Face aux carences actuelles, profitant des compétences et des savoir-faire encore présents sur nos territoires, la relocalisation de productions des soins de santé est l’occasion d’imposer de nouveaux choix politiques favorisant la création d’organismes à but non lucratif, gérés démocratiquement par la collectivité et garantissant l’effectivité du droit à la santé à l’ensemble de la population.
L’État reconnait la nécessité, pour la France, de « gagner en indépendance industrielle et sanitaire », tant pour l’approvisionnement en médicaments qu’en dispositifs médicaux. Il a mobilisé une enveloppe de 200 millions d'euros pour accompagner l’industrialisation, la production et le stockage des produits thérapeutiques sur le sol national. Ces aides ciblent préférentiellement les industries pharmaceutiques.
Nous sommes en accord avec les propos écrits dans la tribune parue dans le journal Le Monde en date du 16/04/2022 : « Il serait paradoxal de donner à l'industrie pharmaceutique la maîtrise d'œuvre de la relocalisation, alors qu'elle a été responsable de ces délocalisations délétères uniquement pour des raisons de profitabilité et qu'elle pourrait en saisir l'occasion pour de nouvelles augmentations indues des prix » (https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/04/16/).
En revanche, nous pensons que la mise en place d’un établissement public utilisant « les compétences de chimie et de façonnage locales dans le cadre de partenariats public-privé » ne serait pas la solution. Trop d’exemples de partenariats public-privé, dans divers domaines, dont celui de la santé, se sont avérés dispendieux pour les ressources publiques et sans efficacité justifiée.
Dans le contexte actuel, il n’est pas pensable de concevoir l’État comme seul garant de l’intérêt général. Il a effectivement autorité pour limiter l’accaparement privé de biens ou de ressources d’intérêt collectif, ainsi que la puissance des intérêts privés. Mais, depuis le XIX siècle, l’attribution de droits subjectifs le consacrant personnalité juridique font qu’il aliène la chose publique en s’en considérant propriétaire, et transfère à des acteurs privés des biens et ressources jusque-là publics.
Ceci est particulièrement flagrant pour les soins de santé, dont le développement, la production et la distribution ont totalement été abandonnés aux entreprises privées. L’État ne joue plus son rôle pour protéger les intérêts des personnes malades et encadrer les industries pharmaceutiques. Il en résulte un modèle économique, rendu extrêmement favorable aux acteurs privés par la consolidation des ADPIC (Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce), incapable de répondre aux besoins de santé de la population. Ce qui a été crûment démontré par l’inégalité d’accès aux vaccins contre le Covid- 19. L’accès aux médicaments est gravement mis à mal. Il est soumis à un rapport de forces dominé par des entreprises pharmaceutiques, qui imposent aux institutions publiques leurs conditions dans les négociations sur les régulations et les prix de vente, négociations dont sont exclus citoyens et patients.
Pour sortir de cette situation, nous devons remplacer ce système par un modèle totalement novateur, dans lequel les responsabilités ne seront plus entièrement déléguées ni à des acteurs privés, ni à la puissance publique, mais contrôlées par les intéressés eux-mêmes. Il est temps pour la société civile de se mobiliser pour collectivement se saisir de l’opportunité offerte par la situation actuelle de concrétiser une des revendications écrites dans le manifeste « Pour une appropriation sociale du médicament (www.medicament-bien-commun.org) » à savoir sortir « des stratégies de l’industrie pharmaceutique [ ]. Pour ce faire, doivent se mettre en place de nouveaux modèles de R&D, de production et de distribution de produits de qualité, contrôlés par les citoyens. ».
Une production de médicaments collaborative, axée sur la valeur d’usage plutôt que lucrative, est le point d’entrée d’une transformation du modèle vers une appropriation collective des moyens de recherche, de production et de distribution des produits de santé. Il s’agit de s’inscrire dans une dynamique de sortie des médicaments des circuits des marchés financiers. Les médicaments contribuent à garantir l’effectivité du droit fondamental à la santé : l’objectif est de leur donner un statut juridique de « biens inappropriables » par les intérêts privés, et qu’ils soient reconnus comme bien commun.
Cet objectif ne peut être atteint qu’en remettant en question la soumission des médicaments au droit commun des brevets, qui restreint la diffusion et le partage des connaissances et la libre production de traitements pharmacologiques. La reconquête de la Sécurité sociale, sur la base de ses fondamentaux, est également cruciale pour à la fois pérenniser ce nouveau modèle de production, et aboutir à des services de santé plus inclusifs et égalitaires, mettant l’humain au centre des préoccupations.
Ce projet ambitieux et de longue haleine, à mener aux échelles nationale et internationale, exige une prise de conscience et l’implication de l’ensemble des acteurs concernés : chercheurs, salariés du secteur privé, soignants, citoyens et collectivités locales. Il apparaît que la situation actuelle suscite chez eux une recherche de solutions dans ce sens.
Collectif « Médicament Bien Commun »
« Médicament Bien Commun » (www.medicament-bien-commun.org) est un collectif constitué de salarié(e)s de l’industrie pharmaceutique, professionnels de la santé, chercheurs, retraité(e)s, journalistes, sociologues, élu(e)s, syndicalistes, militant(e)s politiques ou d’associations, qui luttent contre la marchandisation de la santé et pour que le médicament soit reconnu bien commun, répondant aux besoins universels de santé.