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Billet de blog 1 février 2025

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Rima Hassan, des humanistes genevois au chevet de la droite

L'avocate Rima Hassan de Gazaouis victimes d'un génocide se voit accusée à Genève d’antisémitisme, apologie du Hamas et soutien à l'incarcération de l'écrivain Boualem Sansal. La gauche soutenant l'avocate serait obscurantiste et son invitation à Genève par un festival indigne. Je tiens ce discours hostile à la reconnaissance du génocide pour incohérent, droitier et trompeur.

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La Tribune de Genève a publié le 28 janvier un article de Massia Pougatch et Leo Kaneman intitulé “L’invité: Droits humains: Rima Hassan et la gauche” (https://tinyurl.com/239epxav). Les auteurs sont des amis de longue date depuis le mai 68 genevois et le sont restés en dépit de fortes divergences, à propos voile islamique et laïcité notamment, vu leur incontestable attachement aux droits humains sur d'autres terrains. C'est dans le contexte de ces divergences restées amicales, que s'inscrivent les remarques, sévèrement critiques, qui suivent.

Le résumé qu'on trouve de leur article sur Google sent l’IA à plein nez, et commence par affirmer qu'il ne s'en prendrait qu'à une fraction de la gauche qui soutiendrait le Hamas. Voilà qui débute par un mensonge ou demi-vérité car l'article, on le verra, va bien au-delà d'une définition qui procède d'un amalgame aussi contestable que dangereux en frayant fâcheusement avec celle d'"islamo-gauchisme", notion dont l'incongruité et le registre éminemment droitier, mantra de la droite extrême, sont selon nous avérés.

Plus que s'en prendre aux rares soutiens affirmés du Hamas orientés à gauche, comme il s'en trouve hélas, l'article  enrôle comme partisan du Hamas quiconque se refuse comme nous à imputer uniquement à ce mouvement le déclenchement, par ses actes terroristes du 7 octobre 2023 aux frontières de Gaza, la réplique israélienne guerrière aux effets dévastateurs que l'on sait. Inaugurée dès le 22 du mois, cette riposte est non seulement disproportionnée mais prolonge depuis plus d'une année une politique illégale d'occupation et de colonisation territoriale violentes par des bombardements massifs et destructeurs de l'enclave et meurtriers pour sa population civile. La communauté internationale s'accorde a qualifier cette réplique de génocide envers la population palestinienne concernée (cf. le rapport d'Amnesty International sous https://tinyurl.com/2dmlle5c​). Les auteurs, pourtant fervents défenseurs de l'universalité des droits humains et professant de condamner sans équivoque ces bombardements comme criminels, omettent toutefois de mentionner que c'est cette variante de génocide qui a provoqué un mouvement mondial de protestation, aussi impressionnant que protéiforme, réclamant diversement cessez-le-feu, retour des otages pris par le Hamas, et sanctions contre les génocidaires, sans encore y aboutir.

Au lieu de se joindre, dans le respect de leurs valeurs humanistes, à ces manifestations contemporaines, où Rima Hassan, ambassadrice, sous bannière insoumise (LFI), au parlement européen (PE) des résistances palestiniennes et de leur bon droit, y joue crânement sa partition, les auteurs la brocardent sous un double prétexte. Ils la font d'abord passer pour une antisémite fanatique et avocate du terrorisme islamiste, en exploitant sans vergogne son assimilation, certes contestable et sans nuances, du 7 octobre en acte de résistance, donc légitimé à ses yeux. Ils occultent pareillement le distinguo fait le jour même par LFI entre taxer le Hamas de groupe terroriste et la qualification incontestable de ses attaques du 7 octobre non seulement comme actes terroristes, mais justiciables de la CPI pour indubitables crimes de guerre et contre l'humanité que lui valent prise d'otages, tortures et viols de civils. LFI s'insurge à juste raison de l'inculpation de sa cheffe de groupe parlementaire Mathilde Panot pour "apologie du terrorisme" en avril 2024, aujourd'hui classée sans suite (cf. https://tinyurl.com/248vblkt). Nos auteurs voient malgré cela la preuve de leurs griefs contre l'avocate palestinienne dans son récent vote au PE contre une résolution requérant du gouvernement algérien la libération de l'écrivain algérien devenu binational Boualem Sansal. Ce dernier, résolument hostile à la politique culturelle du régime et à son entrave arbitraire à la liberté de sa remise en cause, a été  scandaleusement incarcéré pour délit d'opinion, ce que ne saurait justifier son obsession attribuant ces méfaits à un islam qu'il essentialise en se prosternant devant nos bien imparfaites mœurs démocratiques occidentales.

Or, il n'est pas besoin d'adhérer aux postulats de Rima Hassan pour s'insurger contre le traitement que lui réservent nos si vindicatifs pugilistes. Si cette avocate des droits humains eut été selon nous mieux inspirée de reconnaître le caractère immonde des crimes commandités par le Hamas pour terroriser l'occupant le 7 octobre, elle reste néanmoins légitimée à s'indigner du caractère injustifiable et immensément plus massif de ceux également criminels du terrorisme étatique, cette fois incontesté, visée génocidaire en sus, exercé par les forces armées israéliennes. Elles déciment une population civile dont le seul crime était d'avoir majoritairement élu et partiellement soutenu, avec la complicité initiale d'Israël, une formation incarnant à tort ou raison une opposition armée là où les pourparlers de paix d'une administration corrompue avaient démontré leur impuissance à arrêter le cours de l'occupation et spoliation territoriale continue des 32 dernières années, pour ne remonter qu'aux accords d'Oslo  (cf https://tinyurl.com/28couzyv) de 1993 plutôt qu'à la fondation de l'Etat.

