daniel gros (avatar)

daniel gros

Retraité. Ancien Cpe du Lycée de Mamoudzou. Référent de la Ligue des droits de l'homme à Mayotte.

Abonné·e de Mediapart

84 Billets

0 Édition

Billet de blog 28 janvier 2024

daniel gros (avatar)

daniel gros

Retraité. Ancien Cpe du Lycée de Mamoudzou. Référent de la Ligue des droits de l'homme à Mayotte.

Abonné·e de Mediapart

Chronique de l’inhospitalité /4- « Vraiment c’est grave pour les enfants »

Paradoxe mahorais : face à la pression populaire résolument opposée à la présence des Africains sur le sol de Mayotte, le préfet qui pendant des années a livré à eux-mêmes les réfugiés venus d’Afrique, rappelle que la France leur doit protection et accueil. « C’est tout à l’honneur de la France et de Mayotte" de les leur assurer. Mais les Mahorais stupéfiés ne l’entendent pas de cette oreille.

daniel gros (avatar)

daniel gros

Retraité. Ancien Cpe du Lycée de Mamoudzou. Référent de la Ligue des droits de l'homme à Mayotte.

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Fidèle au format des chroniques, ce billet se décline en deux parties : un texte de l'auteur et le témoignage d'une mère congolaise dormant à la rue aux abords de l'association Solidarité Mayotte

Illustration 1
Démantèlement du camp, premiers départs © daniel gros

Après une semaine d’agressions contre le campement de Cavani-stade et ses résidents africains, les membres des différents collectifs de citoyens ont obtenu du ministre de l’Intérieur et du premier ministre, l’engagement du démantèlement du camp. Le préfet a exaucé cette promesse le jeudi 25 janvier.

Aboutissement d’une revendication vieille de deux mois, soutenue par le blocage d’administrations territoriales et nationales de plus en plus nombreuses, le début du démantèlement n’a pas calmé les esprits. Au contraire, les collectifs surchauffés se sont engagés dans un bras de fer avec l’État organisant barrages des routes et paralysie de la vie économique et sociale sur l’ensemble du territoire.

Tout a commencé lors de la manifestation rassemblant 300 personnes sur la pelouse du stade de Cavani, démonstration de force concluant une semaine particulièrement agressive.

Dès leur arrivée, les manifestants avaient d’emblée décidé d’arracher les banderoles ornées de slogans humanistes que les migrants avaient accrochées sur les grilles entourant le terrain de foot. Puis ils ont tenté de monter à l’assaut du camp sans réussir à forcer le mur humain que les Africains leur opposaient. La séquence d’un Africain brandissant un drapeau français à travers le campement, l’emblème tricolore flottant dans son sillage, a mis le feu aux poudres. La scène, diffusée sur les réseaux sociaux, fut interprétée comme une provocation et une déclaration d’hostilité1.

Dès le lundi matin, sur les ondes de Mayotte la 1ère, un journaliste local alerte contre la menace d’un grand nombre de ressortissants Somaliens d’autant plus indésirables qu’ils ne parlent que l’arabe et l’anglais, langues peu pratiquées à Mayotte. « Nous voyons maintenant une filière qui utilise tous les circuits et qui charrie sur Mayotte des gens dont on ne connait pas d’où ils viennent véritablement, où vous avez des shababs2, ce sont des gens qui sont aguerris au terrorisme, ce sont des islamistes radicaux, considérés pour la plupart comme des assassins, vous avez d’autres communautés qui arrivent ici qui ont connus des génocides, le Rwanda, etc, le Congo […] Pour déstabiliser le territoire. Il suffit qu’il y ait des shababs, des Somaliens qui sont aguerris à la guerre civile, il suffit qu’il y ait des génocidaires, et il y en a. Hier, quand il y a eu des pourparlers, un des réfugiés a sorti un pistolet. 3 ».

Au même moment, sur une chaine privée concurrente, un membre d’un des Collectif des citoyens évoquait lui-aussi la même menace : « il est arrivé une autre race d’Africains […] eux ce ne sont pas des gens qui rigolent, c’est des gens que je ne vais pas qualifier de terroristes comme il faudrait le faire, mais c’est des gens qui n’ont pas froid aux yeux, qui n’hésitent pas à faire le mal quand il faut. […] Nous ne craignons pas qu’il y ait des armes dans ce camp, dans ce camp il y a des armes. Et nous savons aussi que l’État le sait aussi. […] Ils ont des machettes, ils ont des pistolets. Qu’est-ce qu’ils n’ont pas, c’est là la question. Mais de savoir ce qu’ils ont comme armes, ils ont tout ce qu’il faut pour foutre le bordel dans ce pays. On ne va pas attendre comme d’hab. que ça se passe »4.

