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Retraité. Ancien Cpe du Lycée de Mamoudzou. Référent de la Ligue des droits de l'homme à Mayotte.

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Billet de blog 13 février 2024

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Retraité. Ancien Cpe du Lycée de Mamoudzou. Référent de la Ligue des droits de l'homme à Mayotte.

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Chronique de l'inhospitalité /6 - « on a fui la guerre, on vit dans un calvaire »

Le rejet des migrants venus d’Afrique et la crispation au sujet de leur campement dans l’enceinte d’un stade ont provoqué une crise quasi insurrectionnelle qui permet au pouvoir d’annoncer l’abandon du droit du sol pour Mayotte. Or les forces vives demandaient la fin d’un apartheid législatif. Pendant ce temps, les activistes libèrent leurs pulsions xénophobes et harcèlent les demandeurs d’asile.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Fidèle au format des chroniques, ce billet se décline en deux parties : un texte de l'auteur et les témoignages d'une mère de famille, d'une jeune femme célibataire et d'un jeune homme.

Illustration 1
Street Art, Cavani-stade, Mamoudzou, Mayotte © daniel gros

Le ministre de l’intérieur s’est rendu à Mayotte ce dimanche 11 janvier pour tenter de dénouer la crise qui détruit patiemment l’économie de l’ile depuis trois semaines. Cependant les Mahorais ont boudé leur ministre préféré. Pas d’accueil à l’arrivée, ni colliers de fleurs, ni danses ni musiques traditionnelles. Attendu place de la République où s’étaient rassemblées les forces vives de Mayotte, son cortège passa sous les huées sans s’arrêter. En fin de journée, il ne s’est pas rendu sur le campement de migrants à Cavani-stade où l’espéraient les manifestants1.

Sur les ondes de Mayotte la 1ère, il a livré des propositions dont l’esprit ne déroge pas à ces vieilles politiques anti-comoriennes qui jusqu’à présent n’ont pas apporté grande prospérité à l’ile lointaine.

Le ministre de l’intérieur a satisfait à la quasi-totalité des revendications des forces vives relatives à l’immigration clandestine, notamment le titre de séjour territorialisé qui confine les étrangers régularisés sur le territoire de Mayotte. La fin de cette dépouille, souhaitée pour des raisons inverses à la fois par les Mahorais et les droits-de-l’hommistes détestés, s’agrémente d’une liste de contreparties propres à en réduire les effets : durcissement des régularisations ; suppression pure et simple du droit du sol à Mayotte, et autres douceurs...

Les autorités n’ont jamais attendu d’hypothétiques lois Mayotte et d’hasardeuses modifications constitutionnelles pour tourmenter les populations venues des autres iles de l’archipel. Entre abus de droit, droits dérogatoires, non-respect de la législation et occupations opportunes du service de l’immigration par des activistes obstinés, les ressortissants des Comores peinent à renouveler leur titre de séjour dans les temps et perdent leurs droits au séjour sauf à se résoudre à des recours judiciaires couteux.

Déjà depuis plus d’un an, la préfecture a engagé des campagnes de retraits de titres de séjour pour des motifs variés : fin des droits des parents d’enfants français devenus majeurs ou partis en métropole ; mères d’enfants français soupçonnées d’avoir bénéficié de fausse déclaration de paternité ; retrait pour déclaration d’hébergement frauduleuse2, etc.

La focalisation sur l’immigration venue essentiellement des iles voisines entraine des surenchères sans fin sur des aménagements antérieurs qui n’ont donné aucun résultat probant.

Cependant les propositions du ministre de l’Intérieur aggravent l’apartheid législatif et réglementaire dont les forces vives avaient demandé la fin en premier point dans le communiqué de presse fondateur du mouvement3.

