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Billet de blog 3 février 2022

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Gauche présidentielle 2022 - Course à l'abîme ou dernier sursaut ?

Réaction d’abord épidermique puis à froid aux derniers événements à gauche, marqués par l’attaque bille en tête du processus engagé par la Primaire Populaire par les formations « traditionnelles » en campagne pour leurs candidats à près de soixante jours de l’échéance du premier tour.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Contexte

Ce billet fait suite à trois contributions précédentes sur le même blog, datées du 10 et 20 décembre, puis du 16 janvier, intitulées respectivement « Bal des perdants ou échappée victorieuse », « Le coup du mépris pour la PPoP ne prend pas » et « Taubira, combien de divisions ». Il tente, après le triomphe de la « candidate de plus[1] » au soir du 30 janvier, une fois dissipée la fatigue née de la ferveur des bénévoles du centre d’appel mis gratuitement à disposition des 392'738[2] votants, et digérées (mal-) les premières escarmouches entre concurrents, d’analyser la situation de la « Primaire Populaire », rebaptisée en « Investiture » vu l’unanime fin de non-recevoir des trois Grands.

Hostilités ouvertes dans les médias

L’édito de Renaud Dély du matin du 24 janvier est particulièrement édifiant (Ni Primaire, Ni Populaire).
Mais le Monde n’est pas en reste, qui titrait le même lundi dans le numéro imprimé la veille « Sondage A gauche, la candidature Taubira accroît la fragmentation ». Aller douter de leur partialité tient de la gageure.

Sophia Aram renchérit le même jour dans son billet hebdomadaire de France Inter en affirmant finement qu’il s’agit d’un concours agricole mené avec l’accent du Xième pour court-circuiter la machinerie ringarde des partis et introniser Chris… …bira. Voilà donc la grande amie de gauche de Caroline Fourest, dont j’appréciais aveuglément les chroniques, enfourcher la même rosse efflanquée que la pourfendeuse de contrevenants à sa version de la laïcité. On a vu cette version adoubée par la Macronie en marche vers les matins enchanteurs de l’épuration façon Blanquer[3].

Il n’est pas jusqu’à quelques blogueurs de Mediapart qui ne se soient insurgés contre les intrigants qui, à leur avis d’encartés, osent intervenir en amont d’un processus électoral institutionnel en rassemblant des citoyens attachés à ne pas fracasser les miettes de la gauche et emporter les programmes de ses principales formations dans une élection qui ne tolère pas la désunion. Les preuves des dégâts de cette fragmentation ne manquent pourtant pas. La dernière en date s’appelle évidemment Lionel Jospin, que ces bons maîtres ne manquent aucune occasion de rappeler, pour pourfendre les 2.32% de Madame Taubira au premier tour d’il y a vingt ans. Ils passent sous silence les 13.95% de Mamère, Chevènement, et Hue réunis, et le fait que l’extrême-gauche y ajoutait plus de 10%[4]. Ils couvrent aujourd’hui par exemple[5] d’une haine recuite, qui fleure bon l’irrépressible envie, un Cyril Dion, coupable de chercher une place médiatique au firmament du cinéma d’interpellation, sans doute à défaut de s’en prendre à d’autres nombreux soutiens de la Primaire Populaire, moins suspects de rouler pour leur pomme. Militants bornés contre dandys sans repères, on connaît la chanson, comme le refrain populaire qui prévient de nous garder de pareils amis.

Les Insoumis mal inspirés

Jean-Luc Mélenchon s’est joint à la battue en affectant d’abord n’être pas concerné par les remous au « centre-gauche » pour ensuite considérer, dans son blog du lendemain de la clôture d’inscriptions à la Primaire Populaire ayant atteint en quelques jours l’étiage spectaculaire de 467'000 inscrits confirmés, que : « Aucune manipulation n’atteint sa cible dans nos rangs » et « Les échos des méthodes plus que discutables de la soi-disant « Primaire populaire » non plus. » Il ne craint pas de s’esclaffer ensuite devant « les martingales et effets multiplicateurs de cette étrange équipe quand elle prétend avoir gagné en 2 heures 16 000 inscrits supplémentaires de plus donnant le numéro de leur carte bancaire ! Ainsi sont totalisés d’un coup 450 000 électeurs. »[6]

Certains des députés du groupe présidé par Mélenchon s’étaient déjà répandus la semaine qui précède en propos encore plus agressifs. Ainsi Danièle Obono, qui le 16 janvier, relayant les demandes officielles de Manuel Bompard de retirer toute mention de JLM dans les documents de la Primaire Populaire[7], en traitait carrément les promoteurs de « voyous ».

