Contexte
Le président Macron, confronté, après la sortie des têtes de série masculins Blanquer, Ferran et Castaner, battus au 1er, aux défections de trois ministres battues le 19 juin au 2ème, et au cas pendable de Damien Abad, soupçonné de tentatives de viol, n’a rebattu, à propos du 2ème gouvernement Borne, aucune des cartes attendues. A l’éventuelle exception de l’ex-PS et maire de Clichy-sous-Bois Olivier Klein, délégué sous Christophe Béchu à la Ville et au Logement, ce gouvernement n’est que replâtrage et chaises musicales. Il se heurte à une composition de l’Assemblée Nationale où la perte de la majorité absolue de 289 sièges le frappe sinon d’illégitimité proprement dite, pour le moins de paralysie prévisible. Il s’efforce, tout en fricotant avec un RN confit en respectabilité, d’en faire à l’avance porter le chapeau à une gauche qu’il voudrait bouter hors de « l’arc républicain » pour radicalisme. Ce dernier, que le devoir de coalition a raboté, se réduit pourtant au respect de ses électeurs et, selon les sondages, d’une majorité de Français. Ces derniers ne savent plus comment désavouer un régime honni, destructeur de protections séculaires, quand une moitié de l’électorat se dérobe au devoir du vote et que le pétainisme larvé ou ouvert relève la tête. Au-delà de la nécessaire motion de censure du 11 juillet, donnée perdue d’avance par l’abstention annoncée des LR et du RN, en amont de l’iceberg de la dissolution à un horizon dépendant de l’erre du navire gouvernemental, on tentera de discerner les chances de la coalition macronienne d’échapper à l’étau dans lequel l’obstination du président et de ses fidèles l’enferme.
Sur le conflit de légitimité
Le score définitif de la nouvelle répartition en sièges des groupes parlementaires à l’issue des législatives s’est établi comme suit, en dépit des contorsions de M. Darmanin pour réduire la Nupes à ses composantes (chiffres officiels sur https://bit.ly/3Is5Kh0, ce tableau sur https://bit.ly/3yszd5H).

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Nous avons encolonné à droite les coalitions de groupes pratiquement assurés de voter en bloc les projets litigieux où majorité et opposition s’affronteraient. Ainsi les 151 sièges NUPES proviennent de 4 groupes, le remuant groupe communiste devenu pour la circonstance GDR. La droite macroniste, ex-Ensemble, en compte 3, dont l’UDI regroupée sous étiquette « Démocrate », et, si l’on veut bien les compter dans leurs rangs, les troupes d’un Edouard Philippe qui, sous label Horizons, rêve de 2027. Alourdie de ce bagage, elle totalise 250 députés plutôt que les seuls 220 ou strictement 172 de l’étiquette Ensemble. Difficile, sur ces seuls scores, d'imaginer, hors l'épicerie circonscriptive des reports de voix plus ou moins déshonorants, comment la Gauche nupésienne, victorieuse de quelque 80'000 voix au premier tour, ne l'oublions pas[1],

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finira à 100 sièges du parti présidentiel au second. La droite dite classique correspond quant à elle pile poil au groupe LR, et l’extrême-droite à un RN, ayant résisté à l’aventure zemmourienne. Il est piquant de remarquer que droite classique et extrême réunies totalisent le même nombre de sièges que la NUPES. Nous ne savons trop dans quelle case mettre le groupe vaguement centriste et sûrement hétéroclite LIOT, allant du maire Jean Lassalle (de l’UDF à Résistons[2]) à Sylvia Pinel (PRG) à travers d’anciens radicaux, UDI ou nationalistes corses. Avec 16 députés, ils ne peuvent à eux seuls faire pencher la balance du côté Macron. Il ressort tout à fait clairement de ce chiffrage que la Macronie ne peut, pour obtenir une majorité sur un projet de loi quelconque, que s’appuyer sur des transfuges des LR ou RN, sauf à croire à une division de la NUPES, aujourd’hui aussi improbable que repoussée avec une feinte indignation par la première. Il ne fait donc pas de doute, que sauf ingouvernabilité totale[3], il n’y aura bien qu’une seule opposition, la NUPES, du fait même que pour passer ses projets, c’est à sa droite que doit recourir la coalition macronienne, lui enlevant toute espérance de se faire passer pour centriste, et toute crédibilité à qui, comme l’entonne à qui mieux mieux la presse aux ordres, s’entête à faire croire à des coalitions au cas par cas et à géométrie variable.
Une phrase de Mathilde Panot a fait jaser, dans le beau et pugnace discours[4] au nom de LFI qu’elle a prononcé pour présenter une motion de censure repoussée à la dernière minute après la déclaration de politique générale fleuve que Mme Borne avait refusé de soumettre à la confiance de l’Assemblée. Elle y a crânement dit que sans vote de confiance de l’AN, son gouvernement était illégitime. Voyons cela de plus près[5].
