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Billet de blog 17 mars 2024

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Séquestration de population à Mayotte

L'île de Mayotte est livrée aux factieux. Ceux-ci séquestrent une population de 400 personnes, réfugiés ou demandeurs d'asile sous la protection de l’État, sans que celui-ci n'y trouve rien à redire. Du vendredi 15 mars, à 18 heures, au dimanche 17 mars 13 heures, à la suite d'un drame touchant une femme enceinte, les ressortissants africains furent enfermés. Dans l'indifférence générale.

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Illustration 1
Camp de Cavani stade, février 2024 © daniel gros

Ce texte court raconte l'insoutenable devenu si banal qu'il ne frappe pas les esprits. Hélas l'indifférence à l'égard des personnes les plus vulnérables, cet excès d'inhumanité qui étouffe les consciences, se généralise et les pouvoirs peuvent à présent s'en donner à cœur joie. L'ile de Mayotte est livrée aux factieux. L’État absent fait mine de gouverner mais les lois qu'il promulgue sacrifient toute régulation dont il devrait être le garant à la loi du plus fort et du plus offrant, à l'accapareur.

A Mayotte, île maudite s'il en est, l’État ne fait plus semblant. Il innove en terminologie pour ressasser des vieilles rengaines qui ont perdu toute magie. A présent la politique se réduit au régalien qui se décline en de mauvaises séries de Wuambushu, à tel point que le nouveau préfet, qui a tout assimilé dès son arrivée, annonce qu'il va "faire du Wuambushu tout le temps"1. Le mot Wuambushu sert de feuille de vigne à une politique vaine et obstinée contre les populations les plus pauvres de l'ile, population étrangère bien évidemment comprise.

Pour des raisons liées à l'actualité tragique qui secoue de nombreux pays du continent africain, les demandeurs d'asile venus de la région des Grands Lacs, de Somalie et du Soudan subissent depuis des mois l'hostilité xénophobe de factions mahoraises qui imposent leur volonté à un exécutif qui n'en demandait pas tant. Les Chroniques de l'inhospitalité2 ont illustré cette connivence.

Puisque l'ignominie n'atteint jamais le fond, et qu'il faut toujours rajouter du malheur au malheur de peur que les victimes viennent à s'y accoutumer et aller malgré tout de l'avant, les factieux qui ont osé se baptiser les forces vives de Mayotte, ont décidé, vendredi soir 15 mars, de verrouiller l'accès au campement de Cavani stade en cours de démantèlement et d'empêcher toute entrée et sortie des pauvres gens livrés à eux-mêmes qui y résident. Le stade de Cavani est devenu le point de crispation et le symbole de la lutte feinte contre l’État. Pourtant il ne s'agit que de satisfaire la revendication principale, de s'en prendre aux plus pauvres et de nourrir le monstre xénophobe. Nullement d'améliorer le sort des demandeurs d'asile et des réfugiés, mais de s'en débarrasser. L'exécutif obtempère : près de la moitié des résidents du campement a été soit transférée en métropole, soit hébergée dans des logements d'urgence. Cependant pour les factieux  cela sans doute ne va pas assez vite. Ils ont donc décidé de séquestrer tout ces indésirables. Les plus jeunes parviennent à aller et venir en se hissant au-dessus des portails et des clôtures, si les agents de sécurité positionnés aux abords par le Conseil départemental qui les emploie consentent à les laisser passer.

La séquestration de personnes est un crime qui relève de la cour d'assise. Mais qu'à cela ne tienne, les services de l’État n'y trouvent rien à redire, et la population reste indifférente. Personne ne bouge. La presse ne relate pas l'acte criminel.

Les réfugiés africains ont passé la journée du samedi 16 mars à harceler les policiers cachés derrière le numéro d'urgence 17 pour que la police nationale viennent les délivrer. Sans succès. A chaque appel, l'interlocuteur répondait que le commissariat avait reçu la consigne de ne pas intervenir. Selon des sources bien informées3, confirmation fut donnée que le préfet de Mayotte avait ordonné de ne pas s'en mêler.

Le dimanche matin, avant 7 heures, une maman malade et sa fille de 14 ans sont parvenues à passer par-dessus le portail pour se rendre à l'hôpital. Avant 13 heures une femme enceinte a tenté la manœuvre et chuta d'une hauteur de deux mètres. Les équipes de secours ne pouvant pas pénétrer dans l'enceinte close, les hommes du campement ont transporté la blessée sur un brancard improvisé jusqu'au parking où attendait le véhicule de secours.

Les factieux ont refusé d'ouvrir le cadenas qui maintenait les chaines. Les pompiers attendaient sans intervenir la résolution du problème. Les résidents du stade ont donc décidé de rompre la chaine en s'aidant d'une barre de fer. La police est enfin arrivée sur les lieux et n'a pu que constater la tournure des évènements.

La dame a été prise en charge et transportée à l'hôpital.

----------------------------------------------Notes

1. Alexis Duclos, "Je vais faire du Wuambushu tout le temps", Mayotte-hebdo, le 6 mars 2024, lien ici.

2. Daniel Gros, "Chronique de l'inhospitalité", sept épisodes, dans le Club de Médiapart.

3. selon la formule consacrée.

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Photographies

Illustration 2
Portail enchainé © Collection daniel gros
Illustration 3
Population séquestrée dans le campement, le 17 mars © Collection daniel gros
Illustration 4
arrivée des secours et portail verrouillé © Collection daniel gros
Illustration 5
transport de la femme blessée © Collection daniel gros
Illustration 6
Ouverture du portail © Collection daniel gros

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