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Un billet de Rozemine Bacar
J’habite dans la commune de Bandraboua à Dzoumogné, plus précisément dans un quartier très éloigné du carrefour, dans un quartier où il n’y a pas d’eau ni d’électricité, où il n’y a ni magasin ni boutique. On vit dans des petits "banga"[1] en double tôles. Il est impossible de prendre des distances de 1m50. Je vis dans un quartier où le confinement est presque impossible à vivre. Pourtant les habitants font tout ce qu’ils peuvent pour respecter les consignes des autorités.
Nous rencontrons beaucoup de difficultés au quotidien mais cette période a empiré les choses. A titre d’exemple, une voisine a 3 enfants, deux en forme, le troisième est handicapé. Elle ne peut même pas sortir pour aller demander de l’aide, pour s'occuper de lui.
Et je rappelle qu’on n’a même pas l’eau ni l’électricité. Avant le confinement, l’eau, on partait la chercher dans les rivières et l’on devait passer par le carrefour de Dzoumogné. Ce qui n'est plus possible.
On vit dans un endroit où on n’arrête pas de recevoir des lettres d’expulsion. Ce n’est pas l’envie de partir qui manque à certaines familles mais pour aller où ? Voilà la question. Donc depuis le confinement la situation est devenue extrêmement difficile.
Avant le confinement, les familles ici se serraient les coudes pour subvenir aux besoins les uns des autres, mais le confinement a tout changé. Certains vivent dans la peur avec cette maladie : imaginez-nous donc avec cette situation.
On nous dit : « on vous aidera » pourtant on ne voit personne venir vers nous. Lors des réunions politiques et des meetings de propagande, j’ai entendu beaucoup de candidats d’ici dire : « on aidera tout le monde ». Pourtant récemment ici il a été précisé que seuls celles et ceux qui ont la carte de séjour de 10 ans, ou la nationalité seront aidés et soutenus. Pas les autres. Des familles ont fondu en larme, même moi j’ai eu pitié.
Il y a deux jours, on nous a dit de descendre au collège de Dzoumogné, que des bons d’achat seraient distribués. Une fois sur place, le principal du collège nous a répondu : « je ne sais pas ce que vous venez chercher, moi je ne suis là que pour distribuer les devoirs des élèves ».
Je n’arrive même plus à regarder ma mère en face. Chez moi on vit en famille, ma mère, moi et mes 9 frères et sœurs parmi lesquels deux sont simplement des cousins que ma mère élève. On n’est pas les seuls ici dans ce quartier. On est nombreux.
Je suis contente de m’exprimer, dire ce qui reste au fond de moi. Ça me soulage un peu.
Moi j’ai 20 ans, je suis étudiante à l’université au CUFR de Mayotte.
A Dzoumogne, au carrefour, le confinement est moins respecté par les jeunes. Mon frère par exemple, il a 15 ans, il est obligé de sortir le soir, il va chasser des hérissons, pour les vendre le lendemain au carrefour. De cette façon il pourra ensuite amener un 1 kilo de mabawa [2] à la maison. Il n’est pas le seul, c’est tout un groupe de jeunes garçons qui se débrouillent de cette façon.
Ici, le virus, beaucoup prennent ça pour une blague, que c’est seulement la dengue qui se propage à Mayotte. D’après les rumeurs, les autorités veulent juste nous forcer de rester à la maison. De toute façon, dans mon quartier, on n’a pas le choix, on est obligé de sortir.
Chez nous ici, on manque de tout, de nourriture, de l’eau et de l’électricité. Cela m’attriste profondément quand les politiciens se baladent pour qu’on vote pour eux, ils font des allez retour, alors on nous parle, on nous promet, une fois les élections passées, on ne voit plus personne.
Quand je vois que la voisine n’a rien à se mettre sous la dent, qu’elle ne peut pas nourrir ses enfants, qu’elle ne peut pas même pas sortir car elle n’a pas les papiers nécessaires pour pouvoir amener son fils handicapé à l’hôpital !
On ne peut même pas laver nos vêtements, faire la vaisselle normalement, même pour aller aux toilettes on y réfléchit à dix fois avant d’y aller juste à cause du manque d’eau.
Ici la situation est vraiment très difficile, on se colle, on se touche, on dort à 3 dans un même lit, on mange ensemble en prenant la nourriture dans un même plat pour que au moins tout le monde puisse manger. Et il n’y a pas que chez moi. Partout ça se passe comme cela.
Les autorités nous disent de respecter les consignes, elles nous disent de ne pas sortir. On comprend et chez moi on en parle tous les jours de ce problème, mais c’est la situation qui ne nous permet pas de suivre les consignes de A à Z.
Nous, au moins, par mes frères et mes sœurs français, on touche de l’argent de la CAF. Mais ma mère ne peut même pas quitter Dzoumogné pour aller jusqu’à Petite-Terre où vit mon beau-père pour récupérer l’argent. Et depuis qu’il est parti de la maison, même un sac de riz, il ne nous le donne pas, bref…
Dans mon quartier on est entouré d’arbres, surtout des cocotiers. On ne voit personne. Personne ne vient nous demander nos besoins, même pas pour faire semblant.
J’ai beaucoup à dire au sujet des étudiants comme moi qui sont confinés à la maison avec les problèmes de connexion, d’électricité, et tout le reste la faim et le manque d’eau. En ce qui me concerne, j’ai l’impression que je fais une année pour rien. Le pire, il n’y a tellement rien qu’on doit payer l’eau et l’électricité avec la bourse que je touche pour mes études.
Avant le confinement, j’ai été gravement malade. Je ne sais même pas si c’était la dengue. Je me suis soignée avec les remèdes de la médecine locale. Je n’ai pas pu justifier mes 9 absences avec un certificat médical. Du coup, on m’a retiré ma bourse. Quand je suis allée au bureau pour m’expliquer, on m’a considérée comme une vermine tout juste intéressée par l’argent.
Certes j’ai besoin de cet argent pour mes études et pour aider ma famille. Mais voilà je ne vais pas me plaindre. Je suis fatiguée de voir les gens et entendre dire « on vous aidera, on va vous aider ». Et après il ne se passe rien !
J’ai beaucoup à dire, mais si ça n’intéresse personne, si les gens ne m’écoutent pas, si c’est pour faire décoration, non je ne suis pas partante.
* * *
Notes
[1] "Banga," dans la langue locale signifie maison d'une seule pièce, d'où le dérivé "bangani", petite cabane d'une pièce dans la cour où se préparent les repas, traduit par la "cuisine". Par extension, les locuteurs qui n'y habitent pas nomment "les bangas", les ensembles d'habitations en tôles installés en lisière des villages.
[2] Bawa, pl. mabawa, aile. Par extension ailes de poulet dont sont friandes les populations pauvres et qui constituent souvent leur seul apport en protéines. Avec un sac de riz, et un carton de mabawa, on s'en sort.

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