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Le préfet de Mayotte, délégué du gouvernement, mène une lutte acharnée contre l’habitat informel, malgré la dévastation causée par le cyclone Chido du 14 décembre 2024, qui n’a épargné que 23% du bâti sur l’île[1].
Depuis le début de l’année, il a signé cinq arrêtés de démolition. Quatre ont ciblé les quartiers pauvres peuplés principalement de Comoriens et de Mahorais. Mais le pire est réservé aux demandeurs d’asile venus du continent africain, notamment de la région des Grands Lacs, de Somalie et du Soudan.
Placés sous protection internationale en vertu de la « Convention relative au statut des réfugiés » de 1951, ratifiée par la France en 1954, ils subissent sans relâche le harcèlement des autorités.
Ainsi, le 28 septembre 2025, un arrêté « portant évacuation et destruction du campement La Guinguette à Tsoundzou 2 », a été pris sans référence au statut particulier de demandeurs d’asile des occupants[2]. Plus grave, le préfet considère que : « Le passage du cyclone Chido a entraîné, comme conséquence, la détérioration du parc de logement dans des proportions significatives. Au regard de ces circonstances locales, à ce jour, l’état de ce parc présente des possibilités d’hébergement insuffisantes. Cette saturation du parc ne permet pas de réaliser des propositions de relogement à l’ensemble des occupants. » Heureuse opportunité offerte par la loi Refondation promulguée le 11 août 2025 !
Le campement a été démantelé le 23 octobre et les occupants mis à la rue sans secours.
« Les gens ont pris l’initiative de construire au bord de la route de petits bangas pour s’abriter. C’était la seule solution vu la circonstance et, puis aussi le climat. Mais la police est venue ce matin pour démolir ces bangas. Alors on va voir ce soir comment tous ces gens vont trouver encore des abris », se confie un réfugié venu de Doha, en République démocratique du Congo.
Le 13 novembre en effet, les agents de la municipalité ont procédé à la démolition des abris suite à un arrêté préfectoral pris la veille, « portant interdiction de constructions, installations et occupations informelles sur le domaine public, lieu-dit Coallia[3] ».
La maltraitance des populations venues d’Afrique semble une tradition bien française et une spécialité mahoraise.
Dès leur arrivée à Mayotte, elles sont orientées vers les locaux de l’association Solidarité Mayotte missionnée pour assurer le premier accueil des demandeurs d’asile (SPADA). L’absence de tout dispositif d’hébergement les contraint de s’installer sur les trottoirs qui bordent le bâtiment où s’est formé au fil du temps, depuis 2018, le campement dit de Massimoni. La municipalité de Mamoudzou refoule périodiquement les réfugiés qui s’éloignent avec les biens que leurs bras peuvent contenir, et fait place nette. Ils reviennent après le départ des agents et remontent petit à petit le campement.
En été 2023, les nouveaux-venus se sont installés dans le stade de Cavani, à quelques encablures de là.
Alors commença une crise aux fondements xénophobes particulièrement aiguë.
Le 9 décembre 2023, le président du Conseil départemental, propriétaire du stade, a demandé au Tribunal administratif l’autorisation d’évacuer le campement, assuré de son bon droit sur la parcelle. Par une ordonnance du 26 décembre, le juge des référés a rejeté la requête au motif que « les occupants des lieux se déclarent originaires du Rwanda, du Congo, de l'Éthiopie, du Burundi ou de Somalie, et qu’ils prétendent disposer du statut de réfugiés politiques ou, a minima, de demandeurs d’asile […] Dans ces conditions, et alors que le Département de Mayotte ne fait également valoir aucune proposition de relogement des intéressés, sa demande de libération du stade Cavani ne présente pas un caractère d’urgence, sans qu’y fassent obstacle les conditions sanitaires particulièrement dégradées des lieux. Par suite, il y a lieu de rejeter la requête dans toutes ses conclusions[4] ».
Une telle décision, dans un État de droit, devrait mettre fin au débat et rappeler aux autorités leurs obligations à l’égard des personnes attaquées. Hélas, elle a, à l’inverse, causé une grave crise politique animée par « les Forces vives de Mayotte ». Ce mouvement aux mobiles xénophobes est parvenu à paralyser l’économie mahoraise durant deux mois en barrant les routes et contrôlant la circulation.
Le ministre de l’Intérieur de l’époque s’est alors étrangement converti au légalisme : « Il y a des gens qui sont réfugiés, qui sont reconnus comme réfugiés, je vais donner comme instruction de pouvoir les rapatrier dans l’Hexagone, il y a une quarantaine de personnes… On a reconnu qu’ils avaient le droit à l’asile et mon travail est de les protéger désormais[5]. »
Paroles fortes dont le préfet de Mayotte se fit l’écho : « Il est inacceptable aujourd’hui, dit-il, que vis-à-vis de gens qui sont protégés par la France parce que persécutés politiques dans leur pays, nous soyons confrontés de la part d’un certain nombre de gens à des menaces physiques et verbales qui mettent en péril à la fois la vie et la santé des gens que la France a décidé de protéger, qu’elle a décidé d’accompagner en métropole conformément à l’engagement de protection qu’elle a pris[6] ».
Le démantèlement du campement fut alors très progressif et mené dignement : des familles ont été hébergées ; environ 400 réfugiés ont été transportés en métropole.
Hélas, brève fut l’embellie.
