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Retraité. Ancien Cpe du Lycée de Mamoudzou. Référent de la Ligue des droits de l'homme à Mayotte.

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Billet de blog 25 février 2024

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Chronique de l'inhospitalité /7 - « On regrette que les Mahorais soient en colère »

Alors que les forces vives exigent la fin d'un apartheid législatif néfaste et inique, le gouvernement l’accentue avec la fin du droit du sol à Mayotte. L’esquisse d’une politique progressiste est vite balayée contre la promesse de débarrasser les Mahorais des Africains honnis. Que penser d’un pays où la xénophobie réussit là où échouent les associations humanitaires ?

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Fidèle au format des chroniques, ce billet se décline en deux parties : un texte de l'auteur et le témoignage d'un jeune homme célibataire qui cohabite sous le même abri avec un groupe d'une dizaine de jeunes hommes de sa condition.

Illustration 1
Sous la pluie, camp de Massimoni. février 2024 © daniel gros

Les forces vives de Mayotte se sont brisées sur un écueil ; un groupe d’irréductibles entend maintenir les barrages qui paralysent la vie socio-économique de l’ile jusqu’à la déclaration par le gouvernement de l’état d’urgence sur Mayotte afin de protéger la population contre l’insécurité endémique imputée à la délinquance juvénile d’origine comorienne.

Or dans le même temps où les hésitations sur la levée ou le maintien des barrages routiers opposaient les partisans du respect de la parole donnée et d’autres refusant de céder sur les questions de sécurité, le tribunal judiciaire condamnait à quatre ans de prison ferme deux « barragistes » reconnus coupables d’avoir commandité le caillassage de la gendarmerie de Sada dans la nuit du 28 au 29 janvier1. Cet énième fait de délinquance qui rythme et pourrit la vie des habitants de Mayotte avait valu à leurs jeunes auteurs de croupir depuis déjà quinze jours en prison pour une peine équivalente.

Paradoxalement, les forces vives sont vent debout contre la condamnation d’honorables pères de familles, hommes sans histoire, impliqués dans la vie de la commune, et demandent l’élargissement de leurs copains. Ces bourgeois respectables ont envoyé en prison, par leur sottise, quelques jeunes gens auxquels ils avaient promis des récompenses pour leur forfait. Les avocats ont déposé appel2. Les jeunes, pourtant manipulés,  ne bénéficient pas d'un tel soutien.

Dès vendredi 16 février, alors que les forces vives débattaient sur l’avenir de leur mouvement, l’annonce de la sentence a convaincu la base de poursuivre le blocage de l’ile de Mayotte3. Les jusqu’au-boutistes auraient fait scission sous la bannière des forces du peuple. Par ce coup, ils se sont coupés des élites politiques qui animaient le mouvement, assuraient la communication, maintenaient les liens avec les élus locaux, eux-mêmes soumis aux décisions d'un comité des sages, et plaidaient pour une trêve, une fois reçue la lettre d’engagement du ministre de l’intérieur et de la ministre de l’outre-mer.

Lundi 19 février, la levée des barrages une fois proclamée, les communes de brousse résistent et décident de maintenir la pression jusqu’à la déclaration par le gouvernement d'un état d’urgence pour Mayotte. Quand une population en vient à exiger contre elle-même un état d’exception qui restreint les libertés publiques, qu’elle décide de renoncer à ses droits les plus fondamentaux, ne marque-t-elle pas son souhait de changer de régime politique ?

Mayotte semble emportée par des poussées mortifères : les barrages ruinent l’économie de Mayotte par des pulsions suicidaires menées par les agents de la fonction publique nationale et territoriale, ceux précisément dont les revenus ne dépendent pas de la santé économique de l’ile, contrairement aux salariés du privé.