Illustration 1
Obono sur la Primaire Populaire © Danièle Obobo

Le porte-parole de la campagne de J-L Mélenchon avait pourtant dans le communiqué cité en note, usé d’un langage nettement plus prudent. Il en qualifiait le processus de « problématique » et d’ « insincère », ses pratiques de « déloyales », le condamnait pour exclure du vote 10 millions de victimes de la fracture numérique par recours à la carte bleue, et s’inquiétant d’une dissolution des organes de contrôle, déclinait toute responsabilité quant à l’usage des données collectées en jetant le soupçon sur l’origine des fonds auxquels la primaire aurait recourus. Nous n’y avons toutefois pas trouvé trace de prétendue menace de poursuite juridique.

En revanche, sur sa page twitter, le même Bompard se réfère à des discussions mettant en doute l’indépendance et l’intégrité de la Haute Autorité de Contrôle du Vote (HACV) chargée de veiller à la sincérité du scrutin, en notant que sa présidente Clara Gérard-Rodriguez du barreau parisien, avait affirmé sur Twitter qu’elle « aimerait tant voter pour Christiane Taubira », car elle était « la seule femme politique française à qui il restait de la hauteur ». Il omet de dater le Tweet en question, remontant à décembre 2016 à propos d’une position exprimée par Mme Taubira sur la tragédie d’Alep au Liban. On jugera de la pertinence du propos pour démontrer la partialité de la magistrate 5 ans plus tard.

Qu’est-ce qui peut bien conduire l’état-major des Insoumis, dont les méritoires efforts promettaient selon les sondages de distancer Jadot, leur plus proche concurrent, à mépriser autant une tentative citoyenne relativement originale. Celle-ci, promettait de nombreux et enthousiastes soutiens à leur campagne sous la seule condition de faire une place, en cas de victoire au second tour, aux formations ayant accepté de se rassembler sous leur victorieux drapeau[8]. Il n’en est pas question, et le verdict du chef tombe, définitif : la Primaire Populaire n’est qu’une « machine à désespérer ».

Jean-Luc Mélenchon a été à nouveau sans ambiguïté là-dessus dans le Twitch live #AlloMélenchon du 1er février, au lendemain du triomphe de Christiane Taubira dans le scrutin qu’il avait auparavant si dédaigneusement vilipendé. Il avait abondamment caricaturé le processus de la PP, usant des mêmes arguments que ses trolls quant à l’amateurisme de la sécurisation du vote, l’ouverture à la fraude par emploi multiple des cartes bancaires, et j’en passe. A une question sur le « chat » lui demandant s’il consentirait à prendre un des autres candidats, p.ex. Mme Taubira, comme premier ministre, il a répondu qu’il n’en était pas question, qu’on ne saurait discuter sur le coin d’une table de désigner tel ou tel, et qu’il choisirait d’évidence son premier ministre dans les rangs des Insoumis pour avoir une garantie minimale de respect de son programme. Il faut évidemment comprendre qu’il n’est guère ouvert à des discussions avec les autres candidats sur la composition du gouvernement. Voilà qui contredit son affirmation qu’il serait prêt à la prise en compte de tous les volontaires à y participer … dès qu’il aurait eu accès au 2ème tour. Allez comprendre ce surcroît de mépris.

Les écologistes pas vraiment en reste

Alain Lipietz, un des plus éminents défenseurs de la ligne Jadot, invitait plutôt à une espèce de baroud qu’il a défini comme « l’honneur de l’esprit humain », demandant à celles et ceux qui le suivent et sont inscrits à la PP de voter Jadot. Il se joint malgré tout à la meute en traitant le chemin choisi par les organisateurs de la PP de « mascarade ». Il faut lire son billet sur FB et surtout les commentaires qui suivent pour comprendre pourquoi le parti a refusé finalement de participer au point de désavouer maintenant le processus qui avait conduit au Socle Commun.