Mayotte et ses habitants ne sont jamais à une contradiction près et se laissent toujours fasciner par le miroir aux alouettes de la lutte contre la venue à Mayotte des voisins le plus souvent invités. Aussi est-il plus approprié de parler de migration de parenté. Une juste politique consisterait à régler une bonne fois pour toutes les relations de bon voisinage avec les habitants des iles voisines avec lesquelles chacun s’accorde à reconnaître qu’il entretient des relations de parenté, d’alliance ou de filiation. Certes l’illusion de la puissance de l’État entraine à empiler les unes sur les autres des règles et des lois de rejet et de refoulement de plus en plus sévères qui ne peuvent que durcir les ressentiments et ajourner ad aeternam une politique efficace contre la pauvreté endémique.

Les belles promesses n’engagent que leurs auteurs. Les forces vives ont fait savoir au ministre de l’intérieur qu’elles ne se prononceraient sur la poursuite de leur mouvement qu’après réception d’engagements écrits et signés.

Bien que cet aspect fut apparemment relégué en arrière-plan, personne n’a perdu de vue que le point de cristallisation de la crise se situe au camp de migrants venus du continent africain. Cela a été vigoureusement rappelé en fin d’après-midi par les activistes des forces vives qui espéraient la venue du ministre au stade de Cavani. Peut-être par dépit, ils ont enchainé et cadenassé le seul portail permettant l’accès au campement, séquestrant volontairement les résidents. La police nationale aurait reçu l’ordre de ne pas intervenir. Le lendemain matin la situation n’avait pas évolué mais la police  a daigné, après plusieurs appels de résidents, à faire sauter chaines et cadenas à 10 heures du matin. Les autorités ignoraient-elles que la séquestration de personnes est un crime relevant de la cour d’assise ?

De semaine en semaine, les forces vives de Mayotte bloquent toute la vie socio-économique. Des barrages sont érigés sur tous les points clés de la route littorale et des deux transversales. Elles occupent les pontons : la barge qui relie Grande terre à Petite terre ne navigue plus empêchant les voyageurs de se rendre à l’aéroport. Les touristes sont piégés à l’arrivée et au départ.

Professeurs et écoliers ne vont pas à l’école. Médecins et personnels de soins ne rejoignent plus l’hôpital de Mamoudzou qui tourne au ralenti. Les administrations fermées les unes après les autres depuis plus de deux mois, défient la continuité du service public.

Tout élu, toute personnalité, toute autorité prêtent allégeance aux forces vives. Disqualifiant le préfet, délégué du gouvernement, les activistes réclament un émissaire crédible. Le 6 janvier à l’Assemblée Nationale, dans une adresse futile, le premier ministre « invite les collectifs à saisir les invitations des élus et du représentant de l'État à échanger ».

Par une sorte de coup d’État silencieux, les forces vives pilotées par un comité de sages, se sont emparées d’un pouvoir aussitôt concédé par les élus de Mayotte. La police et la gendarmerie continuent de remplir leurs offices mais selon Mayotte la 1ère, 20% des effectifs ne parviennent pas à rejoindre leur poste et « les policiers ne font pas partie de la charte établie par les forces vives de Mayotte qui permettent aux services d’urgence de circuler4 ». Les forces de l’ordre, de la police et de la gendarmerie, subiraient l’humiliation des barrages lors de leur déplacement.

Cela ne va pas sans provoquer quelques remous et les vérités sortent de leur puit. Ainsi le président de la Confédération des Petites et Moyennes Entreprises de Mayotte met le doigt sur les ressorts de la crise : « La majorité des gens qui tiennent les barrages travaillent pour les Collectivités, travaillent pour l’État. […] Quand on a un problème avec l’État, on ne va pas bloquer le port de Longoni, quand on a un problème de sécurité, on ne va pas bloquer une entreprise privée ».