Pourtant un moment de la lutte semblait prendre un tournant plus contestataire et démocratique vers des revendications progressistes sur le plan social. Le premier point du communiqué de presse fondateur des forces vives de Mayotte demandait la fin de l’apartheid législatif que subit Mayotte : « La fin de l'apartheid législatif et réglementaire à Mayotte : Actuellement, Mayotte est administrée par des mesures législatives d'exception imposées et défavorables, ce qui entraîne une différence de traitement injuste4 », à commencer par l’interdiction de circuler sur l’ensemble du territoire national faite aux étrangers en situation régulière. La revendication de la fin de la territorialisation du titre figure en second point dans l’ordre des priorités du communiqué des forces vives : « La fin du séjour territorialisé : Cette mesure favorise les tensions sociales à Mayotte, en concentrant une population souvent précaire sur une ile limitée en ressources. »

Outre le droit des étrangers, largement dérogatoire, qui empile les exceptions au fil du temps, le droit applicable à l’ensemble de la population accumule les inégalités dont le Monde a dressé la liste complète dans un article du 13 février 2023 : - un smic inférieur au niveau métropolitain ; un revenu de solidarité active (RSA) au rabais ; des conditions d’octroi drastiques des minima sociaux pour les étrangers ; une sécurité sociale propre à l’ile ; un système de retraite autonome ; le préfet peut expulser les occupants et faire démolir un bâtiment sans décision de justice ; une laïcité à géométrie variable5.

Hélas les forces vives ne se sont pas arc-boutées sur l’exigence de justice. La fin de ce qu’elles nomment judicieusement l’apartheid législatif esquissait la possibilité d’une politique propre à attaquer de front la pauvreté endémique qui gangrène la vie quotidienne de tous les habitants de Mayotte, sans mettre nécessairement de côté des étrangers exclus de la solidarité nationale et en acceptant de reconsidérer les relations avec les autres iles de l’archipel.

Mais qu’ont-elles obtenu avec l’assentiment gourmand des parlementaires du département6 ? Le ministre de l'intérieur en remet une couche en s'attaquant au droit du sol à Mayotte.

Le gouvernement français excelle dans l’art d’esquiver les problèmes sociaux et de ramener toutes les problématiques aux questions migratoires. Pourtant les forces vives avaient tenté de résister à cette pression rappelant qu’elles n’étaient pas demandeuses de la suppression du droit du sol : « Nous ne voulons pas du conditionnement de la suppression du titre de séjour territorialisé par le changement constitutionnel. C'est là où il voulait nous avoir. Le changement du droit de sol n'est pas la demande des Mahorais aujourd'hui7 ».

Mais c’est peine perdue.

Nul n’ignore que le campement de réfugiés africains aux abords du stade de Cavani fut à l’origine de la crise et de la méfiance déclarée envers « la stratégie de l’État consistant à exercer une pression sur nous à travers des injustices et un climat d’insécurité ». Aussi les forces vives lancent-elles un « appel à la justice, à l’équité et à la dignité pour tous les habitants de Mayotte ». Pourtant l’expression « les habitants de Mayotte » qui dépasse la population mahoraise, peut inclure les voisins comoriens et les demandeurs d’asile de passage venus d’Afrique.

La quatrième condition du communiqué inaugural des forces vives contredit la lucidité présomptueuse déclarée en préambule qui prévenait que : « cette fois-ci, nous refusons de nous laisser berner par des demi-mesures et des manœuvres trompeuses ». Le point quatre en effet concerne les réfugiés africains dont le camp de Cavani stade symbolise la présence honnie. « Opposition aux camps de migrants sur le territoire de Mayotte : Nous demandons le démantèlement immédiat du camp de Cavani et nous opposons à tout transfert de migrants d'un lieu à un autre au sein de Mayotte ».

L’obsession xénophobe qui sous-tend les luttes mahoraises n’a pas échappé au gouvernement qui, profitant immédiatement de l’aubaine, s’est engagé sur les seuls points de la lutte contre l’immigration clandestine. Même la demande de mettre fin à l’apartheid législatif dont souffrent toutes les couches de la population s’est réduite à l’engagement de déterritorialiser le titre de séjour délivré à Mayotte, en contrepartie d’une réduction de 90% des régularisations administratives facilitée par la suppression du droit du sol et la disparition progressive du titre de séjour en tant que parent d’enfant français8.