L’éditorialiste Mathieu Croissandeau, transfuge du Nouvel Obs de jadis où il avait remplacé Joffrin à la direction de l’hebdomadaire il y a 8 ans, prétend à BFM TV, comme bien d’autres chroniqueurs complaisants ailleurs, qu’il n’en est rien « du point de vue des institutions ». Il fait remarquer que non seulement personne n’avait attaqué en légitimité le gouvernement de Michel Rocard investi suite à la réélection de François Mitterrand en juin 1981, mais encore que l’œuvre posthume de ce premier ministre, introduction de la CSG et accords de Nouvelle-Calédonie à la clé, acquis à force de 49.3. sur une Assemblée rétive, était incontestablement reconnue légitime. C’est aussi factuel que bien vu pour exonérer Madame Borne et son tuteur, mais cela fait abstraction d’une différence de taille, celle de la légitimité du second mandat de F. Mitterrand, le portant, encore auréolé de sa victoire, à changer de premier ministre devant l’Assemblée hostile élue deux ans plus tôt. Mitterrand avait été réélu en 1988 avec 54,02% des voix face à Jacques Chirac, premier ministre de cohabitation depuis 1986, après avoir fait 34.1% des voix au premier tour. Il ne devait donc en rien sa réélection au repoussoir qu’aurait été pour une majorité de Français, l’élection de celui qui avait remporté les législatives deux ans auparavant. Le septennat d’alors était entrecoupé par l’épreuve des législatives qui par deux fois avaient, par un décalage de 5 ans, servi de balancier à la présidentielle. La comparaison institutionnelle tient plutôt de la farce en omettant que les institutions ont subi depuis, à l’initiative de Jospin, le choc du télescopage calendaire de deux légitimités. Au contraire, à deux reprises, la légitimité des législatives avait alors primé sur celle issue 5 ans auparavant de la présidentielle, contraignant un président respectueux des institutions de la Vème République, qu’il avait pourtant âprement combattues, à la « cohabitation ». Mitterrand s’était plié à la première en choisissant Chirac puis, à la seconde, Balladur pour diriger le gouvernement. Mathilde Panot a d’ailleurs malicieusement cité Georges Pompidou s’excusant presque de n’avoir pas demandé la confiance de l’Assemblée lorsqu’il fut appelé, 4 ans après les circonstances dramatiques en Algérie que l’on sait en 1962, une nouvelle fois par Charles de Gaulle aux affaires. Il a été le seul premier ministre de la Ve République a être censuré par l’Assemblée, provoquant son retrait et la dissolution de l‘Assemblée par le Général. La mauvaise foi du chroniqueur paraît plus vraisemblable que son incompétence constitutionnelle, ce qui ne vaut pas pour tous ceux qui le suivent dans son raisonnement, et le plus souvent répètent en ânonnant tout ce qui paraît nuire aux ambitions mélenchoniennes.
Un dernier mot de l’argument qui faute de reposer sur une connaissance du texte constitutionnel, conteste l’opportunité politique d’y recourir, par pure perte, en sachant d’avance que le gouvernement ne tomberait pas. La contestation de légitimité ne trouve pas grâce à leurs yeux, car elle relèverait de l’« enculage de mouches », et ne pourrait, argument suprême, qu’entraîner la République dans les eaux poisseuses de conflits juridiques dont rien de bon ne saurait jamais émerger. On nous excusera de trouver cet argument plus pernicieux encore que la foi du charbonnier en la légitimité de facto des décisions du gouvernement. Des républiques comme celle de Weimar ont payé cher une même cécité, tenant la légalité constitutionnelle pour un hochet inutile. Involontairement sans doute, cette attitude revient à nier qu’aujourd’hui le facteur principal de désordre institutionnel que vit en ce moment notre pays n’est autre que l’obstination du président à faire emprunter à la société française un cours qui la rebute. Une récente révélation sur la courte échelle faite par le Macron ministre à Uber[6], est particulièrement révélatrice des caractéristiques de ce cours, qui ne saurait changer hors d’une rupture franche avec l’idéologie de la croissance prédatrice du contrat social et ruineuse pour la planète. La très relative sagesse, dont à l’occasion le président sut faire preuve, p.ex. lors du « quoi qu’il en coûte » lorsque la pandémie menaçait de prendre le relais des gilets jaunes, menace aujourd’hui d’être effacée par le retour prévu à l’orthodoxie budgétaire, alors qu’il ne s’est au grand jamais attaqué à l’accumulation vertigineuse des richesses au sommet de la pyramide.
Dario Ciprut, dimanche, 10 juillet 2022
[1] Nous nous référons aux ajustements du journal leMonde tâchant d’obvier au nuancier arbitraire du ministre Darmanin et de rendre les données du 1er et 2e tour comparables.
[2] Nous ignorons, partie prenante, de ce côté de la frontière, au microcosme de la gauche radicale genevoise, si le parti né fin 2020 d’une dissidence de solidaritéS Genève a emprunté ce même sigle en toute connaissance de cause ou s’il ne s’agit rien de moins que d’un baptême par mégarde.
[3] Nous excluons un changement véritable de cap du président quant aux projets, flous dans leurs contours comme dans leur financement, qu’il se complait à parer de légitimité présidentielle. Chacun sait qu’elle est battue en brèche, sinon par son élection par défaut le 24 avril, du moins par le clair désaveu de ses projets infligé le 19 juin qui, une semaine après le camouflet du jeu égal avec la Nupes, l’a privé de majorité absolue.
[4] Disponible sous https://youtu.be/3zYUBqX39kA.
[5] A la lumière, parfaite de précision, de la « Fiche de synthèse n°45 : La mise en cause de la responsabilité du Gouvernement » expliquant la teneur des 3 alinéas de l’article 49 de la Constitution, et notamment du premier d’entre eux.
[6] France Info vient tout juste de démontrer (https://bit.ly/3NRrKD3) à la faveur des fuites affectant le géant des VTC la connivence de l’ancien ministre de l’Economie de Hollande avec le patron de l’entreprise prédatrice. Les éventuelles suites judiciaires de cette exemplaire félonie d’avant 1er quinquennat sont devant nous.