L’ile de Mayotte affronte une crise inédite. Alors que depuis des décennies elle se complait dans une redéfinition impossible de son identité à travers le double prisme d’une nationalité française acquise au forceps et d’une mise à distance fictive de ses voisins de l’archipel avec lesquels elle a toujours entretenu des relations étroites, elle se trouve soudain confrontée à des étrangers d’une autre sorte que l’État français ne peut traiter d’une manière aussi cavalière qu’elle s’autorise à le faire à l’égard des Comoriens.

Depuis que la France a posé sa souveraineté sur l’ile de Mayotte, les circulations ancestrales inter-iles se sont transformées en immigrations illégales. Bien que la France traite cette question avec une brutalité devenue coutumière à l’égard des migrants, il s’agit dans ces déplacements moins d’une immigration clandestine que d’une immigration de parenté. Car personne n’ignore qu’entre Comoriens, Mahorais compris, demeure l’entre-soi de gens qui partagent l’essentiel : les traditions, la langue, la religion, les relations de parenté, filiations et alliances, et l’espace géographique malgré le bouleversement dû à la présence française. Ainsi les Mahorais des Collectifs n’ont pas hésité à appeler à la rescousse les Comoriens dans leur combat pour le démantèlement du campement de Cavani-stade, à Mamoudzou. Ils se rappellent opportunément qu’ils forment même communauté face à un étranger absolu.

Dans la lutte contre l’immigration de parenté, ils ont toujours trouvé l’État français à leurs côtés. Et réciproquement l’État français n’est jamais intervenu de façon régalienne dans leurs affaires entre voisins. Il a toujours laissé faire.

Il a regardé sans broncher les opérations de décasages sauvages survenues dans le premier trimestre de l’année 2016 causant le déplacement de plus de 1000 personnes. Des répliques ont eu lieu en mars 2018 sans la moindre réaction des pouvoirs publics ni du procureur, indifférence attestant qu’il s’agit bien dans l’esprit des autorités d’une affaire de famille5.

Il a laissé les activistes anti-comoriens bloquer le bureau des étrangers de la préfecture de Mayotte à plusieurs reprises : de juillet à octobre 2018, durant l’opération du Wuambushu, et actuellement depuis début décembre 2023.

Il a regardé passivement le blocage pendant cinq mois de la Cimade Mayotte, association d’accompagnement juridique des populations étrangères.

Il n’a pas cillé davantage lorsque hôpitaux et dispensaires furent assiégés empêchant l’accès aux soins des populations les plus pauvres, qui hélas ne sont pas qu'étrangères.

Et depuis deux mois, il n’intervient pas contre la fermeture de la quasi-totalité des administrations territoriales et nationales de l’ile, des associations soupçonnées d’apporter de l’aide aux étrangers. Même le cinéma de Mamoudzou ne fonctionne plus depuis trois semaines.

A force de laisser faire, de ne jamais restaurer l’ordre républicain,  le préfet de Mayotte se retrouve piégé dans l’incompréhension des Mahorais les plus revendicatifs. La connivence implicite lorsqu’il s’agissait de lutter contre l’immigration de parenté dont le seul effet semble de maintenir les natifs des autres iles6 dans une situation d’exploitation et de domination qui soulage les Mahorais de la pauvreté endémique, n’a plus cours envers les demandeurs d’asile auxquels la France doit protection. Le préfet de Mayotte, contesté sur son apparente complaisance à l’égard des Africains, s’efforce à un devoir de pédagogie dont il est peu coutumier à destination d’une population qui partage avec l’État la même obsession anti-migratoire. De plus la démonstration parait contre-intuitive aux Mahorais puisqu’à l’évidence les Africains leur apparaissent plus étrangers que leurs voisins comoriens.