Pourtant le droit du sol avait été sévèrement écorné par la loi Asile du 10 septembre 2018. Ainsi en 2018, 2800 enfants avaient « obtenu la nationalité au titre du droit du sol à Mayotte. Ils n’étaient plus que 799 en 2022, selon le ministère9 ». Modifier la constitution et trahir une tradition française séculaire pour exclure de la République un nombre d’enfants aussi dérisoire semble relever plus de la psychiatrie que de la gestion politique.

En effet, l’État français administre Mayotte selon les procédés d’écriture des mauvaises séries, ajoutant à des décisions antérieures ratées un énième épisode tout aussi désespérant. De la même manière qu’il surenchérit indéfiniment sur des lois antérieures jugées insuffisantes, sans doute satisfait du succès médiatique d’un premier Wuambushu, il prévoit un Wuambushu 2 qui augure des jours noirs pour une population frappée par des crises sans fin.

Le ministre de l’intérieur hoquète. L’obsession de séparer Mayotte de son environnement géographique et humain le porte vers un imaginaire mortifère borné : droit du sol, Wuambushu 2, rideau de fer dans l'eau qui empêchera le passage des kwassa kwassa et des bateaux, lutte contre "des filières d'immigration irrégulière venant notamment de l’Afrique des Grands Lacs10 ».

Pour la première fois, des leaders issus de la population mahoraise esquissaient des réformes innovantes au bénéfice de tous. Si la dénonciation de l’apartheid législatif vaut pour l’ensemble de la population sans discrimination, sans doute des solutions porteuses d’avenir adviendront un jour. Aligner sans exception les prestations sociales sur les niveaux de celles servies sur l’ensemble du territoire national, aussi bien pour les populations étrangères que pour les nationaux, réduiraient d’emblée la dépendance de la moitié de la population à l’exploitation par l’autre. Mais qui souhaite réellement cette orientation ?

Les gouvernements s’obstinent à reporter sans fin les réformes structurelles qui auraient une chance d’améliorer les conditions de vie de chaque habitant et à durcir au fil du temps les mêmes politiques anti-migratoires.

La xénophobie, à l’origine même de la crise sociale, cristallise tous les ressentiments alimentés par un long délaissement. L’historique de l’installation du camp de migrants accuse à la fois la politique anti-migratoire mise en œuvre à Mayotte depuis des générations et les crispations que cette politique génère dans la population.

Le refus de l’administration de mettre à l’abri et de veiller à la sécurité des réfugiés a incité ces derniers à chercher des solutions réalistes à la misère, l’insécurité et l’insalubrité auxquelles ils sont confrontés. Les espaces non aménagés du stade de Cavani, à proximité des locaux de l’association missionnée pour l’accueil et l’accompagnement juridique des demandeurs d’asile, offraient un lieu d’installation optimal compte tenu de l’abandon absolu dans lequel se sont retrouvées ces populations.

Est-il surprenant que les motivations originelles des forces vives reviennent au terme d’une crise inédite à leur point de départ ? 

Les crispations xénophobes formées autour du campement ont directement conduit à la crise actuelle et à la stratégie des barrages comme moyen de lutte contre l’État, accusé de privilégier les migrants à la population mahoraise. L’intervention du ministre de l’intérieur depuis l’ile de La Réunion avait mis le feu aux poudres : certes il a annoncé avoir donné instruction au préfet de procéder sans délai à la démolition du camp de Cavani. Mais pour la première fois dans ce débat est évoquée la dimension humaine de l’opération. Jusqu’alors en effet, les exigences de démantèlement ne parlent que d’abris et de taudis à raser sans considérer les habitants. « Il y a des gens qui sont réfugiés, qui sont reconnus comme réfugiés, je vais donner comme instruction de pouvoir les rapatrier dans l’Hexagone, il y a une quarantaine de personnes […] On a reconnu qu’elles avaient le droit à l’asile et mon travail est de les protéger désormais11 ».

