Un homme condamné à mort pour un présumé trafic de drogue, mais qui a toujours clamé son innocence, risque d'être exécuté ces jours-ci, après avoir pourtant déjà purgé sept ans de prison, devant un peloton d'exécution. Telle est l'abominable, inhumaine et barbare sentence à laquelle est soumis, par la justice indonésienne, Serge Atlaoui, citoyen français.
Je ne reviendrai pas ici sur les lourds soupçons de partialité pesant sur ce procès, dont tout indique, aux dires des juristes les plus compétents en la matière, qu'il a été bâclé, sinon expéditif, et instruit, de surcroît, uniquement à charge. Cet inique verdict, doublé d'un encore plus ignominieuse méthode de mise à mort, s'avère suffisamment scandaleux, du reste, pour que toute conscience digne de ce nom s'en trouve révulsée, voire choquée.
DE VICTOR HUGO A ALBERT CAMUS : PLAIDOYER CONTRE LA PEINE DE MORT
Mais, par-delà ce dramatique et spécifique cas de Serge Atlaoui, qu'il me soit permis, à ce propos, de rappeler, de manière plus générale, ce qu'Albert Camus en personne, l'un des écrivains les plus célébrés du XXe siècle, prix Nobel de littérature en 1957, pensait de la peine de mort, tant sur le plan moral que philosophique, ainsi que le souligne à raison Robert Badinter, cet admirable Garde des Sceaux, qui, en 1981, fit abolir en France, alors que François Mitterrand venait d'être élu à la présidence de la République, cette même peine de mort précisément : « (...) pour Albert Camus, la lutte pour l'abolition fut un combat permanent. La peine de mort a toujours été à ses yeux un châtiment 'cruel, inhumain et dégradant', incompatible avec les droits de l'homme. Elle lui apparaît comme la persistance de la barbarie dans les temps modernes. Elle est la négation absolue des valeurs dans lesquelles Camus croyait, et d'abord l'intangibilité absolue de la vie humaine. Il voyait dans la peine de mort, sous le rituel des formes procédurales, l'expression ultime d'une violence mortelle s'exerçant souverainement et froidement sous le nom de justice. »[1]
Dans ce poignant et surtout implacable plaidoyer pour l'abolition de la peine de mort, tout est dit, judicieusement résumé : les mots qui y résonnent tels autant d'appels à la conscience humaine en ce qu'elle a de plus noble, en dehors même de toute référence à une quelconque loi divine ou foi religieuse, sont justes, forts et précis, plus clairs et nets, encore, que tout fatal couperet ! Le grand Victor Hugo, autre courageux, magnifique et ardent combattant pour l'abolition de la peine de mort , y aurait à coup sûr, sans l'ombre d'un doute, souscrit.
LA GRÂCE POUR SERGE ATLAOUI
Inutile donc d'épiloguer, en le commentant davantage encore, sur ce tragique et douloureux sujet qu'est celui de la peine de mort, cet infâme résidu de barbarie, effectivement, de nos temps prétendument modernes. Car c'est à Serge Atlaoui, comme à tous ces autres êtres (innocents ou coupables, d'ailleurs, qu'ils soient) attendant tout aussi cruellement leur propre fin de vie en ces horribles couloirs de la mort, que je pense, intensément, en ce moment. Aussi, en une aussi pénible et funeste circonstance, mais où une mince lueur d'espoir continue néanmoins de briller encore au firmament de l'humanité, n'ai-je que ces paroles de clémence, de compassion et de miséricorde, que j'adresse humblement, mais solennellement, à Joko Widodo, actuel Président de l'Indonésie, le pays musulman le plus vaste du monde : la grâce pour Serge Atlaoui !
L'Histoire, sinon le ciel, vous en saura, Monsieur le Président, éternellement gré.
LE PROCES : REVISION, REHABILITATION ET LIBERATION
Encore faudrait-il dès lors, en cette épineuse et sombre affaire, demander plus à la justice indonésienne : la révision du procès, en bonne et due forme, de Serge Atlaoui afin d'en obtenir ainsi, s'il se révélait réellement innocent des crimes dont il se voit accusé aujourd'hui, la possible réhabilitation et, de là donc, sa définitive liberté.
DANIEL SALVATORE SCHIFFER*
* Philosophe, auteur de « Oscar Wilde » et « Lord Byron » (Gallimard-Folio Biographies), « La Philosophie d'Emmanuel Levinas » (Presses Universitaires de France), porte-parole, pour les pays francophones, du Comité International contre la Peine de Mort et la Lapidation (« One Law For All »), dont le siège est à Londres.
[1] Robert Badinter, préface à Albert Camus contre la peine de mort (Écrits réunis, présentés et suivis d'un essai par Ève Morisi), Paris, Gallimard, 2011, p. I.