De fait depuis lundi 22 janvier, les villageois de brousse, alarmés par les rumeurs les plus folles sur le transfert d’Africains vers leur commune, ont dressé des barrages routiers qui paralysent tout déplacement. Après la fermeture des administrations, le tour est venu aux entreprises et aux commerces de tourner au ralenti. Les hôpitaux et dispensaires, souvent punis par les Collectifs pour prodiguer des soins aux populations étrangères, cette fois assurent le service minimum faute de soignants empêchés de rejoindre leur poste. Les écoles, collèges et lycées, annoncent chaque matin qu’ils ne seront pas en mesure de recevoir les élèves, qui de toute façon ne parviennent pas à monter dans les cars immobilisés derrière les barrages routiers. Comme un malheur ne vient jamais seul, les jeunes gens du voisinage entraînés depuis des mois à des caillassages et rançonnages aussi rapides qu’efficaces sur les routes, semblent par leurs actions prêter mains fortes aux villageois survoltés.

Les collectifs ont prévenu que les barrages routiers seraient maintenus jusqu’au démantèlement complet du campement. La méfiance envers l’État atteint son acmé bien que le Préfet ait annoncé, après le ministre de l’Intérieur et le premier ministre, le début des opérations le jeudi 25 janvier.

Dès le lundi 22 en effet, les agents de la préfecture s’étaient portés à la rencontre des résidents du camp pour les informer des procédures. Ainsi il est prévu que dès jeudi, 17 abris seront démontés par les habitants eux-mêmes, que leurs occupants seront transportés dans un hébergement d’urgence après une enquête sociale réalisée par les salariés de l’association Solidarité Mayotte.

La veille des premières démolitions, les rumeurs les plus folles ont commencé à circuler au sujet du transport des Africains vers le lieu de leur habitation. On imaginait le moindre bateau s’approchant des côtes chargés d’Africains7 ; on était convaincus que les ambulances et véhicules de pompier étaient détournés pour le transport de migrants : on contrôlait donc leurs passagers. Les fantasmes les plus irrationnels se sont libérés. Le village de Passamainty au sud de Mamoudzou où se trouve le siège de la Croix-Rouge fut bloqué jeudi pour empêcher l’arrivée éventuelle de ceux dont personne ne veut comme voisins8.

Mieux, le jeudi 25 janvier, les activistes les plus remontés annoncent par communiqué de presse sous la signature des « Forces vives de Mayotte », cinq revendications dont la quatrième, clairement xénophobe, exige une chose et son contraire : « 4. Opposition aux camps de migrants sur le territoire de Mayotte : Nous demandons le démantèlement immédiat du camp de Cavani et nous opposons à tout transfert de migrants d'un lieu à un autre au sein de Mayotte9 ».

Certains activistes exercent de fortes pressions sur les propriétaires qui louent des logements à des Africains. Ainsi jeudi et vendredi revinrent sur le campement des gens délogés qui pourtant avaient réglé un loyer sans bail pour un mois complet.

Vendredi 26 janvier le préfet lors d’une conférence de presse dit sa façon de penser inhabituelle aux oreilles des Mahorais plutôt encouragés dans leur disposition à l’égard des étrangers :  

« Il est inacceptable aujourd’hui, dit-il, que vis-à-vis de gens qui sont protégés par la France parce que persécutés politiques dans leur pays, nous soyons confrontés de la part d’un certain nombre de gens à des menaces physiques et verbales qui mettent en péril à la fois la vie et la santé des gens que la France a décidé de protéger, qu’elle a décidé d’accompagner en métropole conformément à l’engagement de protection qu’elle a pris10 ».

Déjà auparavant, durant la semaine, le préfet de Mayotte s’était évertué à expliquer à deux reprises dans les médias de Mayotte la situation particulière que représentaient les migrants africains : « c’est une situation particulière qui n’est pas la même que l’immigration qu’on connait.[…] , il y a deux mille migrants africains qui sont arrivés à Mayotte en 2023 […] Et donc aujourd’hui on s’attaque à ça de façon déterminée, et surtout en tenant compte de cette spécificité qui n’est pas du tout le cas de l’immigration malgache et comorienne, de la protection, au contraire pour les Comoriens et les Malgaches il y a de moins en moins de demande d’asile parce qu’elles sont systématiquement refusées et qu’on les traite très vite ».