Accuser Rima Hassan de passer sous silence l'illégitimité patente et l'ignominie des moyens choisis par le Hamas de combattre l'occupant n'est pas sérieux si l'on occulte en parallèle ceux, incommensurables en étendue, de la réplique armée de l'Etat juif (terme malheureux en vigueur dans le traité fondateur de 1947) et le fond de la colonisation de peuplement contre lesquels l'avocate a toute raison de se dresser. Le Hamas est inculpé, comme ce fut déjà le cas de Choukeiri ou d'Arafat, de viser à refouler, "jeter les juifs à la mer", de l'état palestinien, qui équivaut si ce n'est à une extermination de masse, à un exode de même nature. Pourtant, comme le firent ses prédécesseurs, ce mouvement a abandonné dans une révision ou nouvelle mouture de 2017 la clause similaire, contenue dans sa charte de 1988, antisémite, qui contenait l'annihilation de l'état d'Israël et l'établissement d'un état théocratique. Il y reconnaissait donc implicitement dans les frontières de 1967 un état hébreu signataire de traités avec certains pays arabes (Wkipedida sous https://tinyurl.com/29mhfmat). 

Les auteurs insistent sur leur appartenance à une gauche critique de cette injustice faite aux palestiniens. Comment comprendre qu'ils n'aient pas une once de compréhension pour leur éminente avocate ?

Enfin, condamner le  vote de Rima Hassan au PE pour, en la traitant de suppôt d'un terrorisme de fanatiques, lui refuser d'en débattre à l'invitation du festival Black Movie, serait piquant venant du fondateur du FIFDH prisant les débats contradictoires, si cette entorse à la tradition festivalière ne confinait à la désinformation des lecteurs. Déduire d'un vote contre la résolution du PE réclamant la libération de l'écrivain que cela équivaut à tolérer la poursuite de son incarcération, relève pour le moins d'un parti-pris mensonger. Surtout quand on ne saurait ignorer que le parti politique que Rima y représente (LFI) a réclamé à plusieurs reprises dans les médias la libération de l'écrivain, et qu'on cèle l'abstention de la cheffe du groupe, Manon Aubry, parce qu'il faudrait alors l'expliquer au lecteur. La très macroniste Nathalie Loiseau - à ne pas confondre comme j'ai pu le faire avec la journaliste Manon Loizeau - ou le chantre du renouveau socialiste échappant à l'orbite mélenchonienne Raphaël Glucksmann, empressés comme nos deux auteurs de démontrer la complaisance de la gauche radicale envers un islam politique qui pourchasse et emprisonne les avocats des libertés publiques, se sont, à peine le vote connu, rué sur les ondes pour dénoncer à qui mieux mieux la honte des députés LFI. Comme la mouvance que draine l'essayiste Caroline Fourest, ces deux députés représentent au PE les opinions que défendent ici comme ailleurs les deux auteurs de l'article de la Tribune, qui s'acharnent à l'unisson sur Rima Hassan. Glucksmann a même illico argué que le vote européen des lfistes venait à point pour justifier l'émancipation  amorcée au NFP par la direction du PS du joug de Mélenchon. Ayant traité, au moins en privé, ce dernier de "fossoyeur de la gauche" et l'ayant qualifié d'antisémite, il n'est pas étonnant que les auteurs ne songent guère à se distancier de pareils errements.

Dans l'article en question, les auteurs se gardent pourtant bien de dévoiler qu'ils partagent ce fonds de commerce idéologique pour accabler Rima Hassan de son vote au PE. C'est François Ruffin qui est appelé à la rescousse pour se dédouaner d'une hostilité de principe à LFI. Evincé du groupe LFI à l'AN, ayant rejoint les "purgés" de LFI chez les écolos, en pourparlers pour rejoindre avec la GDS leur tentative de fédérer les unitaires dans l'Après, Ruffin a certes, comme les deux députés cités, condamné avec sévérité ce vote et même l'abstention comme honteux. Il est donc généreusement cité pour étoffer le discours stigmatisant, islamophobe et Boualemsansalophile d'une gauche dans laquelle les Kaneman disent se reconnaître. Manque de pot, malgré les distances prises avec Mélenchon, Ruffin n'appartient aucunement à une telle mouvance. Il a certes condamné de ne pas voter la résolution du PE pour ne pas affaiblir une exigence de libération qu'il estime justifiée. Mais iI l'a fait sans être dupe du quasi unanimisme qui en a marqué le contexte européen, ni de l'hypocrisie manifeste de l'extrême-droite, notoirement adepte de la manière forte, s'y associant par islamophobie et pour cause de contentieux franco-algérien actuel sur l'immigration.

Ruffin refuse de s'opposer au gouvernement uniquement parce que  le RN croit devoir le soutenir mais il vient de signer sur son blog  (https://tinyurl.com/29bqmsk8) une violente charge contre la dérive du PS depuis 1983 vers le social-libéralisme. Cela le situe aux antipodes de la stratégie d'émancipation du PS par rapport au programme du NFP que cautionnent implicitement ici, mais explicitement ailleurs, les auteurs suivant Glucksmann. Que n'ont-ils recouru plutôt aux positions de l'incontestable avocat des Droits Humains qu'est, pour l'avoir payé de sa personne, l'excellent et lucide Rony Brauman ? Ce dernier est un des juifs justes qui n'a pas comme eux hésité à qualifier la riposte israélienne de génocidaire, et a également résisté à la facilité de traiter Rima Hassan en paria des droits humains. Non, décidément NON, assimiler le cas de Rima Hassan à celui de l'histrion Dieudonné pour priver les genevois du droit d'écouter une parole qu'on a celui de contester, me paraît un pêché contre l'esprit.

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