Les considérations bourdieusiennes de Christian Salmon sur l’intervention d’Anna Mouglalis sur fond de Baron Noir sont certes passionnantes, mais indiquent bien de quelle répulsion de la gauche institutionnelle il s’agit. On en a vu la conjonction au moment des gilets jaunes, qu’Alain Lipietz a pourtant toujours défendus. Cette fraction de la gauche déteste par-dessus tout un jugement majoritaire montrant que « Ils s'appuient sur la note plutôt que sur le vote, substituent la logique du casting à celle du débat public. »[9] Ce sont les préférences d'un peuple composé d'électeurs-consommateurs qui sont sollicitées en lieu et place d'un choix éclairé par le débat démocratique. C'est la logique du casting de télé-réalité qui prévaut. Les participants n'ont même pas à se déclarer candidats, et s'ils le sont, les voilà embarqués à leur corps défendant dans cette bizarre équipée ; impossible de se défaire de leurs encombrants organisateurs ». Cela devrait rappeler mutatis mutandis en passant des « sans dents » aux « gradés de sciences-po » le mépris affiché pour les gilets jaunes.

Pot-pourri, escarmouches, fake news

Une anthologie systématique de ce qu’on trouve d’épidermique et de joyeusement contradictoire dans les commentaires sur les réseaux sociaux serait distrayante, mais excessivement chronophage. Contentons-nous de quelques perles assassines, sans prêter attention aux ânonnements ou dithyrambes partisans qui les émaillent. Ici, les animateurs et bénévoles de la Primaire sont peints en macronistes embusqués ou endurcis par des radicaux de tous ordres. Là, ils forment un parterre d’aficionados d’une Miss Election, entichés de la photo de la candidate plutôt qu’intéressés à son programme, d’ailleurs inexistant. Pas populaire pour un sou, à l’exception de Charlotte affirme quelqu’un, cette Primaire émane ailleurs de l’imagination d’un ramassis de sociaux-démocrates en deuil de PS. Pour beaucoup, cette élection arrive bien trop tard, aurait dû avoir lieu il y a six mois, risque à ce stade d’augmenter l‘abstention, susciter le dégoût, ajouter à l’incompréhension. L’évidence de l’impossibilité de gagner avec Mélenchon devrait crever les yeux, comme l’absence d’intérêt de Taubira pour le débat puisqu’elle a boycotté entre candidats en envoyant quelqu’un la représenter. Etc. etc.    

Sarcasmes au sujet du jugement majoritaire

Les sarcasmes ne tarissent pas sur la nouveauté du mode de scrutin employé pour départager les concurrents, que d’aucuns ont l’excellent goût de comparer aux mentions d’un conseil de classe, ironisant comme sur les twittos rapportés par le Huffington Post p.ex. en se notant « suffisamment bien pour être passable »[10]. C’est pourtant l’archaïsme du scrutin éliminatoire à deux tours, l’absence de prise en compte du vote blanc, les conséquences répétées d’un vote utile aboutissant à des présidents tout puissants tout en étant largement minoritaires, élus au second tour avec moins de 20% d’adhésion à leur programme, ou tournant le dos, à peine élus, à ceux qui les avaient fait rois, qui mériteraient de les ébranler.

La primaire, des bobos pas sérieux polluant le travail politique ?

La critique la plus profonde du processus initié par la Primaire n’est probablement pas exempte de mauvaise foi, mais n’en mérite pas moins notre attention, lorsqu’elle ne s’accompagne pas du ton méprisant que nous avons brocardé plus haut. Elle s’honore lorsqu’elle considère que, quelle que soit l’extraction sociale des votants, mobiliser 400'000 citoyens pour départager, par les moyens que permettent les réseaux sociaux, des candidats qui se proclament tous le cœur à gauche, mérite respect et considération. Nous regroupons à gauche quiconque est demandeur d’alternative égalitaire à une politique présidentielle noirement inspirée de théories économiques inégalitaires, autoritaires et/ou identitaires régnantes de la droite à l’extrême-droite. Confronter les intentions avec les actes ne doit pas selon nous conduire à ignorer les premières.