À la faveur de la nomination d’un nouveau préfet, l’État a revu sa politique et renoua avec ses vieux démons : le 21 mars 2024, il rasa le campement de Cavani-stade et mit littéralement les occupants à la rue, sur les trottoirs avoisinants[7].
Le 22 avril 2024, le campement de Massimoni, aux abords de Solidarité Mayotte, fut attaqué et incendié par des groupes de villageois organisés en milice pour détruire et piller les habitations de fortune des réfugiés[8]. Les responsables ne seront jamais inquiétés. Car l’État n’entend pas protéger -- ni leur accorder le droit à la justice -- les étrangers venus à Mayotte, trompés par la réputation de patrie des droits de l’homme dont la France se flatte. Il ne poursuit pas les criminels qui s’attaquent à ces personnes vulnérables quand elles sont étrangères.
Le 10 juillet 2024, la préfecture évacue par la force tous les migrants africains installés sur les trottoirs de Cavani[9].
Commence alors le début de l’épisode Coallia, du nom du centre d’hébergement géré par Coallia à Tsoundzou 2 près duquel ont pris l’habitude de se regrouper les « misérables » délaissés par l’État.
Depuis le cycle infâme se répète, désespérément.
Seul le cyclone Chido a apporté un moment de répit quand les établissements scolaires furent ouverts à l’intention des sinistrés. Les réfugiés africains se sont regroupés principalement au lycée Bamana de Mamoudzou, d’où ils furent déplacés vers le collège de Kwale à Tsoundzou le 20 janvier 2025[10].
Quinze jours plus tard, le 3 février, le collège est évacué de ces occupants placés dans un car et déposés à Passamainty sans autre forme de procès[11]. Les réfugiés n’ont trouvé d’autres solutions que de se rendre au lieu-dit Coallia, devenu à force le point de ralliement de tous les réfugiés sans abri de Mayotte, attirés par la présence solidaire de leurs compatriotes plus chanceux logés dans le village relais voisin.
Le 7 février, le préfet publie un arrêté « portant mise en demeure de quitter les lieux aux personnes occupant le domaine public » à Tsoundzou 2[12]. Mais les services de la préfecture, appuyés par l’association Acted, ont enfin installé les occupants du secteur Coallia vers le terrain dit La Guinguette.
Voilà l’endroit d’où le préfet vient de les chasser le 23 octobre dernier sous le motif de toute évidence fallacieux d’occupation illégale, puisqu’il les y avait lui-même installés.
Retour donc des demandeurs d’asile livrés à eux-mêmes de retour sur le terrain vague à proximité de Coallia.
L’histoire se répète sans fin.
Le 12 novembre donc le préfet signe un arrêté « portant interdiction de construction, d’installations et occupations informelles sur le domaine public, lieu-dit Coallia ». Pour bien dissuader les miséreux de s’obstiner, il se fend d’un article quatre qui précise que : « toute infraction au présent arrêté expose son auteur à des poursuites pénales et à des sanctions administratives prévues par la législation en vigueur[13]. »
Pour bien marteler -- s’ils n’avaient pas compris - que les réfugiés n’avaient rien à attendre de l’État français, le délégué du gouvernement précise que l’arrêté est valable dans un rayon de trois kilomètres pour une durée de six mois.
Que propose-t-il, en matière de dignité et de traitement humain, à ces personnes sans cesse ballotées, maltraitées sous ses ordres, qui soit conforme aux obligations internationales ?
Rien.
Sauf l’enfer de sa férule.
_______________NOTES
Ce texte reprend la tribune publiée par le journal l'Humanité le lundi 17 novembre sous le titre : "A Mayotte, la France détruit les abris des réfugiés et écrase les plus pauvres", lire ici. La tribune mise à jour est ici augmentée d'un appareil de notes de références.
[1] Sénat, documents préparatoires à l’élaboration de la loi Refondation Mayotte. Celui de la Commission des Finances, ici ; celui de la commission des affaires sociales, ici ; celui de la commission des affaires économiques, ici.
[2] Recueil des actes administratifs de la préfecture de Mayotte, le 28 septembre 2025, lire ici.
[3] Idem, le 13 novembre 2025, lire ici.
[4] Tribunal Administratif de Mayotte, Décision du 26 décembre 2023, 335 C, n° 2304977.
[5] « Le camp de migrants installé au stade de Cavani sera démantelé annonce ce mercredi le ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin. » Mayotte la 1ère, le 18 janvier 2024, lire ici.
[6] « Le préfet de Mayotte demande la levée des barrages », Youtube, le 26 janvier 24, lire ici.
[7] Jéromine Doux, « REPORTAGE. “On dort sur des cartons: à Mayotte”, environ 150 personnes du camp de Cavani à la rue », Le 3 avril 224, Ouest France, lire ici.
[8] « Délinquants et villageois se regroupent pour dépouiller et détruire les habitations de fortune des migrants à Cavani et Massimoni ». Le 22 avril 2024, Gazeti, lire ici.
[9] Lisa Morisseau, « Le camp de Cavani à nouveau démantelé partiellement », le 11 juillet 2024, Mayotte Hebdo, lire ici.
[10] Raphaël Cann, « Une partie des migrants hébergés au lycée Younoussa Bamana ont été évacués par la police », le 21 janvier 2025, Mayotte la 1ère, lire ici.
[11] « Evacués du collège de Kwale, les exilés laissés pour compte en bord de route », le 5 février 2025, Le Journal de Mayotte, lire ici.
[12] Recueil des actes administratifs de la préfecture de Mayotte, le 7 février 2025, lire ici.
[13] Voir lien note 3.