Le préfet, et le gouvernement dont il est le délégué à Mayotte, ne peuvent s’en prendre qu’à eux-mêmes de la tournure que prennent les événements et de la méfiance de la population mahoraise à leur égard. La politique migratoire brutale à l’origine de la plupart des maux de Mayotte, misère, délinquance, exploitation, n’avantage qu’une fraction privilégiée de la population, celle précisément qui rallie les collectifs factieux. Celle aussi qui fait la pluie et le beau temps et impose son discours anti-comorien sur lequel elle assure sa prospérité. La crise provoquée par la présence des migrants africains bouscule l’ordonnancement dans lequel tout le monde se complait, même les victimes malgaches ou comoriennes du cycle sans fin d’expulsions et de retours auquel elles se savent condamnées.

Que les étrangers absolus que sont les Africains bénéficient de la protection de la France, voilà ce que peinent à concevoir les Mahorais toujours encouragés dans leur relation ambivalente avec leurs frères comoriens : le mélange d’exploitation-solidarité permet aux premiers de sortir d’une pauvreté endémique et aux seconds d’assurer leur survie. Quant aux Africains, ils subissent le rejet le plus complet. Pour les Mahorais qui font une fixation sur cette question : il est hors de question qu’un seul reste sur le sol de Mayotte.

Mais le plus cocasse dans cette affaire semble la leçon donnée au préfet. Celui-ci reconnait aujourd’hui qu’il dédaignait cette question « auparavant parce qu’on n’avait pas les mêmes masses », avouant qu’alors la France ne respectait pas son obligation de protection envers les réfugiés. Régulièrement les demandeurs d’asile déposaient des requêtes devant le tribunal administratif de sorte que le juge de référés renvoie le préfet aux obligations internationales de la France.

Les demandeurs d’asile abandonnés à leur sort sans autre secours qu’un ridicule bon d’achat de 30 euros par mois et par adulte, les enfants réduits à un coupon de 10 euros, n’eurent d’autres choix que de vivre à la rue, sur les trottoirs, sous le soleil et sous la pluie, exposés à l’agressivité des bandes de jeunes dont Mayotte a le secret.

L’installation du campement de Cavani-stade fournit un réel progrès à cette population délaissée. Regroupés en village, les migrants dormaient sous des abris, dans des conditions de vie déplorables certes, mais en sécurité relative assurée par les hommes.

Il a suffi d’un vent de révolte d’une population résolument anti-africaine, pour rappeler l’État à ses obligations internationales. Tel est le paradoxe mahorais.

Ainsi ceux qui étaient condamnés à la misère, à la violence et l’agressivité des populations haineuses, à l’insalubrité, aux maladies dans un campement de fortune dans lequel ils étaient confinés par l’incurie de l’État français, ont vu soudain leur situation s’améliorer du seul fait dérangeant que les Mahorais les rejettent et refusent leur présence sur leur ile.

Le préfet soudain prononce les seules paroles républicaines attendues de la part d’un délégué du gouvernement : les Africains « bénéficient d’une protection de la France, c’est tout à l’honneur de la France et de Mayotte11 » de la leur assurer.

 Pour la première fois, les réfugiés de l'Afrique des Grands Lacs s'estiment correctement traités par l’État, malgré le rejet de plus en plus marqué d'une population qui a perdu toute boussole.

*   *   *

Le témoignage qui suit a été recueilli auprès d'une mère de famille de trois enfants dont un nourrisson. Elle a quitté Goma, ville orientale de la République Démocratique du Congo pour fuir des persécutions ethniques. Elle débarqua à Mayotte après un séjour de six mois en Tanzanie. La dame se confie seulement une semaine après son arrivée. Elle fait face à un abandon total de l’État français dont elle ne s 'attendait pas, à une délinquance de jeunes gens qui n'hésitent pas à trousser les pauvres gens qui vivent à la rue dans des conditions déplorables, et à la haine organisée au sein de collectifs en déperdition.

Ici à Solidarité nous vivons dans la rue. La vie ici n’est pas facile, parce que on n’a pas de maison. Pour la nourriture on se débrouille. Ici on dort à l’extérieur. Quand la nuit, il pleut, on se déplace pour s’abriter, on dort assis, même les enfants, même les bébés. Les bébés sont toujours malades. Quand les enfants sont malades, on ne trouve pas les médicaments. On n’a pas accès à de l’aide pour les médicaments. Parce qu’on n’a pas de papiers.