« Mon travail est de les protéger désormais ». Cette phrase inattendue, qui fleure l’humanisme et le droit-de-l’hommisme honnis, a entraîné Mayotte dans un ressentiment aigu contre la France, son protecteur historique : fermeture des administrations et des associations, barrages routiers, paralysie de l’ile, concessions du gouvernement sur toutes les revendications xénophobes, surenchères de part et d’autre : rien n’y a fait. Débuté le 25 janvier, le démantèlement du camp de Cavani est rapidement suspendu en raison de la paralysie de l’ile empêchant volontairement tout transfert des résidents du stade vers les lieux d’hébergement. Pour les forces vives de Mayotte, rien n’est négociable : les Africains sont persona non grata. La seule mention du paramètre humain devient un casus belli.

Pourtant le devoir de protection que rappelle le ministre de l’intérieur n’excède pas le strict minimum à laquelle la situation de crise le contraint : débarrasser Mayotte des Africains et s’en donner les moyens. Aucun adoucissement de la politique migratoire n’est mis en œuvre. Rien ne vient bouleverser les connivences sur les questions de migration qu’il partage avec les forces vives et les élus locaux. Voici un mois que le démantèlement du camp est gelé en raison des barrages routiers, voici un mois que les migrants se sont confinés à l’intérieur du camp qu’ils ne quittent qu’avec appréhension pour la recherche de petits boulots rémunérateurs et de soutien et pour le ravitaillement12. Mais à l’intérieur du campement, la famine guette, les privations durent plusieurs jours, les gens sont épuisés, les maladies de peau se multiplient, les infections gastriques dues à l’eau trouble d’une rivière en fin de course qu’ils sont condamnés à utiliser pour l’hygiène et les repas. Sans parler des agressions dont ils sont victimes sur la voie publique, jusqu’à l’intérieur du campement. Le devoir de protection ne comprend pas la dimension de soin, d’accès à l’eau, à l’hygiène, à la nourriture, à la sécurité13.

Alors chacune, chacun, depuis un mois, attendent que les agents de la préfecture viennent les chercher, un par un, famille par famille, pour les transporter soit à l’aéroport pour un vol vers la métropole ou dans un hébergement d’urgence en espérant l’obtention du statut de réfugié et le grand départ.

Dans le dénuement le plus absolu, la peur, et l’espoir.

Depuis trois ans au moins, les « droits-de-l’hommistes » accompagnent les migrants condamnés à la rue devant le tribunal administratif afin que le juge des référés rappelle le préfet, délégué du gouvernement, à ses obligations internationales de protection des demandeurs d’asile. A chaque fois le préfet condamné loge les requérants mais refuse de mettre à l’abri l’ensemble des réfugiés laissés pour compte. Les requêtes devant le juge étant individuelles, il faut se remettre sans cesse à l’ouvrage.

Que penser d’un pays où la xénophobie réussit là où les associations humanitaires échouent ?

Mettre à l’abri et en sécurité les demandeurs d’asile le temps de l’instruction de leur demande ; transporter par centaines les réfugiés statutaires vers l’Hexagone en réalisant en quelques mois les procédures administratives qui prenaient auparavant des années, maintenant malgré eux les migrants sur l’ile inhospitalière.  

*   *   *

Suit le témoignage, à la fois douloureux et désabusé, d'un jeune homme célibataire, ayant fui les guerres de l'est de la République Démocratique du Congo et du nord Kivu.