Il insiste et souligne les effets de structure : « les barrages ont commencé le 22 janvier, le 25 et le 31 tous les fonctionnaires ont été payés, la totalité des salariés de la mairie de Mamoudzou ont été payés, alors qu’ils n’étaient pas au travail, tous les fonctionnaires ont été payés, la totalité des personnels du département, de la préfecture, du rectorat, de tous les services publics ont été payés, les nôtres non. Donc il y a des conséquences graves par rapport à une manifestation comme celle-là. Il faut savoir l’entendre et l’accepter. Il y a des gens qui perdent tout ce qu’ils ont bâti, tout ce qu’ils ont construit, il y a des gens qui n’ont pas de salaire, qui ne peuvent pas faire de courses5 ».

Sans doute est-il important de rapporter ce mouvement social sur la structure socio-économique de l’ile pour en comprendre les ressorts. La population de Mayotte se décompose en trois tiers relativement égaux : un tiers de la population en âge de travailler a accès à l’emploi salarié dans le privé ou la fonction publique (32%) ; un autre tiers (36%) se déclare sans travail et à la recherche d’un emploi ; le dernier tiers (32%) regroupe les étudiants, hommes et femmes au foyer, personnes sorties de l’emploi. La population salariée se répartit entre le secteur public (47%) et le secteur privé (53%) inégalement traités. Les agents du secteur public perçoivent un traitement indexé à 40% qui leur permet de toucher par exemple 140 euros quand l’agent de même catégorie perçoit 100 euros en métropole. A l’inverse le Smic horaire est établi à 8,80 € depuis le 1er janvier 2024, contre 11,65 € sur l’ensemble du territoire national. De plus parmi les employés dans le secteur privé, 53% sont salariés dans les entreprises et 47% sont embauchés comme employés de maison sur des contrats à temps partiel de quelques heures par semaine ou dans l’économie informelle fortement exposés à l’exploitation6.

Ces inégalités fracturent la population de Mayotte plus surement que les nationalités, et se percutent sans surprise durant les crises et les blocages de l’économie dont seuls les employés des entreprises et ceux du secteur informel paient la facture. D’autant plus que le secteur privé, à l’inverse du secteur public réservé aux nationaux, recrute dans l’ensemble de la population sans discrimination. Les entreprises sont les seules susceptibles de se soucier des jeunes en dérive des quartiers où elles sont implantées. Le rapport au réel s’en trouve tout différent.

Conscient de la réalité des rapports de force politiques assise sur la puissance financière des agents de la fonction publique, le président des CPME n’oublie jamais au moins par diplomatie que l’union sacrée autour du mouvement ne peut être flétrie. A plusieurs reprises, il renouvelle son adhésion aux revendications des forces vives tout en insistant inlassablement sur l’inégalité structurelle des partages des coûts de la crise : « il y a des gens qui perçoivent et d’autres non et ça c’est injuste. Et les salaires versés ne sont pas justifiés parce qu’il n’y a pas eu de travail […] Moi j’appelle ces gens-là […] des pompiers pyromanes, parce qu’ils voient la situation sur le territoire et ils l’alimentent7 ».

Le point de crispation demeure le stade de Cavani et son camp de migrants que l’État peine à démanteler en raison même des barrages et des contradictions des forces vives qui se focalisent sur les abris à détruire sans considérer leurs occupants.

Le mardi 6 février, la manifestation partie depuis place de la République, vers le tribunal judiciaire, revenue au point de départ, s’est finalement dirigée vers Cavani en fin d’après-midi avec l’intention de pénétrer dans le fameux campement et d’en découdre avec les Africains. Les forces de police présentes avant son arrivée, ont protégé l’entrée du stade. La manifestation a poursuivi sa route vers le siège des trois associations, toutes sises à Cavani, coupables à leurs yeux de favoriser l’immigration illégale en raison des missions que la préfecture leur a confiées notamment dans la mise à l’abri des migrants lors des évacuations du campement.

