Des recompositions internes ne manqueront pas de s’opérer au sein des trois grandes forces politiques du pays. Mais rien, sans doute, ne viendra altérer la nouvelle donne.
À l’horizon de 2027, ces mouvements d’ajustement, ces frémissements d’appareil, ces rivalités de couloirs n’effaceront pas le fait majeur : la France est entrée dans un cycle de pluralisme stable.
Le vieux balancier de l’alternance s’est brisé. Le jeu n’est plus à deux, il est à trois. Plus complexe, moins lisible, mais peut-être, dans sa confusion même, plus fidèle à la diversité du corps social, à ses fractures, à ses contradictions, à ses espérances mêlées.
Pourtant, ce pluralisme tant espéré ne s’élève pas encore à la hauteur du débat qu’il devrait susciter.
L’attitude de La France insoumise, des Verts, du Parti communiste et du Rassemblement national illustre une dérive inquiétante : celle d’une politique devenue spectacle, d’une indignation devenue stratégie, d’une colère devenue fonds de commerce.
La France insoumise (LFI), d’abord, s’enferme dans un discours où les relents antisémites ne sont plus guère dissimulés. Accuser Israël de crimes contre l’humanité, s’en prendre à des parlementaires de confession juive, et qualifier le Hamas, organisation terroriste islamiste alliée à Daech, de « mouvement de résistance » : ces mots-là franchissent une ligne rouge, morale et républicaine.
Il ne s’agit plus de défendre une cause, mais d’attiser les haines, de rejouer les drames du monde sur le théâtre des rancunes nationales.
Les Verts, eux, se drapent dans le voile sacré de l’écologie tout en en oubliant la substance. L’écologie, devenue chez eux un mot magique, a perdu sa rigueur de science et son exigence de cohérence. Comment prétendre défendre la nature en niant les lois mêmes de sa fragilité ?
En s’alignant sur les postures sociales de LFI, en rivalisant d’idéologie plus que de lucidité, les dirigeants écologistes semblent ignorer qu’ils conduisent leur formation vers un naufrage dont leurs partenaires riront les premiers.
Ainsi s’éteint lentement une idée noble, sacrifiée sur l’autel des alliances électorales.
Le Parti communiste, fidèle à ses vieilles certitudes de classe, s’accroche au dogme du social contre tout le reste. Il suit, docilement, la houle insoumise, pour sauver quelques sièges, quelques lambeaux de prestige. L’unité, toujours invoquée, n’est plus que le masque d’une survie dérisoire.
Quant au Rassemblement national (RN), il s’illustre par une démagogie sans surprise : déposer une motion de censure contre un gouvernement avant même qu’il n’ait parlé, c’est renoncer à la politique pour ne plus cultiver que la tension, le tumulte, l’usure du pouvoir par le vacarme.
Et que ces trois forces , LFI, les Verts et le RN, puissent se rejoindre dans une même impatience de voir le président démissionner, en dit long sur la perte du sens des institutions et du devoir. C’est un symptôme, plus qu’un scandale : celui d’un effondrement moral.
Les uns jouent la provocation, les autres nourrissent la colère
Pendant que les uns jouent la provocation et que les autres nourrissent la colère, la France, elle, croule sous ses chiffres : 3 345 milliards d’euros de dette, 53 milliards d’intérêts à payer dès 2025.
Le pays aurait besoin de lucidité, de courage, d’un sens aigu du bien commun. Il n’a pour l’heure que des postures, des bouffonneries parlementaires, une comédie triste d’ambitions précoces et de rivalités médiocres.
À l’étranger, on s’en amuse : la « réussite » française fait rire les chancelleries.
Ici, on s’en indigne à peine. On a pris goût à la défaite tranquille.
Le nouveau Premier ministre, Sébastien Lecornu, aura fort à faire. Il faudra donc qu’avec son gouvernement il fournisse un effort considérable pour redresser la barre d’un navire si lourdement endetté qui part à la dérive.