Nous ne pouvons pas nous attarder sur la discussion détaillée des objections plus ou moins recevables qu’on voit fleurir par exemple dans le debriefing de Regards par Pablo Renaud-Villien et Catherine Tricot interrogés par Pierre Jacquemin daté du 31 janvier, dans l’instant Porcher du lendemain ou dans les conclusions qu’en tirent dans une Tribune des soutiens de la Primaire tel que Pierre Khalfa et Michèle Riot-Sarcey. Essayons d’en résumer la substance en y répondant brièvement.

La Primaire n’aurait pas débattu des options programmatiques proposées par les différents candidats en lice et se contente d’une notation par les inscrits au vote.

C’est faux au regard de l’énergie consacrée à l’élaboration du Socle Commun avant le lancement de la phase des parrainages. Certes elle a été limitée à des états-majors de partis et responsables d’associations partenaires, dûment mentionnés, sans que quiconque ait protesté d’en avoir été écarté. Cette phase une fois close, il ne s’agissait plus des programmes mais de faire émerger sur cette commune base une candidature commune selon un processus démocratique de citoyens l’acceptant. Les programmes en voie d’élaboration définitive des candidats étaient disponibles et consultables en vue d’étayer ces choix.  

L’absence de débat interne a pollué les débats publics télé- ou radio-diffusés par la question insistante du que « pensez-vous du processus engagé par la Primaire », occultant le débat sur le fond de ce qui sépare les candidats é la présidence.

La Primaire ne peut être rendue responsable de la pauvreté thématique des chaînes d’information publiques ou privées du PAF. Cette question n’aurait pas eu la signification que les médias lui ont attribuée si les principaux candidats n’avaient pas mis en doute la légitimité du processus public choisi. Les partis ont délibérément choisi le déni de l’importance stratégique de leur union avant le premier tour, sur laquelle la Primaire anticipant la défaite par dispersion était construite. Mélenchon s’est par exemple inscrit d’emblée en faux contre cette importance en prenant exemple sur la multiplicité des candidatures n’ayant pas empêché la victoire de Mitterrand en 1981. Il est particulièrement piquant de les voir maintenant attribuer par anticipation leur éventuel échec à la présence d’une candidate encore minoritaire dans les sondages. Qu’importerait cette candidature de plus si la dispersion n’est pas un handicap ?

Les cliqueurs appelés à s’exprimer par le type de notation ne servent qu’à assurer une audience à des personnes qui en sont dépourvues pour n’être pas des militants au long cours d’un parti politique. Il faut arrêter avec ça selon T. Porcher et laisser débattre les tenants de programmes alternatifs, au fond comme le prévoit le déroulement médiatique de la campagne officielle.

Là il s’agit de procès d’intention inspirés par la biographie des porte-paroles, Mathilde Imer et Samuel Grzybowski, les lièvres que Mélenchon a p.ex. comparés à son avance patiente de tortue, sans toutefois tomber comme certains dans les attaques personnelles. Au-delà des relents désagréables de ce qui revient à reprocher aux impliqués d’avoir évolué dans leur comportement, p.ex. le catholicisme de gauche du jeune Samuel, son rôle d’entrepreneur social et ses affiliations associatives avec Coexister, ou l’arrivée en politique de Mathilde par le biais de la Convention Citoyenne pour le Climat suspectée de ce fait de macronisme indélébile, rien de sérieux ne vient étayer le soupçon de se tailler une notoriété future rémunératrice sur le dos des inscrits ou bénévoles dont je fus. En réalité des reportages sur leur intégrité et sincérité ne manquent pas, mais quand cela serait, leur mérite incontestable de nous avoir mobilisés si nombreux et donné l’occasion d’un vote que l’on s’accorde à trouver citoyennement historique, devait-il valoir peanuts par rapport à des militants chevronnés qu’il n’est pas question de dénigrer ou dévaloriser ? A l’heure où les partis concernés n’ont pas négligé les appuis que des modalités d’inscription moins rigoureuses leur valaient pour leur propres primaires ou parrainages, et je m’étais personnellement inscrit tant à EELV qu’à l’Union Populaire, à l’heure où ils se vantent justement d’ouvrir, s’ils accèdent à la présidence, largement la porte politique aux citoyens sans expérience ou pedigree, à l’heure où ils utilisent habilement les nouvelles technologies de l’information pour stimuler leur audience auprès des jeunes, comment justifier ce qui s’apparente à rien de moins qu’une espèce de chasse gardée teintée d’arrogance de parvenus de la politique ?