Des chaines et des cadenas furent ainsi posés sur les portails de l’Association pour la Condition Féminine et l’Aide aux Victimes (ACFAV) et de Mlezi-Maoré, en raison de leur implication dans la gestion d’un parc de logements destinés aux hébergements d’urgence lors des démolitions de bidonvilles. Vu l’expertise acquise à ces occasions, la préfecture leur a confié l’hébergement provisoire des migrants une fois les abris démontés.

Furent également enchainés et cadenassés les locaux de l’association Solidarité Mayotte, autour desquels depuis plus de trois ans se sont installés les demandeurs d'asile, faute de mieux et surtout faute de prise en charge matérielle par l’État pourtant responsable de leur protection, dans le plus grand dénuement. Chargée des fonctions de Structure de Premier Accueil du demandeur d’asile (SPADA)8, l’association est accusée par les manifestants de favoriser la migration africaine, accusation que le ministre de l’intérieur avait lui-même portée lors de son allocution du 17 janvier depuis l’ile de la Réunion : « Il n'y a pas de faillite de l'État, il y a des associations qui les aident à venir et j'aimerais qu'on regarde ce fonctionnement-là », avait-il accusé9.

Les conséquences de ses fermetures furent désastreuses pour les demandeurs d’asile soudain privés de tout contact avec les travailleurs sociaux qui les accompagnent dans leurs démarches administratives. Le service médical installé à Kaweni ne reçoit plus. Les bons d’achats de 30 €, unique ressource des populations, distribués en début de mois, n’ont pas été remis et nul ne sait quand il percevra cette misère essentielle alors que les possibilités de petits boulots se raréfient du fait d’intenses pressions sur les Mahorais bienveillants susceptibles d’adoucir leurs difficultés. Sur le campement les mères se plaignent de ne nourrir leurs enfants qu’une fois par jour, les hommes disent ne pas avoir mangé depuis trois jours, tous sont privés de l’accès à l’eau. Aucune association n’est à présent en mesure de remplir ses missions sans mettre en danger ses salariés.

Pourtant l’État par l’intermédiaire de son premier ministre et du ministre de l’Intérieur, a reconnu que les réfugiés étaient sous la protection de la France. Le second a prononcé des paroles fortes inhabituelles dans sa bouche : « Il y a des gens qui sont réfugiés, qui sont reconnus comme réfugiés, je vais donner comme instruction de pouvoir les rapatrier dans l’Hexagone, il y a une quarantaine de personnes […] On a reconnu qu’elles avaient le droit à l’asile et mon travail est de les protéger désormais10 ».

L’obligation de protection des résidents du stade ne comprend visiblement pas les aspects économiques et sanitaires. Qu’attendent les autorités pour régler le problème de l’accès à l’eau, de l’assainissement, de l’accès à la nourriture et aux soins ? Le gouvernement s’est engagé à démanteler le campement de migrants dans les plus brefs délais. Les barrages ne permettant plus le transfert des résidents vers les hébergements, l’opération prend du retard. La vindicte populaire impatiente n’hésite pas à menacer de procéder elle-même au « décasage » si rien n'est fait dans les quinze jours.

Les rumeurs les plus folles sur la menace que ferait peser la population africaine courent sur les réseaux sociaux où elles trouvent le meilleur terreau pour se répandre. Ce serait sans importance si les médias de Mayotte n’invitaient dans leur magazine des quidams prêts à raconter des sornettes avec l’assentiment gourmand d’une journaliste peu soucieuse de modération.