Certitudes et incertitudes
Parmi les certitudes, une s’impose à toutes : la dette écologique.
Elle est la plus impitoyable des dettes, car elle ne se rembourse pas en monnaie, mais en temps perdu. À cette dette, s’ajoute une autre, financière celle-là, abyssale, de 3 345 milliards d’euros, dont la maîtrise devient chaque jour plus improbable.
Fin 2023, le patrimoine économique national atteignait 18 674 milliards : trois quarts détenus par les ménages, un quart par l’État. Mais la dette, elle, représente déjà 19 % de cette richesse, dont 96 % à la charge du pouvoir public.
Chaque euro dépensé devrait désormais trouver son équivalent ailleurs, et chaque impôt nouveau sa contrepartie supprimée. Ce n’est pas de rigueur qu’il s’agit, mais de survie.
Et pourtant, on feint d’ignorer la cause profonde : la croissance démographique entraîne la croissance des besoins
Plus d’habitants, c’est plus de tout : de pain, d’eau, d’énergie, de métal, de béton, d’écrans et de rêves consumés.
Chaque berceau appelle un peu de terre arable de moins, chaque logement neuf mord sur la forêt ou la prairie. La biodiversité recule, l’eau se raréfie, la chaleur gagne, le ciel se trouble.
Et dans cette fièvre de production, le monde extrait sans relâche les métaux rares qui nourrissent le numérique et l’intelligence artificielle.
La Chine en détient 90 % : notre dépendance est totale, notre myopie, abyssale.
Ces ressources, épuisables, devraient être chéries comme des trésors, et pourtant nous les dilapidons comme si elles étaient éternelles.
L’avenir, ici, n’est plus un horizon, c’est une dette.
Et la politique, au lieu de s’en faire la gardienne, s’en est faite la complice.
Parmi les incertitudes, notamment électorales
Au travers des sondages en cours, lorsqu’on observe de près la situation politique française et que l’on tente d’imaginer les résultats possibles de l’élection présidentielle de 2027 ainsi que des législatives qui suivront, une évidence s’impose : la situation politique issue du prochain scrutin paraît très incertaine.
À l’exception du Rassemblement national, qui caracole en tête dans les sondages — sans que cela lui garantisse pour autant la victoire finale, les autres partis politiques évoluent dans une grande confusion.
À gauche, dans ce qui fut le « Nouveau Front populaire », dominé par La France insoumise, aujourd’hui en perte de vitesse en raison de l’attitude de ses principaux dirigeants, au premier rang desquels Jean-Luc Mélenchon, le climat est pour le moins électrique.
Malgré quelques pirouettes de son premier secrétaire, Olivier Faure, le Parti socialiste a finalement fait preuve de réalisme et de responsabilité politique en refusant de censurer le Premier ministre Sébastien Lecornu lors de la présentation de sa déclaration de politique générale, et en choisissant d’agir dans le cadre du débat parlementaire.
Ce positionnement lui vaut les foudres des agité(e)s de la France insoumise, pour qui le PS serait un renégat à leur cause commune. Mais il est peu probable que cela influence durablement l’un de ses candidats potentiels, Raphaël Glucksmann, député européen, qui récuse toute alliance avec LFI et qui, selon plusieurs sondages, se placerait aujourd’hui en seconde position dans les intentions de vote pour la présidentielle, certes, encore loin derrière Marine Le Pen ou Jordan Bardella, mais suffisamment haut pour espérer accéder au second tour.
L’avenir des retraites : autre source d’incertitude
À nos député(e)s économes en solidarité mais prodigues en dogmes libéraux, qui rêvent d’en finir, en tout ou partie, avec la retraite fondée sur la solidarité entre générations, il faut rappeler une évidence :
le système par capitalisation repose sur une donnée hautement incertaine, à savoir la santé de l’économie à un instant donné.
En période de croissance, dont le temps jadis des Trente Glorieuses est révolu, il rassure ; en période de crise, il fragilise.
Lorsque la dette publique atteint des sommets et que les marchés vacillent, la valeur de l’épargne s’érode, parfois brutalement.