Et ici à Solidarité, il y a des délinquants, des délinquants qui font les embrouilles pendant la nuit. Ils prennent des bouteilles, ils cassent des bouteilles même tout près des enfants, et les enfants, ça les effraie, ils ont peur. Les enfants souvent ils risquent même d’être blessés, avec des bouteilles, vraiment avec ces délinquants, c’est grave. Quand ils t’attrapent, ils te demandent un euro, quand ils t’attrapent, ils te frappent, ils te cassent, ils te cassent même les bras, ils te cassent même la jambe.

Ici à Solidarité, on n’a pas d’eau, on part se laver à Mamoudzou, on va à la source, là tout près, l’eau n’est pas tellement propre, on ne la boit pas, et si tu es blessé, les blessures s’infectent du jour au lendemain et ça nous crée toujours des problèmes. Ici la fièvre c’est fréquent, il y a beaucoup d’enfants qui ont de la fièvre, qui attrapent la grippe parce qu’on ne trouve pas comment les couvrir, on ne trouve pas de tricot, on dort comme ça. Il y a des moustiques qui nous piquent. On est obligé de rester comme ça parce que nous sommes des étrangers. C’est grave ici.

Il y a aussi des véhicules qui passent sur la route tout près des enfants qui jouent au bord de la route.  Alors les véhicules ça risque de nous blesser. De faire des accidents avec les enfants.

Ici vraiment ce n’est pas une belle vie.

Je n’ai même pas de matelas, j’ai trois enfants mais je n’ai même pas de matelas. Quand je veux dormir, on se serre un peu et on me laisse une petite place là, et je mets les enfants, et puis je demande à d’autres de me donner une petite place et je dors avec le bébé. Je dors comme cela.

Ce sont des matelas que l’on part ramasser dans des poubelles, et puis on arrange ça et puis on dort comme ça. Mais jusque-là je n’ai pas de place, je n’ai pas de matelas, parce que je viens d’arriver il y a une semaine seulement. Je n’ai pas encore trouvé la place. Je viens et je demande si quelqu’un veut bien se serrer un peu et je dors ici. J’allonge là-bas les deux enfants et puis je me débrouille.

Pour préparer la nourriture, beaucoup de gens cherchent des casseroles à la poubelle. On prépare comme ça la nourriture. On mange des mabawa, des sardines, et ici on nous propose du travail, du travail au restaurant, pour 300 €, mais tu dois rester sur place, tu manges là-bas, tu travailles matin et soir, mais pour moi je ne peux pas travailler parce que j’ai des enfants, j’ai des petits enfants, si je travaille comment je vais les laisser, je ne peux pas travailler. Je suis obligée de rester comme ça. J’attends un jour quand ils vont grandir un peu, c’est là que je pourrai chercher comment me débrouiller.

Ici la pluie la nuit, ça fait mal, quand la pluie tombe, il faut se déplacer, vous vous déplacez, Les matelas sont mouillés. Il y a beaucoup de matelas mouillés, on ne sait pas comment on va dormir, mais on est là. (Elle rit).

On est là. C’est dieu qui nous garde ici.

Quand je suis arrivée ici, la police nous a pris, elle nous a emmenés à la gendarmerie et nous a posé quelques questions, on a répondu et ils nous ont dit de partir. Ils nous ont laissés à l’extérieur. C’était en Petite terre. On a passé une nuit dehors là-bas et puis on est venu ici à Solidarité pour voir si ici on pouvait nous aider. Il y avait beaucoup de gens qui dormaient dehors, et nous aussi nous avons été obligés de nous installer ici aussi à l’extérieur.

Je me suis présenté à Solidarité, mais pour l’instant on n’a pas encore obtenu la chambre ou la maison, mais on a des enfants, on a des petits enfants, on a des bébés, vraiment c’est grave pour les enfants avec les délinquants et avec la nuit, le froid, la pluie, c’est grave pour les enfants.

Pour avoir un peu d’argent, j’avais quelques habits que j’ai vendus, quand je suis arrivée ici je suis venue avec des chainettes, des bracelets, des bijoux, et j’ai troqué tout ça pour que les enfants puissent manger. Alors j’essaie d’économiser, et des fois je demande aux autres de me donner la nourriture pour les enfants, parce que jusque-là je n’ai pas de travail, jusque-là je n’ai pas de famille et je n’ai personne qui va m’aider, si je ne me débrouille pas.

