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Billet de blog 17 juin 2016

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Vive la République, vive la Révolution, vive Robespierre !

Au dernier Conseil de Paris, mon vœu demandant que soit donné à une rue dans Paris le nom de Robespierre a été rejeté, non sans lâcheté et inculture de la part de la majorité de l’assemblée. La demande a soulevé un flot de réponses outragées voire insultantes de personnalités du monde médiatique ou intellectuel. Par cette note, j'essaie d'apporter quelques réponses argumentées ...

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Au dernier Conseil de Paris, j’ai défendu un voeu (mon intervention en vidéo ici etle texte du voeu ici) demandant que soit donné à une rue, une place ou un lieu dans Paris le nom de Robespierre. Cette démarche, qui avait déjà été formulée par mon camarade Alexis Corbière sous l’ancienne mandature, mais aussi par George Sarre et d'autres, et avait même été votée à la Libération par le Conseil de Paris avant d'être annulée par un autre vote de la droite à l’époque, était soutenue par une trentaine d'historiens dans une lettre ouverte à Anne Hidalgo. (A lire également la tribune de Hervé Leuwers publiéesur le site de L'Obs ainsi que celle de Jean-Clément Martin). Ceux-ci jugeaient incompréhensible l'oubli par la Ville de Paris d'un personnage clé de notre Histoire et de la Grande Révolution qui a vu naître la République.

Pourtant, le vœu a été rejeté, non sans lâcheté et inculture de la part de la majorité de l’assemblée, à l’exception du groupe communiste et de quelques élu-e-s socialistes.

La demande a soulevé un flot de réponses outragées voire insultantes de personnalités du monde médiatique ou intellectuel, autant de gens « raisonnables », qui se sont hâtés d'expliquer qu'en demandant d'honorer Maximilien Robespierre, j'adulais un coupeur de têtes et un dictateur sanguinaire.

Pourquoi donc cette demande d'une reconnaissance de Robespierre, appuyée pourtant de manière raisonnée et argumentée par de nombreux scientifiques, a-t-elle provoqué une telle levée de boucliers ? A travers lui, c'est toujours la Grande Révolution qui est attaquée. Une raison de plus pour ne rien lâcher dans ce combat d'idées ! Par cette note, j'essaie d'apporter quelques réponses argumentées, et de décrire cette emprise de l'idéologie contre-révolutionnaire sur le débat public et politique. N'ayons pas peur, en célébrant Robespierre, de cliver : car c'est ainsi que l'on crée la conscience.

J’ai pris soin de renvoyer à chaque fois via un lien aux écrits ou aux dires de nos contradicteurs : chacun-e pourra ainsi se faire son opinion en pleine connaissance de cause !

Patrice Gueniffey : Robespierre « responsable de la Terreur »... et coupable de vouloir l'égalité sociale !

Ce n'est pas un hasard si le Figaro, dont nous avons choisi le site internet pour publier la lettre ouverte d'historiens soutenant ma demande d'une rue Robespierre, a choisi d'appeler à la rescousse Patrice Gueniffey, disciple de François Furet, pour qui « 1789 ouvre une période de dérive de l'histoire ».

Ainsi, selon monsieur Gueniffey, Robespierre est « le principal responsable » de la Grande Terreur, et nous chercherions à minimiser son rôle dans ces événements. Il faut surtout regarder froidement les faits et les replacer dans leur contexte. Qu'est-ce que la "Grande Terreur " ? Il s'agit d'une période de deux mois du 10 juin au 27 juillet 1794, qui a causé la mort de 1366 personnes. Il ne s'agit évidemment pas de défendre la peine de mort, que je combats radicalement (comme Robespierre, d'ailleurs). Mais ces morts sont bien moins nombreux que les violences, massacres, exécutions sommaires auxquels s'adonnaient les Rois de France, souvent pour défendre leur pouvoir personnel et leur ordre social inégalitaire et féodal. Et les exécutions sommaires, violences et mesures de Terreur vont continuer après la mort de Robespierre. Le nombre d'exécutions a d'ailleurs fortement augmenté en juin 1794, quand Robespierre quitte le Comité de Salut Public. L'historien Albert Mathiez le décrit ainsi comme celui qui « a représenté dans la Terreur la mesure, l'indulgence, l'honnêteté ». Il faut aussi replacer ces événements dans le contexte d'une société en guerre extérieure (et Robespierre avait farouchement milité pour la paix, en fustigeant les “missionnaires armés”, à la différence de Danton) et en guerre civile, où la Révolution et la République étaient menacées, et où le retour des rois, qui était une menace réelle, concrète et immédiate, aurait sans nul doute provoqué des massacres de révolutionnaires d'une ampleur tout autre que la Terreur. Pour finir sur cet argument, rappelons que Thiers fut responsable lors de la Semaine Sanglante en 1871 de 10 à 20.000 exécutions sauvages de communard-e-s, et qu'il y a néanmoins une rue Thiers à Paris (dans le 16e arrondissement).