La composition sociale présumée des votants à la Primaire n’est pas représentative des couches d’électeurs qu’il s’agit de gagner à l’exercice du vote.

Certes, et personne ne l’a prétendu. C’est d’ailleurs pourquoi le Primaire, même après sa transformation en Investiture n’a rien du sondage, et n’a pas à se soumettre à un contrôle de représentativité de l’échantillon des sondés par les instituts. Il s’agissait bien d’anticiper sur l’élection par élimination à deux tours de la présidentielle par un choix démocratique non pas de l’ensemble de l’électorat mais d’un groupe de citoyens attachés à une cause. En quoi donc, à part le fait d’une majorité d’encartés par ailleurs, la légitimité de leur choix serait-elle inférieure aux autres scrutins plus ou moins ouverts à un public guère plus contrôlable que les signataires puis les inscrit à la Primaire Populaire ? Et la supériorité numérique de cette dernière n’est-elle pas à elle seule un argument que son public à toutes les chances d’avoir correspondu à une couche de personnes fréquemment éloignées de la politique institutionnelle que les concurrents s’efforcent précisément d’amener à s’y intéresser. Nous de disposons pas d’enquêtes ou sondages ponctuels sur la population du presque demi-million d’inscrits, mais tout indique que la jeunesse y était prépondérante et la diversité manifeste. Alors, merci de nous épargner des réflexions désabusées ne traduisant somme toute que la réticence  à la nouveauté de l’expérience.

La Primaire Populaire n’a pas fait le travail d’élaboration programmatique permettant de gagner la présidentielle sur des idées communes.

En somme, il lui est reproché de n’être pas un parti politique ayant mieux que les autres élaboré à elle seule un programme susceptible de remporter une compétition à gauche avant que cette dernière ne se fractionne en programmes peut-être complémentaires mais soutenus par des écuries rivales. C’est un argument ridicule, car le prétendre n’aurait abouti au mieux qu’à une chapelle de plus. Autant lui reprocher l’état même de la dispersion actuelle. Ce qu’elle a tenté c’est de prouver que parmi les programmes existants des formations voulant sortir à gauche de l’expérience Macron, les convergences primaient sur les divergences, et proposer une méthode citoyenne pour départager les combattants avant qu’il ne soit trop tard. C’est tout différent et nous lui savons gré d’avoir été bien au-delà des précédentes tentatives de recomposition d’un pôle réformiste à opposer au radicalisme du pôle communiste en déclin.

Pierre Khalfa a raison de distinguer deux registres d’action celui de la nécessité de l’union et celui de son contenu. Il a raison de traiter Hollande de social-libéral teinté de démocratie et non social-démocrate comme il prétend se définir. Il admet parfaitement que la PP est un succès magnifique. La question c’est celle de l’après-vote et de sa transformation en mouvement et du contenu de ce mouvement. Toutefois nous sommes encore avant la présidentielle, qui détermine la politique des cinq prochaines années.  Son entretien à la midinale de Regards est parfaitement éclairant.

Christiane Taubira, la candidate qu’il nous manquait ?

Enfin, on accable la nouvelle candidate de tous côtés, sauf de celui de ses partisans de longue date, dont je n’ai pas fait partie, obnubilé que j’étais par la qualité du programme de Jean-Luc Mélenchon, par la bravoure de ses équipiers parlementaires, de ses qualités de débatteur et d’une profondeur de vues peu communes ayant popularisé la notion de créolisation qui m’est personnellement si chère, ainsi que par une fougue communicative que son âge et expérience n’ont pas entravée. Je reste persuadé, mis à part quelques interrogations persistantes sur sa politique étrangère et européenne, qu’il aurait fait le meilleur président possible dans les circonstances où l’essentiel était de rompre avec la politique économique de son prédécesseur et engager le chemin d’une Constituante renouvelant en profondeur la démocratie française.