Nous sommes dans le camp de Cavani, et je vais dire les problèmes que nous avons ici dans le camp. Nous sommes dans les difficultés. Et nous sommes venus ici dans le camp parce que quand on obtient les papiers ici à Mayotte, Solidarité nous a donné une maison pour trois mois. Au bout de ces trois mois, c’est fini, tu es sorti dehors. Tu appelles le 115 pour avoir un toit mais il n’y a jamais de place. Si quelqu’un arrive à obtenir un hébergement d’urgence, c’est seulement pour 21 jours et après ces 21 jours, il n’y a aucune place où aller, tu es mis dehors.

On est venu ici au camp de Cavani parce qu’il n’y a aucune place où aller. Nous nous organisons pour vivre ensemble avec les autres, pour faire une communauté. On essaie de survivre ici. Tous ensemble, on peut avancer un peu jusqu’à ce qu’on obtienne nos papiers. A l’extérieur, ce n’est pas là que tu trouveras de la chance car le Mahorais ne veut pas te donner la moindre chose. Le travail, on ne peut rien trouver, on est venu ici dans le camp pour se regrouper et pour se protéger les uns les autres. Nous avons formé un groupe de dix, dans la tente.

Nous pouvons déplacer des tas de sable ou rentrer les parpaings, c’est un travail qu’on nous donnait. Tu peux trouver un petit quelque chose à faire chez l’habitant pour gagner un peu d’argent, et il y a surtout les bons que nous donne Solidarité Mayotte, un bon de trente euros chacun, mais en ce moment la distribution ne peut pas avoir lieu parce que les bureaux ont été fermés par les Mahorais qui ne veulent pas que les associations nous aident.

Même la préfecture a arrêté de nous transporter dans les maisons d’hébergement parce que les Mahorais empêchent de circuler. Et nous sommes toujours ici dans le camp, c’est un grave problème car nous n’avons rien.

Je pense qu’on nous a oublié, nous qui sommes ici dans le camp. Nous demandons qu’on nous vienne en aide ici dans le camp, parce que les mères ne travaillent pas, ne peuvent pas trouver du travail et elles ont les enfants, il faut qu’elles s’en occupent. Il faut qu’on nous apporte des choses. Les enfants ont faim, en plus il y a les maladies, tout le monde et surtout les enfants ont des diarrhées à cause de l’eau qu’on utilise pour la cuisine. Il n’y a aucune hygiène ici, c’est beaucoup trop difficile.

C’est difficile en ce moment de trouver du travail parce que tout est fermé, les routes sont bloquées. On ne trouve plus de travail. Il n’y a plus rien à faire, en plus il y a les délinquants. Donc les petits travaux qu’on nous donnait, il n’y a plus.

Dans le quartier africain, il n’y a aucune sécurité si on s’éloigne. Ton téléphone, ici, tu sais que personne ne va te le voler, quand tu es dehors, il y a toujours quelqu’un qui veut te voler ton téléphone, et toujours quelqu’un qui va te demander un euro et si tu n’as pas il va te taper.

Moi j’ai un ami qui m’aide de temps en temps, il vient de La Réunion, si j’ai faim, en dernière urgence, je peux lui dire, « monsieur j’ai faim ici regarde mon problème ». « Eh mon fils, prends ça et ça ». Et c’est bon, c’est comme ça que je m’en sors.

Mais je pense que tout le monde aurait les moyens de vivre ici. Mais comme moi qui aie trouvé quelqu’un qui m’aide, avec les hommes avec lesquels je me suis regroupé pour vivre ensemble dans la même tente et autour de la même marmite, on met les choses en commun on rassemble notre argent pour aller acheter des choses à Baobab.

