Daniel Salvatore Schiffer (avatar)

Daniel Salvatore Schiffer

Philosophe, Ecrivain, Professeur de Philosophie de l'Art

Abonné·e de Mediapart

333 Billets

0 Édition

Billet de blog 3 décembre 2013

Daniel Salvatore Schiffer (avatar)

Daniel Salvatore Schiffer

Philosophe, Ecrivain, Professeur de Philosophie de l'Art

Abonné·e de Mediapart

Le débat sur la prostitution: des maisons de tolérance aux boulevards de l'intolérance

Pauvre France, pays dont l’esprit des Lumières, sinon l’identité culturelle, est à ce point malmené qu’il ne sait plus à quel saint se vouer pour se croire encore la patrie des droits de l’homme !

Daniel Salvatore Schiffer (avatar)

Daniel Salvatore Schiffer

Philosophe, Ecrivain, Professeur de Philosophie de l'Art

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Pauvre France, pays dont l’esprit des Lumières, sinon l’identité culturelle, est à ce point malmené qu’il ne sait plus à quel saint se vouer pour se croire encore la patrie des droits de l’homme ! Ainsi cette nation qui éleva autrefois le libertinage au rang de philosophie et dont les maisons closes du temps jadis furent les sujets surannés mais délicieux de bon nombre de ses plus grands écrivains et artistes vient-elle donc d’interdire, par la plus hypocrite des pudibonderies, le plus vieux métier du monde : la prostitution. Car, que l’on sanctionne la prostituée (sous la présidence de Nicolas Sarkozy) ou le client (sous la présidence de François Hollande), c’est toujours elle qui, quels que soient les arguments utilisés pour défendre cette loi, est pénalisée.

Certes suis-je, comme toute personne dotée de sens moral, contre toute forme d’esclavage sexuel, dont la traite des êtres humains à des fins pécuniaires (ce que l’on appelle le « proxénétisme »), souvent relayée par d’ignobles réseaux mafieux, s’avère l’un des crimes les plus odieux et donc punissables, à juste titre, par la loi.

Mais ce dont le législateur ne s’est pas rendu compte ici, quelle que soit sa bonne foi, c’est que cette sordide et dangereuse prostitution de rue n’est que la très dommageable conséquence, paradoxalement rétrograde, d’une vieille loi, aussi qu’liberticide qu’inadaptée : la fermeture, le 13 avril 1946, sous l’impulsion de Marthe Richard (ancienne prostituée au service de l’occupant nazi et, comme telle, repentie), des maisons closes ou, en termes plus prosaïques, des bordels, fussent-ils de « luxe ».

D’où, afin d’éclairer le débat, cette réflexion : c’est à elles, à ces bonnes vieilles maisons closes, structures certes modernisées et sécurisées, dotées du confort matériel et de l’encadrement nécessaire, comme on les voit naître aujourd’hui, sous les noms d’ « éros center », dans des pays aussi libres et civilisés que la Hollande ou la Belgique, que la France devrait retourner si elle veut éradiquer ce fléau social qu’est la traite des femmes (et quelquefois des hommes).

Il n’est en outre pas dit que toutes les prostituées soient obligatoirement, par nature ou par essence, de malheureuses et impuissantes victimes d’infâmes proxénètes et autres abjects réseaux mafieux. Je connais aussi de très dignes, respectables et élégantes prostituées, qui offrent librement leurs services sexuels, entre personnes adultes et consentantes, contre une somme d’argent bien plus honorable que celle de bon nombre de nos honnêtes, courageuses mais surexploitées ouvrières, et pas seulement à la chaîne, qui travaillent, au seul bénéfice de leur patron, pour un salaire de misère. Elles, oui, sont véritablement abusées professionnellement, et par l’une des plus terribles dégradations de la personne !

Car qu’on se le dise : le véritable esclavage, le vrai mépris de la dignité humaine, n’est pas là où ces politiciens prétendument vertueux comme nos sociétés nouvellement prophylactiques veulent bien nous le faire croire lorsqu’ils stigmatisent ainsi, engoncés en leur loi aussi étriquée que leur col blanc, le plus vieux métier du monde. Non : le véritable esclavage, social et économique, c’est celui de notre capitalisme sauvage, où les riches sont toujours plus riches et les pauvres toujours plus pauvres, où les nantis sont toujours plus nantis et les précaires toujours plus précaires, telles, précisément, ces pauvres femmes obligées de vendre (ou louer) leur corps sur des trottoirs d’infortune.

Oui, l’inacceptable et révoltante indécence, la répugnante obscénité est là : dans ce pervers système financier, que l’Etat ne fait rien pour endiguer ! Au contraire : ce Léviathan des temps modernes, ce racketteur institutionnalisé ne fait, à force de nous matraquer indéfiniment de taxes et d’impôts, que continuer à le nourrir, jusqu’à implosion plus encore qu’explosion !

Alors, je dis vive les putes, du moins celles libres, majeures, vaccinées et consentantes, lorsqu’elles savent encore offrir, avec une caresse bien faite ou un très professionnel baiser, un peu de rêve, de charme, de tendresse et de douceur, fût-ce pour de l’argent, dans ce monde de brutes. Ces prostituées, Leonard Cohen les baptisa jadis, dans une de ses plus émouvantes chansons, « Sisters of Mercy » : « sœurs de pitié ». Admirable de compassion ! 

Mais le pis, avec cette nouvelle loi scélérate à la française, promulguée par des hommes et des femmes dits de gauche (les socialistes), c’est que quelques-uns des plus beaux esprits de notre patrimoine littéraire et artistique, grands amateurs de prostituées, risqueraient de se retrouveraient ainsi, aujourd’hui, en prison. Le paradoxe, pour une société prétendument libre, moderne et démocratique, est énorme. Imagine-t-on, pour une simple passe, Sade, Diderot, Laclos, Maupassant, Renoir, Baudelaire, Bataille, Klossowski, Simenon, Rops, sinon derrière les barreaux, du moins au tribunal de police… la brigade des mœurs, la pire de toutes ?

Quel progrès ! La France est devenue une civilisation qui, à l’instar des pas du « Moon Walk » de Michael Jackson, avance, par une fabuleuse mais frauduleuse illusion d’optique, à reculons : à travers cette loi ayant désormais force d’interdit, sinon de tabou, elle a fait des anciennes maisons de tolérance les nouveaux boulevards de l’intolérance.

Un conseil donc, au mal nommé Hollande : qu’il aille donc faire un tour, justement, en Hollande (et, accessoirement, en Belgique), dans ce port d’Amsterdam (ou d’Anvers) que chantait naguère si bien le grand Jacques Brel, pour voir comme on y traite, avec dignité et respect, aussi bien les prostituées que leurs clients.

La France : un pays qui, obsédé par la sécurité collective, est en train mettre en péril la liberté individuelle. Mais attention, danger : c’est là l’une des composantes, hélas, du fascisme, fût-il « soft » !

                                            DANIEL SALVATORE SCHIFFER*

* Philosophe, auteur de « Philosophie du Dandysme – Une esthétique de l’âme et du corps» (PUF), « Oscar Wilde » (Gallimard), « Du Beau au Sublime dans l’Art – Esquisse d’une Métaesthétique » (L’Âge d’Homme), « Manifeste dandy » (François Bourin), « Métaphysique du Dandysme » (Académie Royale de Belgique).

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.