Scandale en Espagne, pays membre de l’Union Européenne, sans que celle-ci ne semble cependant s’en offusquer ni même s’en émouvoir, trahissant ainsi ses propres valeurs morales, dont la liberté démocratique et, dans son sillage, les droits de l’homme !
LA SEPARATION DES POUVOIRS EXECUTIF ET JUDICIAIRE : FONDEMENT DE TOUTE DEMOCRATIE
Suite à la déclaration d’indépendance, le 27 octobre dernier, de la Catalogne, c’est en effet la présidente du parlement de cette région, Carme Forcadell, qui, après les huit membres de son gouvernement, se voit à présent emprisonnée arbitrairement, en attendant le versement d’une caution fixée à la somme astronomique de 150.000 euros, par la cour suprême espagnole. Une justice qui n’est manifestement indépendante, au regard du pouvoir exécutif, qu’en apparence, tel un alibi destiné à amadouer, sur ce point pourtant crucial, l’Union Européenne elle-même.
C’est par ailleurs là, cette grave violation de ce principe fondamental qu’est, pour toute démocratie digne de ce nom, celui de la séparation des pouvoirs, ce qu’a toujours déclaré Carles Puigdemont, président destitué de l’ancien gouvernement catalan et qui vit à présent en exil, avec quatre de ses ministres-conseillers, tous sous le coup d’un mandat d’arrêt, à Bruxelles, capitale de l’Europe, afin d’échapper, précisément, à cette justice excessivement répressive de la part de Madrid.
Que l’Etat de droit, au regard de cet épineux dossier, ne soit plus aujourd’hui respecté en Espagne, avec cette inadmissible répression à l’encontre des représentants, démocratiquement élus, des institutions catalanes, c’est là ce qui ressort, à l’évidence, lorsque l’on examine objectivement, en toute impartialité, ces quelques éléments biographiques de la juge Carmen Lamela, magistrate suprême au sein de l’ « Audience Nationale Espagnole », ayant ordonné ces incarcérations, provisoires ou non qu’elles soient : proche du Parti Populaire de l’actuel Premier Ministre d’Espagnge, Mariano Rajoy, elle a obtenu, en 2016, la décoration de la « Guardia Civil » et reçu, en 2017, des mains mêmes du Ministre de l’Intérieur, Juan Ignacio Zoido, la médaille du mérite policier ! (https://fr.wikipedia.org/wiki/Carmen_Lamela_Díaz).
Imagine-t-on, en France comme en Belgique, ou en tout autre pays de l’Union Européenne, un magistrat - le plus haut de l’Etat - à ce point adoubé par les institutions policières ? Est-ce réellement cela, en Espagne, ce que l’on entend par ce concept, essentiel en matière de droit démocratique, d’ « indépendance de la justice » ? Le moins que l’on puisse dire, en de telles conditions, c’est que ce lien étroit avec les instances policières - caractéristique des régimes dictatoriaux - la rend potentiellement dangereuse pour les libertés individuelles et donc, comme c’est le cas avec l’arrestation des dirigeants catalans, l’opposition politique.
Qu’il suffise, pour s’en convaincre, de se rappeler ces violentes méthodes avec lesquelles cette même « guardia civil », alors envoyée abusivement par Madrid, tenta d’empêcher, matraque à la main, le référendum populaire, portant sur l’indépendance de la Catalogne, du 1er octobre dernier. De cette brutalité, injustifiable pour un pays (l’Espagne) faisant partie de l’Union Européenne, le monde entier, choqué, a été, face à ces terribles images télévisées, comme venues d’un autre temps (celui, de sinistre mémoire, du fascisme franquiste), le témoin horrifié. A ce douloureux sujet, je me suis déjà exprimé publiquement, dès le lendemain, sur le site de la Radio Télévision Belge Francophone (https://www.rtbf.be/info/opinions/detail_espagne-catalogne-la-liberte-democratique-outragee?id=9724747).
LE FOND POLITIQUE ET LA FORME JUDICIAIRE : LA FIN NE JUSTIFIE PAS LES MOYENS
Ainsi, à supposer même que l’Espagne, en estimant ce référendum anticonstitutionnel, soit politiquement dans son droit quant au fond du problème, il n’en demeure pas moins vrai qu’elle finit donc, à l’aune de cette intolérable répression policière, par avoir tort, tant sur le plan humain que judiciaire, quant à la forme. Non : la fin ne justifie pas toujours, loin s’en faut, les moyens, à moins que l’Espagne ne se voie à nouveau hantée, comme cela semble être le cas aujourd’hui, par ses vieux démons fascisants, aux nauséabonds relents de dictature franquiste !
LES ELECTIONS REGIONALES DU 21 DECEMBRE PROCHAIN : JUGE DE PAIX
Davantage : ce type d’autoritarisme, avec son déni de démocratie, ne fait qu’exacerber, tel un boomerang, le sentiment indépendantiste, y compris, maintenant, chez les plus modérés des Catalans !
Reste à espérer, la sagesse aidant malgré ces fantômes du passé, que ce genre de situation ne fera pas l’abominable lit, en Espagne, des extrémistes de tous bords et autres infâmes nostalgiques de la peste brune. Les élections régionales prévues pour le 21 décembre prochain devraient en être le très souhaitable juge de paix.
L'INDIGNE SILENCE COUPABLE DE L’EUROPE
En attendant, c’est à un silence aussi coupable qu’incompréhensible, sinon pour d’hypocrites et vils calculs d’opportunisme politico-économique, auquel l’Union Européenne s’adonne, ces jours-ci, en se taisant aussi lâchement, dans toutes les langues, sur cette odieuse répression s’abattant aujourd’hui sur ceux que toute conscience démocratique ne peut plus désormais considérer, en effet, que comme, selon les cas, des prisonniers ou des réfugiés politiques.
Honte à l’Europe, qui, au regard de cette importante affaire, laquelle dépasse à présent la seule personne de Carles Puigdemont, manque singulièrement de courage intellectuel tout autant que de noblesse morale, allant ainsi jusqu’à mettre en péril, pire encore, sa crédibilité même, sinon, aux yeux de ses détracteurs, son avenir !
L’Histoire, certes, jugera. Mais, pour l’heure, cette Europe que nous portons chevillée au cœur sera-t-elle encore longtemps complice, par sa veulerie tout autant que son aveuglement, de cette justice aux abjects accents de totalitarisme ?
DANIEL SALVATORE SCHIFFER*
*Philosophe, auteur, notamment, de « La Philosophie d’Emmanuel Levinas » (Presses Universitaires de France), « Oscar Wilde » et « Lord Byron » (Gallimard – Folio Biographies), « Critique de la déraison pure – La faillite intellectuelle des ‘nouveaux philosophes’ et de leurs épigones » (François Bourin Editeur), « Le Testament du Kosovo – Journal de guerre » (Editions du Rocher). A paraître : « Traité de la mort sublime – L’art de mourir, de Socrate à David Bowie » (Alma Editeur).