Sur la chaine TV Kwezi, dans l’émission intitulée « Temps de parole », un obscur responsable d’un tout aussi improbable collectif des habitants de Cavani, déblatère des âneries sans queue ni tête au sujet du camp de migrants : « moi, personnellement, je ne suis jamais rentré dedans, parce que c’est dangereux ». Cette réserve ne l’empêche pas de décrire l’organisation du camp et les différents quartiers communautaires comme un habitué : « les Somaliens, ils ont pris leur territoire, là c’est la Somalie, et les autres n’ont pas le droit de venir, c’est comme s’il y avait une frontière » […] Dans cette partie, il se passe beaucoup de choses, je sais qu’il y a un magasin, une discothèque. Ils ont fait une grande tente et il y a des gens qui vont là-bas pour avoir des femmes […] c’est grave parce que nous on a peur. […] Comme les Somaliens c’est des gens arrogants, ils n’ont pas peur, et nous on a peur. […] On n’a pas besoin de camp de réfugiés à Mayotte, et si on enlève tout, il faut les renvoyer d’où ils viennent ou en métropole ou en Europe11 ».

La crise à Mayotte depuis trois semaines se déploie sur deux fronts, l’un à destination des médias, marqués par la confrontation frontale avec l’État français, visible et déterminé dans les barrages et les dispositifs de blocage total de l’économie et de la vie sociale ; l’autre front non moins tragique dans sa face cachée, inavouée et déniée, a consisté à s’en prendre individuellement à chaque Africain. La communauté africaine vivant sur l’ile de Mayotte est confrontée à une vague de xénophobie de la part des autochtones mahorais12. Chaque réfugié, chaque demandeur d’asile s’impatientent et attendent de l’État qu’il puisse rapidement reprendre les opérations de démantèlement de sorte d’être enfin hébergés, pris en charge et délivrés de ce cauchemar.

La préfecture aurait décidé de retenir les nouveaux arrivants jusqu’à l’obtention du statut de réfugiés de sorte qu’ils ne soient plus exposés aux brutalités de la population.

 *   *   *

Suivent à présent trois témoignages. Le premier raconte la vie quotidienne d'une mère congolaise de trois enfants confrontée à la recherche de la nourriture, à la difficulté de l'accès au soin, à l'insalubrité et surtout aux marques de xénophobie dans ses relations avec les habitants. Le second de la part d'une jeune femme venue à Mayotte avec sa soeur décrit surtout la ségrégation qu'elle subit systématiquement lors de ses visites à l'hopital et dans la recherche de secours.

Le troisième est l'expression d'un jeune homme d'une vingtaine d'année en proie à la délinquance de la part des enfants de Mayotte. Il décrit un système de vol systématique.

« Moi c’est L., je suis arrivée ici depuis le mois d’octobre 2023, ça fait à peu près quatre à cinq mois que je suis ici à Mayotte. Depuis que je suis arrivée ici à Mayotte je n’ai reçu aucune assistance en ce qui concerne l’hébergement et la santé, je suis venue avec trois enfants. J’ai laissé quatre enfants, les quatre enfants sont perdus dans l’océan.

Depuis que je suis arrivée ici je n’ai reçu aucune assistance d’hébergement, en nourriture, je peux dire que c’est les trente euros qui nous alimentent et ça ne nous convient pas. Parfois, je peux manger dix jours par mois, d’autres jours c’est un calvaire. Donc je n’ai reçu ici aucune assistance de la part des associations, de la part de l’hôpital.

Un jour mon enfant est tombé malade, je suis partie à l’hôpital et je suis revenue sans rien. Je suis allée chercher les plantes dans la forêt pour faire des remèdes et soigner mon enfant. Donc ce jour-là, ça fait mal vraiment. Je n’ai pas été acceptée à l’hôpital, ils m’ont traumatisée, ils m’ont injuriée avec l’enfant qui tempérait à au moins quarante degrés. Ils m’ont chassée avec l’enfant malade. C’est interdit de chasser un enfant malade, un enfant d’une année. Ils l’ont fait. Mon enfant d’une année, on nous a chassé de l’hôpital.

En plus nous dormons dehors, contre la maison de la Solidarité, tous les membres de la Solidarité passent devant nous, même si les enfants sont malades, ils n’interviennent même pas. On lui dit : « madame, regarde mon enfant il ne va pas bien », « ah madame cela ne me regarde pas, ça vous regarde vous, qu’est-ce que vous êtes venue faire ici ».