Moi si je suis venue ici, je ne savais pas où c’était, je ne pensais pas venir directement ici à Mayotte. Parce qu’il y avait des gens là-bas en Tanzanie qui nous incitaient à venir ici, ils disaient il y aura un camp, ils nous ont menti, oh, là-bas il y aura une belle vie, il y a un camp, on va prendre soin des gens et on va vous donner à manger. J’avais l’argent, j’avais quelques sommes d’argent, j’avais payé les passeurs, pour chaque enfant ils ont demandé 400 dollars et moi on m’a demandé mille dollars depuis la Tanzanie. Mais je ne savais pas qu’on venait jusqu’à Mayotte.

Le papa il est resté à Goma, moi j’étais poursuivie, je subissais des menaces, c’est pourquoi je me suis sauvée jusqu’en Tanzanie, je suis restée là-bas en Tanzanie pendant six mois et après on m’a conseillé de venir à Mayotte. En Tanzanie, la vie est facile, la nourriture est là, de l’eau à boire, ce n’est pas cher, ce n’est pas comme ici à un euro cinquante la bouteille d’eau. La vie en Tanzanie, c’est facile. La vie est bien. En Tanzanie, tu peux acheter des choses et tu les envoies à Goma, tu les achètes vite, et on te retourne l’argent. En Tanzanie, la vie est bien, parce qu’en Tanzanie, on achète les arachides, tu les envoies à Goma, tu envoies ça au Congo, il y a les habits, les arachides, la nourriture, les plastiques, là-bas la vie est moins chère par rapport au Congo. Donc tu fais vite un bénéfice. En Tanzanie, tu peux faire du commerce. Tu envoies des marchandises à Goma et tu ramènes l’argent. Je m’étais bien intégrée en Tanzanie, il y a des gens qui m’aidaient à trouver des marchandises à envoyer à Goma.

Je ne suis pas restée parce qu’on nous a menti, on nous a dit, oh, là-bas la vie est bien, vous allez voir, on va vous faire traverser l’océan indien, vous aller voir, vous aller rencontrer une belle vie. C’est comme ça que nous sommes venus ici. Ce que je vais faire à présent, je vais entamer les procédures pour obtenir le statut. Je vais laisser mon dossier dans les mains du gouvernement, et je vais voir ce que cela va donner. Je vais parler de moi, je vais parler de ma vie, je vais parler de tout et puis je vais attendre les résultats. Voilà ce que je suis en train de faire.

--------------------------------------Notes

[1] Raphaël Cann, Kalathoumi Abdil-Hadi, « Un rassemblement au stade de Cavani contre le camp de réfugiés », Mayotte la 1ère, le 21 janvier 2023, lien ici.

[2] « Somalie, plus d’un million de personne déplacées en 130 jours », 24 mai 2023, ONU Info, Lien ici.

[3] « Zaidou Bamana : “ Nous vivons une période véritablement trouble et dangereuse” ». Emission Zakweli, Mayotte la 1ère, lundi 21 janvier 2024, lien ici. En réalité il n’y eut ce jour-là aucun contact entre les migrants et les manifestants, les tensions étant trop vives : une présence policière suffisamment dissuasive et sans doute une prudence résiduelle de part et d’autre ont évité le clash. L’auteur de ce texte a passé toute la séquence parmi les migrants et peut en témoigner : ni pourparlers, ni pistolet, mais un drapeau confectionné par les migrants eux-mêmes.

[4] TEMPS DE PAROLE, Said Mouhoudhoiri, Kwezi TV, Lundi 22 janvier 2024, lien ici.

[5] Voir : Défenseur des Droits, « Rapport sur les opérations dites de "décasage" à Mayotte », Mai 2018, lien ici.

[6] Depuis la modification du droit du sol à Mayotte, cette expression devient impropre puisqu’à présent les enfants de Mayotte peuvent être des étrangers dans leur pays natal.

[7] « Mliha hier : il s’agissait d’une opération militaire sans lien avec les migrants », L’INFO Kwezi, le 26 janvier 24, lien ici.

[8] « Passamainty bloqué, les habitants ne veulent pas des Africains ». L’INFO Kwezi, le 26 janvier 24, Lien ici.

[9] « Émergence du collectif « Les Forces Vives de Mayotte » en réponse à Gabriel Attal », L’INFO Kwezi, le 25 janvier 24, lien ici.

[10] « Le préfet de Mayotte demande la levée des barrages », Youtube, le 26 janvier 24, lien ici.

[11] Journal de 19 heures, le vendredi 26 janvier 24, Mayotte la 1ère, lien ici.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.