Monsieur Gueniffey raconte également comment, dès le début de la IIIe République, « le consensus républicain sur la Révolution française, au début de la IIIe République, s'est fondé sur l'exclusion de Robespierre du Panthéon des grands hommes de la décennie 1789-1799 ». Et pour quelle raison ? Parce qu'il « préconisait un impôt progressif sur le revenu », dans un idéal d'Egalité sociale qui, de Thermidor jusqu'à aujourd'hui, effraie plus que tout ceux qui gouvernent. C'est sans doute la raison première des flots de boue sous lesquels ils essaient d'ensevelir Robespierre, pour nous le faire détester.

Raphaël Enthoven : Robespierre, « quintessence de la dictature »

Sans se fonder sur aucun argument historique, le pseudo-philosophe médiatique Raphaël Enthoven proclame que “non seulement Robespierre était un dictateur, mais c’est la quintessence de la dictature”.

Qu’on en juge : élu député à la Constituante (1789-1791), puis à la Convention (élue au suffrage universel masculin) en septembre 1792, Robespierre est ensuite membre du Comité de Salut Public, qui détient le pouvoir exécutif. Ce comité est réélu chaque mois, et rend compte chaque semaine de son action devant la Convention. Au sein du Comité, Robespierre est certes une figure importante, mais il ne détient jamais aucun pouvoir personnel… Drôle de conception de la dictature !

Jean Sévillia : Robespierre, « ancêtre des totalitarismes »

C’est un argument qui revient souvent dans la bouche des contre-révolutionnaires : la Révolution française serait l’ancêtre des totalitarismes, le point de départ de toutes les dictatures. C’est une insulte faite à notre histoire : c’est oublier que la Révolution fut le point de départ de l’émancipation du peuple, du combat pour la liberté de toutes et tous, pour l’égalité politique comme l’égalité sociale, de la fraternité, de l’idéal d’une République, qui est encore inachevé, comme la décrit Jaurès. Robespierre fut au coeur de tous ces combats. C’est d’ailleurs lui qui formula le premier le triptyque Liberté - Egalité - Fraternité. Il fut un précurseur de tous les idéaux d’émancipation, et une figure centrale du gouvernement révolutionnaire qui hérita d’une situation catastrophique, d’une guerre qu’il n’avait pas voulue, et la prit en main avec probité et avec pour seul guide de son action la sauvegarde de la République et de la souveraineté du peuple. Soit, en somme, l’inverse du “totalitarisme” dont il est injustement (et absurdement) accusé d’être l’ancêtre.

Lâcheté, inculture, adhésion ou soumission à l’idéologie contre-révolutionnaire ? L’attitude du Conseil de Paris...

Pour présenter ce voeu de nouveau, j’avais saisi l’opportunité de la délibération présentée par le groupe UDI-Modem, en faveur d’un parcours sur la “Révolution Française”, soutenue fort heureusement par l’intégralité des groupes du Conseil. Naïvement sans doute, je m’étais dit que cette fois-ci serait la bonne. Sur la base de quels arguments le conseil pourrait-il ne pas reconnaître enfin également une de ses figures centrales, au moment où il fait le choix d’honorer et transmettre l’héritage de la Révolution ? Cela faillit être le cas.

L’exécutif avait décrété d’emblée qu’il ne soutiendrait ce vœu qu’à la condition que j’obtienne l’unanimité de l’ensemble des groupes. Le cas échéant, l’exécutif avait prévenu : si un seul groupe s’y opposait, l’exécutif demanderait le retrait du vœu. Dès lors, la bataille n’était pas simple. Ainsi, les groupes PS et Verts n'acceptaient de voter le vœu que si l'exécutif y était favorable, mais l'exécutif ne donnait un avis favorable que si l'UDI-Modem était d’accord, et l'UDI-Modem, très frileux, n'acceptait de le voter que si le groupe LR le votait !! En bref, aucun n'assumait de le défendre et de le voter. Le fond du problème restait soit une méconnaissance crasse de cette période historique, soit une lâcheté, soit une dépendance ou adhésion à l’idéologique contre-révolutionnaire, ces trois facteurs pouvant pour certains se cumuler...