Même la sécurité on n’a pas, on dort dehors et les délinquants ils passent toute la nuit avec des couteaux, pour nous tuer là-bas, alors on n’arrive même pas à survivre, on ne sait pas ce qu’on va faire.

Chez nous on nous attaque et quand on arrive ici, on pense qu’on va avoir la protection de la France, mais depuis qu’on est arrivés ici, on vit dans un calvaire.

Nous les mamans on est là, les Mahorais sont derrière nous, on ne sait pas quoi faire, on ne sait pas, avec les enfants ici, qui tous les jours sont malades. On part à l’hôpital, on part à six heures du matin, tu arrives là, tu prends le numéro, mais à un moment on te dit, non madame on ne va pas te recevoir parce qu’on a déjà accueilli le nombre des gens qu’on devait prendre.

Ils prennent ton carnet, il regarde seulement le nom et ils voient que tu es Africain. Tant pis pour toi, on te dit de rentrer. C’est toujours comme ça ici on ne sait pas derrière qui on va courir. Qui va nous aider, on est là on ne sait pas on ne trouve pas des gens qui vont nous écouter. C’est pourquoi on est là, on demande à la France si elle peut nous aider à résoudre nos problèmes parce que on est là avec les Mahorais, ça ne marche pas, ça ne marche pas.

On est venu ici, pour chercher la protection, c’est pas pour chercher à manger, chercher à faire quoi que ce soit, pour chercher la vie, nous sommes venus ici pour chercher la protection. Nous fuyons notre pays, à cause de la guerre à cause des poursuites, est-ce que quelqu’un peut fuir avec six enfants s’il était bien dans son pays ? S’il était dans la sécurité dans son pays ? Ce n’est pas normal, nous fuyons à cause de l’insécurité dans notre pays et arrivés ici, nous nous retrouvons dans la même insécurité, nous sommes toujours dans la même insécurité, vraiment nous demandons votre protection. Nous demandons à la France de nous protéger, surtout sur le plan de la sécurité, sur le plan sanitaire, sur le plan alimentaire. Mais nous insistons surtout sur le plan sécuritaire. `

Même quand on part chercher du boulot, on nous injurie, que nous ne sommes pas vraiment éligibles pour travailler, on ne sait pas, on ne trouve rien et on doit se débrouiller avec seulement les trente euros par mois, et si vous voulez manger vous devez vous contenter d’un euro même si vous êtes au nombre de quatre à la maison, avec un euro par jour, qu’est ce vous pouvez faire ? On se dit qu’on peut aller voir les gens s’ils veulent bien nous donner un petit travail, un petit boulot, pour faire le nettoyage, pour faire la lessive, dans les maisons des gens d’ici, mais on nous dit que ça ne va pas, on ne peut pas nous recevoir, parce que nous sommes des Africains.

Et on plus on se retrouve avec les délinquants derrière nous, qui veulent nous prendre nos sacs, nos téléphones, même nos documents, ils te prennent les documents dans les sacs, et ils les brûlent devant toi, ils brûlent nos documents devant toi, et avec tout ça, si la police est tout près, elle ne va même pas intervenir. Elle les laisse faire. C’est toujours comme cela ici. On ne sait pas quoi faire avec les Mahorais, on se demande ce qu’on est venu faire ici. On attend seulement que la France puisse intervenir, car on est en danger, on n’est pas bien ici, notre sécurité est en danger, nos vies sont en danger ici à Mayotte. On a fui la guerre, et arrivé ici on est encore obligé de fuir parce que notre sécurité n’est pas assurée. On n’est pas protégé ». 