Faire reposer l’avenir des retraites sur la seule logique du rendement financier, c’est substituer la spéculation au lien social et la promesse individuelle à la garantie collective.
Or, la véritable stabilité ne vient pas des marchés, mais de la confiance, entre générations, entre citoyens, entre l’État et la société.
C’est précisément cette confiance que le système par répartition protège et perpétue.
Entre certitudes et incertitudes : la réalité gouvernementale
La gestion du budget de l’État illustre à elle seule les difficultés du gouvernement.
Avec une Assemblée nationale fragmentée en trois grands blocs politiques, l’alliance de deux d’entre eux suffit à faire tomber le gouvernement ou à rejeter tout projet de loi.
Dans ce contexte, et face à une dette abyssale, récemment aggravée par la dégradation de la note de la France par les agences de notation, le gouvernement est contraint de trouver des marges d’économie et de bâtir des compromis budgétaires.
Quelles économies budgétaires pourraient être acceptables pour au moins deux des trois principales forces politiques ?
Comme je l’ai déjà suggéré à plusieurs reprises, la mise en place d’une contribution exceptionnelle et temporaire sur la très grande richesse apparaît aujourd’hui comme une mesure de bon sens.
Cette idée, loin d’être révolutionnaire, est dans l’air du temps : plusieurs milliardaires eux-mêmes l’ont défendue lors du Forum économique mondial de Davos en 2023.
- Une taxe “Cushman” revisitée, inspirée du modèle américain, à hauteur de 0,7 %, appliquée de manière temporaire sur la richesse non productive à partir de 250 millions d’euros, soit le seuil d’entrée dans le club français des 500 plus grandes fortunes.
En contrepartie, la suppression de l’impôt sur la fortune immobilière (IFI), qui ne touche pas réellement les plus riches, permettrait une meilleure cohérence fiscale.
Cette mesure rapporterait 7 à 8 milliards d’euros.
- Concernant les aides aux entreprises, il ne s’agit pas de remettre en cause leur principe.
Celles qui créent, innovent ou investissent dans les domaines de la recherche médicale, de l’intelligence artificielle ou des économies d’énergie doivent même être renforcées.
En revanche, un réexamen approfondi des autres dispositifs d’aide s’impose : un toilettage sérieux pourrait permettre d’économiser au moins 22 milliards d’euros.
Ainsi, entre la contribution exceptionnelle sur la richesse non productive et la rationalisation des aides aux entreprises, on pourrait dégager près de 30 milliards d’euros.
Autres pistes d’économies
D’autres économies substantielles peuvent être réalisées, permettant de financer la santé, la recherche, l’éducation et l’hôpital :
- Suppression de certains avantages accordés à des responsables politiques et à de hauts fonctionnaires ;
- Dissolution de comités consultatifs jugés inutiles ;
- Révision de plusieurs dispositifs fiscaux : suppression de certains crédits d’impôts et de l’exonération sur les plus-values boursières, à l’exception de celles réinvesties dans la création d’activités pour les PME.
Ces mesures pourraient générer au moins 3 milliards d’euros, voire davantage.
À moyen terme, il faudrait aussi envisager une réorganisation territoriale ambitieuse :
réduction des deux tiers du nombre de communes et suppression des intercommunalités, devenues souvent redondantes et coûteuses.
Conclusion
La France est entrée dans un cycle de pluralisme stable.
Le vieux balancier de l’alternance s’est brisé : le jeu politique n’est plus à deux, il est à trois.
Pendant que certains cultivent la provocation et que d’autres entretiennent la colère, la France croule sous une dette abyssale, avec des charges d’intérêts qui ne cessent de croître, conséquence directe de la dégradation de sa note financière. Mais pouvait-il en être autrement, lorsque la vie politique française se résume trop souvent à des postures, des bouffonneries parlementaires, des ambitions précoces et des rivalités médiocres ?
De quoi faire sourire, sinon rire, nos voisins européens et les chancelleries étrangères.