Mais c’est aussi devenu difficile à cause des barrages parce qu’ici il n’y a pas de l’eau, le gouvernement donnait des bouteilles d’eau, mais à présent ils ont arrêté, il y a toujours des difficultés pour recevoir de l’eau, nous les Africains ; les Mahorais n’aiment pas nous voir faire la queue. Ils ont cassé les robinets. On n’a plus d’eau. Je vais à la fontaine à carte de Cavani sud, il y a une association qui nous a apporté des cartes pour aller chercher de l’eau. Elle nous donne aussi des médicaments contre la diarrhée, mais les diarrhées n’arrêtent pas car je ne sais pas mais on utilise l’eau de la rivière. On n’a pas vraiment le choix. On va à la fontaine pour l’eau à boire. Mais c’est loin et on ne peut pas en apporter beaucoup. On cuisine avec l’eau de la rivière, puisqu’elle bout on pense que ça va aller mais ce n’est pas certain.

Les Africains ici, ils pensent que le gouvernement doit accélérer les procédures, pour recevoir les papiers et puis partir. On attend, on patiente, c’est long, on souffre. On regrette que les Mahorais soient en colère contre nous parce que jamais on n’a eu l’intention de les déranger ni de leur faire du tort. Nous sommes à Mayotte parce qu’il a fallu qu’on quitte notre territoire, on voulait simplement quitter la guerre, les dangers et la mort.

C’est la vie qui a voulu qu’on vienne ici. C’est tout. Mais il faut que le gouvernement nous aide et se dépêche, car nous sommes à nouveau en danger ici. La faim est terrible, nous ne mangeons pas, nous ne trouvons rien, tout devient de plus en plus difficile à cause des agressions quand nous sortons, nous avons peur. Et puis notre santé est en péril. Les problèmes d’hydratation sont compliqués à régler, surtout pour les enfants qui souffrent. Il faut boire beaucoup d’eau propre et nous n’en avons pas.

Il nous faut rapidement les documents pour trouver du travail et enfin vivre et manger, et si possible aller en métropole. Ici les difficultés pour trouver quelque chose à manger, nous ne trouvons rien, j’ai terminé de parler.

 *   *   *

_________________________NOTES

[1] Djamila K. « Les assaillants de la gendarmerie de Sada condamnés à 4 ans de prison ferme », 19 février 2024, Gazeti, lien ici.

[2] Marine Gachet, « Barrages : L’union se disloque chez les Forces vives », le 21 février 2024, Mayotte Hebdo, lien ici.

[3] « Les barrages rétablis suite à la condamnation de deux barragistes pour l'attaque de la gendarmerie de Sada », le 16 février2024, Mayotte la première, lien ici.

[4] « Émergence du collectif « Les Forces Vives de Mayotte » en réponse à Gabriel Attal », L’INFO Kwezi, le 25 janvier 24, lien ici.

[5] Romain Geoffroy, Pierre Breteau et Manon Romain, « Mayotte, le département français des exceptions légales », le 13 février 2024, Le Monde, lien ici.

[6] « Fin du droit du sol à Mayotte », le 11 février 2024, France Info, lien ici.

[7] « Fin du droit du sol à Mayotte : "Nous voulons l'état d'urgence sécuritaire" », le 14 février 2024, Mayotte la 1ère, lien ici.

[8] Manon Bernard, « Sans le droit du sol à Mayotte, des enfants « condamnés à devenir des fantômes de la République », le 20 février 2024, L’Obs, lien ici.

[9] « Mayotte : Tout comprendre à l’annonce de suppression du « droit du sol » sur l’île », le 12 février 2024, 20 minutes, lien ici.

[10] Luc Chagnon et Pierre Godon, « Mayotte : Gérald Darmanin promet des propositions de mesures par écrit aux collectifs citoyens avant mercredi », le 11 février 2024, Franceinfo, lien ici.

[11] « Le camp de migrants installé au stade de Cavani sera démantelé annonce ce mercredi le ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin. » Mayotte la 1ère, le 18 janvier 2024, lien ici.

[12] « Peur sur Cavani, le camp de migrants qui cristallise les colères à Mayotte », le 16 février 2024, La Gazette France, lien ici.

[13] Lola Fourmy, « À Mayotte, un camp de migrants au cœur des crispations », le 20 février 2024, RFI, lien ici.

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