*   *   *

« Un jour j’étais partie à l’hôpital, j’avais une fièvre de quarante moi-même, avec ma sœur, on est arrivé à l’hôpital. Au lieu de me donner même le petit calmant comme un Doliprane, on ne nous a rien donné, on m’a donné l’ordonnance. Moi, qui suis réfugiée, je ne travaille pas, avec les trente euros qu’on nous donne jusqu’à la fin du mois, juste pour avoir comment, ce qu’on peut manger, on achète le riz, on achète la farine de maïs parce que chez nous on mange le foufou, Je vais acheter les médicaments avec quoi ? On nous a dit, envoie là-bas parce que à l’hôpital on va vous soigner gratuitement. On part là-bas et on nous dit, il faut payer quinze euros. J’arrive à l’hôpital, j’étais gravement malade, c’était un samedi, comme cela. Le docteur il nous a dit comme ça, Oh madame on va te soigner mais il faut payer 15 euros. Quinze euros ? Pourquoi on nous dit que l’hôpital c’est gratuit. Je me sens mal. Oh madame, il faut payer l’argent. C’est pas normal, hein ?. Vivre ici vraiment, c’est calvaire. En tout cas, c’est calvaire. C’est pas facile.

Tu pars à l’hôpital le matin, tu rentres le soir, on te touche même pas, on vient te voir à quinze heures : madame, on a déjà fermé, il faut rentrer, il faut revenir encore demain. Moi je pars à l’hôpital tous les jours on m’a jamais reçue. Donc si je pars à l’hôpital à cinq heures, je rentre à quinze heures sans même avoir vu un assistant. Tout ça, c’est parce que suis une Africaine. C’est ça le problème, parce que je suis Congolaise. Et comment on va vivre sans avoir l’assistance médicale, l’assistance de tout ce dont on a besoin.

Avoir la vie, c’est avoir de l’eau, pour avoir de l’eau ici c’est tout un problème. On donnait de l’eau au stade. Quand on te voit seulement que tu es un Africain, pour te donner de l’eau c’est un problème. On donnait seulement de l’eau aux Mahorais, le Mahorais, il prend dix packs de bouteilles d’eau, toi on te donne seulement un pack. C’était un problème. On t’injurie, on te dit tout ce qu’il veut avant qu’on te donne de l’eau. Mais on a fermé ça. Parce qu’on voyait que les Africains aussi en profitent. Mais il y a encore de l’eau là-bas dans des containers, au stade, mais parce que les Africains aussi en profitaient, les Mahorais ont décidé de fermer. C’est pas normal, hein ? Nous on demande seulement à la France qu’elle trouve la solution à nos problèmes parce qu’on est fatigués. On n’est pas venu ici parce qu’on avait une bonne vie dans notre pays, si on était bien, on allait pas venir ici. On est venu ici parce qu’on avait des problèmes chez nous, c’est pourquoi on est là. Si on est là c’est pour obtenir une assistance de la France, mais on n’est sûrement pas venu ici pour créer des problèmes avec les Mahorais. Ce n’est pas notre souci. C’est pas notre souci. Et puis nos frères, nos petits frères, nos garçons, ils sont toujours attaqués par les Mahorais. J’ai vu un journal qui disait que tous les problèmes qui se passent ici, cela vient des Africains, jamais à aucun jour un Africain ne peut être un délinquant. Parmi les délinquants qui sont ici il n’y a pas un Africain. Tu ne peux aller chez quelqu’un, tu es un visiteur et tu te conduits comme un délinquant. Chez nous on n’est pas éduqué comme cela ». 

*   *   *

« Les problèmes qu’on a rencontrés ici à Mayotte, nous les Africains, ce sont les provocations par les petits délinquants Mahorais ici. Tu peux marcher sans rien faire, ils te demandent un euro, mais si t’en as pas ça devient tout un problème, ils peuvent te battre. Et si tu es seul, ils peuvent te battre à cinq ou six, et tu ne peux pas te défendre. Depuis que tu es arrivé ici on refuse de se battre ici, car si tu te défends toi-même c’est toi qui vas être accusé de les avoir agressés. Ca se retourne contre toi et c’est la loi qui te condamne. Or tu es provoqué par eux. On en a vraiment marre, ça ne nous plait pas. C’est un peu hors de contrôle.