Il faut dire qu’une critique des options connues de Christiane Taubira a sa place et qu’il y a une certaine légitimité à la mise en lumière d’éléments plus que problématiques, voire carrément antithétiques  à un point de vue de gauche hostile aux dégâts du néo-libéralisme, d’un programme économique de 2002 qu’elle ne renie d’ailleurs pas du tout, et qui était plutôt en phase avec les illusions du ruissellement vers le bas de l’échelle que provoquerait la réduction d’impôts trop progressifs ou l’allègement des charges sociales pesant sur les entreprises[11]. L’interroger sur ces options pour dissiper toute éventuelle équivoque sur l’actualisation de son programme est aussi salubre que nécessaire. Par opposé, imputer aux porte-paroles de la Primaire Populaire des intentions maléfiques de ne servir que la cause de l’élimination de la gauche radicale, sous prétexte qu’on ne saurait englober les restes du PS et la candidate Hidalgo dans les rangs de la gauche, me semble relever du sectarisme sémantique le plus pur. Il y a depuis toujours une tension au sein de cette dernière entre les tenants, peu importe que ce soit par hésitation, renoncement, intérêt de caste, reniement ou désespoir, d’un accommodement avec le capitalisme et ceux déterminés au changement de régime économique. Si le combat continue, l’arme du sectarisme ne l’a jamais servi.

Je ne pensais pas que Christiane Taubira pourrait de la seule position qu’elle a occupée comme garde des Sceaux remuante et avec le boulet de la gauche modérantiste qu’elle traîne depuis 20 ans auprès de qui n’a pas partagé son combat antiraciste, parvenir à convaincre les Français de l’adouber. Devant la défaite programmée du fait de la dispersion d’une gauche incohérente en proie à des démons depuis le congrès de Tours et peinant à digérer les leçons du stalinisme, elle ne s’est pas dégonflée et, quitte à paraître accroître une division dont les états-majors se satisfaisaient au grand dam du «peuple de gauche», a fini, tardivement, à répondre à l’appel de partisans de toujours. On peut encore espérer qu’elle réussira à ne pas rester cette « candidate de plus » que ceux qui ne se regardent pas dans la glace lui opposent effrontément, et finira par engager la dernière chance d’un processus de rassemblement gouvernemental autour d’un programme allant même au-delà d’un Socle Commun pourtant déjà largement alternatif à l’offre de toutes les droites réunies et parfaitement compatible avec les grandes options de celui des Insoumis et des Ecologistes. Son entrevue du 20 janvier à Libération[12] ne devrait plus laisser aucun doute à ce sujet.

Mais voilà, j’estime que Jean-Luc Mélenchon risque de tout gâcher de sa propre ascension dans les sondages par une méfiance déplacée envers la démocratie citoyenne qu’il appelle pourtant constamment à la rescousse, et en traitant avec une suffisance désespérante la tentative d’insuffler de la démocratie participative dans le processus de sélection du candidat à même de gagner la présidentielle. De ce fait, l’aventure de Christiane Taubira resterait suspendue à une éventuelle embellie des sondages en sa faveur, peut-être susceptibles de l’amener à plus d’indulgence et de réalisme. A l’heure où j’écris, les sondages du 2 février ELABE, où Taubira prend avec 6% un point  d’avance sur Jadot, et IFOP Rolling où elle le suit d’un demi[13], ne démontrent rien de tel.

L’union est indispensable mais reste insuffisante

Le 1er tour tombe dans un peu plus de deux mois. Les enseignements des sondages jusqu’ici (27-29 janvier pour le dernier Cluster17), antérieur à l’issue de la Primaire Populaire, comme les deux postérieurs au 30 janvier mentionnés plus haut, ne permettent pas vraiment de trancher.

