes textes antérieurs décrivent et confirment cette situation, ainsi que les photographies et vidéo mises en ligne sur ce blog depuis le mois d’août 2021.
[7] Le jour de la démolition du quartier Chamassi à Mramadoudou, huit familles attendaient les associations qui ont tardé à venir. Cela représente tout de même 16% de la population globale du quartier récensée par l’ACFAV lors de l’enquête sociale qui avait compté 49 familles lors de son passage sur les lieux le 15 septembre.
[8] Tous les documents joints en annexe à l’arrêté le prouvent : à aucun moment il n’est question de la prise en charge des familles hormis le coup de bluff habituel sur « la proposition de relogement » vide de réalité ; par contre la gendarmerie alerte contre la possibilité d’émeutes qu’il faut anticiper.Voir mes billets antérieurs qui documentent cet événement.
[9] La plupart des personnes victimes des « opérations de décasages par les meutes villageoises de 2016, peinent encore à trouver le niveau de vie qu’elles avaient avant ces événements, et certaines se retrouvent emportées par les « décasages » actuels organisés par l’État.