Le soir on n’a pas le droit de se promener, sortir un peu du stade ici, on ne peut pas sortir, aller un peu plus loin, comme à Baobab*. Sortir là-bas étant Africain, vraiment c’est périlleux. Même à Duka Bé**, vraiment c’est plus grave, avec un téléphone vraiment. Si tu as oublié de le laisser à la maison et que tu sors avec ton téléphone dans la poche, tu l’as vraiment perdu, voilà les problèmes que nous avons ici. Et c’est l’inverse qu’on raconte dans les médias. Les Mahorais, ils disent que c’est nous qui semons les troubles, mais c’est leurs enfants, c’est leurs enfants qui nous provoquent. Avant ça, il y avait toujours des troubles et les agents de l’État ils en sont conscients, ils savent bien ce qu’il se passe. Avant nous il y avait toujours des troubles et des menaces causés par leurs enfants, leurs petits délinquants. Ce ne sont pas les Africains qui sont venus poser des problèmes. Nous-mêmes on est menacé par eux, on n’a jamais fait la moindre offensive parce que si tu te bats directement ils vont à la justice, ils n’ont pas besoin de preuves, ils disent que nous on les menace, et ainsi de suite. Nous ne sommes pas un élément d’insécurité ici à Mayotte, je ne pense pas, ce sont des prétextes contre nous les jeunes Africains. Nous on est venu ici pour la protection et chercher la paix et on n’a jamais fait la guerre ici ni souhaité se battre avec qui que ce soit, menacé quelqu’un. Et on n’a jamais été éduqué comme cela, avec des histoires de poignards, et ravir le téléphone des gens. Chez nous ça ne se fait jamais. Même leurs parents, ils en ont marre d’eux. Mais ce n’est pas notre genre à nous de faire ça.

Quand ils venaient ici au stade pour nous battre, nous on n’est jamais sorti pour aller les chercher, ils venaient nous trouver ici et commençaient à lancer des pierres. C’est tout ce que je voulais dire ».

*   *   *

_____________________________NOTES

[1] Jéromine Doux, « Immigration illégale : à Mayotte, Gérald Darmanin annonce la fin du droit du sol mais peine à apaiser la colère », le 11 février 2024, Le Figaro, lien ici.

[2] Nejma Brahim, « Avant l’opération Wuambushu, une pluie de retraits de titre de séjour s’est abattue sur Mayotte », le 9 mai 2023, Médiapart, lien ici.

[3] « Émergence du collectif « Les Forces Vives de Mayotte » en réponse à Gabriel Attal », L’INFO Kwezi, le 25 janvier 24, lien ici.

[4] Mayotte la 1ère, journal de 19 heures, le jeudi 8 février. Lien ici.

[5] « Bourahima Ali Ousseni : “Le mouvement est légitime, mais la forme est contestable ” », émission Zakweli, le 7 février 2024, Mayotte la 1ère, Lien ici.

[6] Anne Jonzo, « Enquête Emploi 2021 à Mayotte », le 16/12/2021, Insee flash Mayotte, n°130, lien ici.

[7] Voir note 5

[8] « SPADA, GUDA, ADA, que se cache-t-il derrière ses lettres ? », site de l’OFII, lien ici.

[9] « Le camp de migrants installé au stade de Cavani sera démantelé annonce ce mercredi le ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin. » Mayotte la 1ère, le 18 janvier 2024, lien ici.

[10] Ibidem.

[11] Temps de parole, Madi Hamada, le lundi 5 février, Youtube, lien ici.

[12]  Voir l'appel à l'aide internationale, ici.

* Supermarché proche situé à moins de 500 mètres du stade.

**Chaine de petites superettes de quartier.

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