Illustration 2
Sondage présidentielle Cluster17 27-29 janvier 2022 © Cluster17

A vues humaines, l’avance de Mélenchon, même s’il gagne encore trois points de pourcentage pour arriver à 16%, ne permet guère, sauf à bénéficier des voix se portant sur le second mieux placé de ses concurrents de gauche, d’espérer passer seul le premier tour, même si Zemmour et LePen se maintiennent tous deux. Une alliance à gauche, a minima entre les deux mieux placés, dès avant le premier tour est pratiquement indispensable pour assurer d’être au second pour peu que la division de la droite se maintienne. Il est urgent que cette union s’amorce dans les deux semaines qui viennent, ce malgré tout ce qui jusqu’ici en compromet l’avènement. Sauf si un emballement sondagier venait rapprocher son score de celui de Mélenchon au point de sérieusement compromettre la tentative solitaire de ce dernier, nous conjurons Christiane de songer à un désistement. Contrairement à Jean-Luc, qui a manqué au respect dû à son engagement, elle a pris soin de ne rien compromettre par des abus inconsidérés de grossièretés. Je lui suggère en toute dignité de penser à mettre la Primaire Populaire au service de l’AEC plutôt que de tenter de lui opposer un programme qu’elle ne pourra pas étayer dans la campagne sur l’ensemble des sujets qui lui seront opposés. A contrario, ce serait à Jean-Luc de reconnaître l’impact du vote citoyen et à se ranger derrière Christiane sous réserve de pouvoir appliquer sous sa présidence au gouvernement l’essentiel de l’AEC, en entente avec Yannik. L’appui enthousiaste des forces de la Primaire est bien entendu garanti dans ce cas de figure, hélas apparemment improbable.

Par contre, l’échec au second tour est assuré même en cas d’union au premier, sauf à drainer une grande partie des abstentionnistes. Le défi que posent la mauvaise humeur des Insoumis et l’inertie des écologistes quant à l’issue de la bataille de l’union ne doit pas faire oublier que la mobilisation des abstentionnistes et mal inscrits reste bien l’enjeu principal de la gauche dans les semaines qui viennent.  

Dario Ciprut, 3 février 2022

[1] C’est le sobriquet dont les trois candidats que l’on n’oserait pas qualifier de trop, pour une fois unanimes, lui réservent avec insistance.

[2] Soit un taux de participation de 84.1% des 467'000 inscrits, taux qui fera date, et mesure l’intérêt d’une population probablement représentative du « peuple de gauche » réputé inatteignable, dont une fraction de jeunes et d’abstentionnistes endurcis tirés de leur torpeur ! Il faut ajouter de suite que, contrairement aux sondages auxquels les concurrents tentent abusivement de l’assimiler, cette consultation n’a jamais prétendu à refléter l’avis de l’électorat national.

[3] A ce propos, lire sous https://bit.ly/3IYVSKI les attendus de la grand messe sorbonnarde organisée par l’ « Observatoire du décolonialisme ».

[4] Sur cet épisode peu glorieux pour le PS et ses « alliés » de gauche, lire la crâne réaction de C. Taubira dans Zadig en 2020 (https://bit.ly/3se3iTh), où elle se dit prête à recommencer. On voit qu’elle a tenu parole.

[5] Voir p.ex. le blog de François Hoog (https://bit.ly/3LfnnBJ) du 29 janvier typique de cette verve pédantesque.

[6] Lire la version intégrale sous https://bit.ly/3AHBtXH.

[7] Voir le communiqué de la France Insoumise qu’il signe en tant que porte-parole sous https://bit.ly/3r6m3ZT

[8] Voir le contrat de rassemblement qui lui sera proposé sous https://bit.ly/3H0I8ye .

[9] François Hollande, qui trépigne de se représenter, alors qu’il fait l’objet d’une profonde détestation dans tous les milieux, en particulier populaires, reprend au vol que « la note n’est pas un vote » (voir https://bit.ly/3KXcggq).

[10] https://bit.ly/3ugohaQ

[11] Notamment mis en lumière par l’article de Frustration Magazine et la vidéo disponible sur le Media TV (https://bit.ly/3uninVm).

[12] Entretien à Libération du 20 janvier : https://bit.ly/3INGH6W

[13] Merci à Patricia Martinez qui me les a fournis sur le SAV de la Primaire Populaire.

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