Après avoir beaucoup bataillé et argumenté avec tout le monde, je suis parvenue la veille du vote, à un accord de principe de tous les présidents de groupe pour amender mon vœu et atterrir sur la formulation suivante sur laquelle tous les groupes (y compris les groupes Les Républicains et UDI-Modem) étaient d'accord :

"Le Conseil de Paris émet le vœu que la mission de préfiguration du Parcours de la Révolution française à Paris, proposée par le groupe UDI-Modem, mène la réflexion, dans le cadre d’un travail historique et scientifique qui étudiera l’opportunité d’attribuer, à toutes les grandes figures de la Révolution, dont Maximilien Robespierre, leurs noms à des lieux de Paris ou d’apposer des plaques commémoratives. " Cet amendement ne permettait pas d’obtenir la rue Robespierre immédiatement mais assumait d’ouvrir le débat et de s’en remettre aux travaux des historiens.

Mais le jour-même, LR et l'UDI-Modem n’étaient plus d’accord. Immédiatement, l'exécutif a refusé d'assumer le vote et a appelé à le rejeter, me demandant de retirer mon voeu (ce que j'ai refusé) au prétexte pour la droite que "la démarche était de mettre en valeur le patrimoine historique de la Ville et non d'honorer des figures" (sic !) et pour l’exécutif que "la mission de préfiguration décidera quels personnages de la Révolution elle souhaite honorer dans ce parcours". Les groupes EELV et PS (sauf quelques socialistes) ont suivi et voté contre. Le PCF et quelques élu-e-s PS l'ont voté. Il reste à espérer que la composition de la mission de préfiguration du parcours Révolution française sera composée des historiens spécialistes de la Révolution Française ... Je reste convaincue que la bataille doit se poursuivre et je ne regrette pas d’avoir de nouveau ouvert ce débat.

Oui, il faut honorer Robespierre !

Je ne m’oppose aucunement à ce que soit formulée une réflexion critique sur l’action de Robespierre. Mais je renouvelle, et renouvellerai aussi longtemps qu’il le faudra mon souhait que soit reconnue l’action de ce grand homme d’Etat qui fit tant pour notre patrie républicaine et pour l’émancipation de notre peuple, qui fut souvent très seul à défendre le suffrage universel,  l’attribution de la citoyenneté française aux Juifs, l’abolition de la peine de mort, l’abolition de l’esclavage, l’égalité politique et sociale, qui lutta contre la guerre, pour l’implication du peuple dans la vie de la cité, etc.

“Personne n’aime les missionnaires armés”, argumentait-il contre la guerre, et cela devrait faire rougir nos va-t-en-guerre contemporains qui prétendent vouloir imposer aux peuples la liberté par les armes et déstabilisent des régions entières, faisant le terreau de Daech pour imposer après coup l’état d’urgence et son régime d’exception. .

Défendant l’impôt progressif, il disait : “En matière de contributions publiques, est-il un principe plus évidemment puisé dans la nature des choses et dans l’éternelle justice, que celui qui impose aux citoyens l’obligation de contribuer aux dépenses publiques, progressivement, selon l’étendue de leur fortune, c’est-à-dire selon les avantages qu’ils retirent de la société ?”... Quoi de plus actuel alors qu’on vient de voir démontré que le plafonnement de l’ISF défendu par Hollande a été 2 fois plus favorable aux plus riches que l’injuste “bouclier fiscal” de Sarkozy ?

Enfin, dans sa probité légendaire, l’Incorruptible écrivait en janvier 1793 : “Nous avons bien des préjugés à vaincre, avant de concevoir seulement que la source de toutes les mauvaises lois, que l’écueil de l’ordre public, c’est l’intérêt personnel, c’est l’ambition et la cupidité de ceux qui gouvernent.”... Qui peut s’étonner que de telles paroles heurtent l’oligarchie qui nous gouverne ? Voilà sans doute, aussi, pourquoi elle met tant d’énergie à calomnier Robespierre !

Alors, oui, plus que jamais : il est urgent d’honorer enfin Robespierre !

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