Contexte
L'auteur de ces lignes a fait ici silence entre les présidentielles, où il a commis une poignée de billets en partisan de feue la Primaire Populaire. Rallié de la première heure à la candidature de Jean-Luc Mélenchon, ayant résisté à tous les sarcasmes ou encouragements dubitatifs de son entourage amical ou familial, il n'a pu que se réjouir de voir enfin reconnaître, depuis les aventures emboîtées de l'UP, du PUP et de leur apothéose en NUPES, au chef[1] incontesté de la France Insoumise, la qualité de rassembleur de la gauche, que jamais aucun Jadot, ni aucun des contempteurs de ses dits travers autoritaires ou populistes, n'aurait pu endosser.
Le score remarquable de la Nupes au 1er tour
Au soir du premier tour, le 12 juin, il devenait rapidement clair que la Nupes avait gagné son pari. Même si Mélenchon déclarait dès 20h que la coalition présidentielle Ensemble avait été défaite, ce en quoi il s’avançait un peu vu les contestations marginales nées de plaintes potentielles (JM Blanquer au sujet d’irrégularités du candidat FI l’ayant précédé d’une courte tête, ou de la Nupes pour manipulations comptables du ministère dans la prise en compte de dissidents ultramarins ou hexagonaux ayant rallié la formation), même si le nombre mentionné par lui de 500 circonscriptions où la Nupes serait au 2ème tour (Mathilde Panot donnait le lendemain le chiffre de 406) paraît surfait, il est clair que celui de 250 sièges articulé par les sondeurs professionnels semble exagérément prudent. Rappelons que la majorité absolue est de 289 sièges et paraît sinon assurée du moins encore à la portée, il est vrai sous des conditions difficiles à réunir, de la Nupes.
Pourquoi ce score ne suffit pas ?
Mélenchon a presque gagné seul l’accès au second tour des présidentielles en mai 2017, sombrant ensuite, pour diverses raisons aujourd’hui inventoriées, avec son mouvement aux législatives qui suivirent l’élection du félon Macron à son premier quinquennat, jusqu’à n’y emporter que les valeureux 17 députés et spadassins de la FI. Il l’a encore presque frôlé de plus près en avril 2022, laissant le même président aux prises avec la même finaliste, dédiabolisée dans l’intervalle, dont il eut d’ailleurs plus de peine à se défaire, bénéficiant à nouveau du rejet aussi majoritaire qu’affaibli de son adversaire.
Voilà que la coalition législative portant nom de Nupes, qui s’est engagée à le désigner comme premier ministre si elle est majoritaire vient d’accéder brillamment au second tout, virant même en tête, ou presque[2]. Or, si réjouissant cela soit-il, il ne suffira ni d’être consacré premier opposant d’une majorité hostile du centre droit et de la droite classique LR n’ayant cessé aux présidentielles de lorgner vers une extrême droite aussi hargneuse que déconfite dans sa fraction zemmourienne, ni d’avoir presque la majorité à l’Assemblée Nationale.
En effet c’est de 289 sièges qu’il faudrait disposer pour s’assurer par une majorité absolue de pouvoir appliquer d’entrée les mesures urgentes telles que définies dans le programme de la Nupes, et la délivrer sur ce point des aléas des votes croisés de la coalition Ensemble[3], de l’apport des LR et d’une délégation du RN probablement supérieure aux 20 députés qu’on s’accorde à leur attribuer[4]. Le flou règne encore aussi sur les conditions nécessaires à assurer la désignation de Jean-Luc Mélenchon au poste de premier ministre, que la majorité absolue entraînerait inévitablement, malgré les contorsions hasardeuses du président[5].
Les projections des instituts de sondage à la sortie des urnes du premier tour ne créditaient toutefois la Nupes que d’une fourchette allant de 150 à 190 sièges, et Ensemble aux mêmes conditions de 255 à 295 sièges, soit de, sinon frôler la majorité absolue, de bénéficier à l’Assemblée d’une majorité relative (cf. Le Monde du 13 juin[6]), tout en ayant obtenu au premier tour un même score, et donc nombre de suffrages. Nombre de paramètres se conjuguent pour brouiller ces prédictions. La dynamique du report des voix d'abord, qui défavorise les extrémités du spectre dans les binaires qu’impose le seuil de 25% des inscrits à ceux des candidats ayant dépassé les 50% des exprimés. Dans la petite poignée de triangulaires qu’entraîne celui de 12.5% pour accéder au second tour, la prédiction est encore plus malaisée. Ensuite, les aléas de sondages par rapport aux résultats réels sur le grand nombre de 572 scrutins encore ouverts au soir du premier tour, empêchent d'être affirmatif. Enfin, le caractère partisan des sondeurs intervient nolens volens quant à conjecturer l’impact de la campagne d’entre deux tours sur le corps électoral et notamment sur la grande masse des abstentionnistes issus de quartiers populaires et dans la jeunesse. Il ne faut donc à notre avis à aucun prix prendre pour du bon argent des prévisions accordant au minimum 255 sièges à Ensemble, soit plus de voix que le maximum estimé atteignable de 190 pour la Nupes. De là à tenir pour assuré que cette dernière ait les coudées franches pour imposer la primature de Mélenchon, il s’en faut de beaucoup, et cela apparaît même impensable à la lueur de ces projections.
Faire mentir les projections
Il s’agit donc bien pour la Nupes, d’une véritable course contre la montre pour, à travers la nomination du premier ministre, comptable de la formation d’un gouvernement assuré de la confiance de l’Assemblée, pouvoir faire plus qu’une stratégie d’obstruction et appliquer le programme de législature patiemment ébauché par la coalition des gauches, qui regorge de propositions concrètes à mettre immédiatement à chantier et a de surcroît l’heur d’être majoritairement désiré par les Français.
Les considérants précédents montrent assez hélas que l’extraordinaire échappée de Jean-Luc Mélenchon, rebaptisé en sauveur de la gauche et des écologistes, ne suffira vraisemblablement pas à lui faire prendre plus qu’une revanche morale sur ceux qui lui savonnent consciencieusement la planche depuis 2017. Quoi qu’il en soit, il aura prouvé que les gauches ne sont pas mortes et qu’elles pourront s’opposer mieux que dans le passé à la casse sociale que les tenants du fait du prince Macron ont, suite à la lourde responsabilité d’un François Hollande qui lui a mis le pied à l’étrier, considérablement aggravée lors de son premier quinquennat.
Faut-il pour autant se résigner à une nouvelle majorité de la coalition macronienne Ensemble!, serait elle relative et contrainte de composer avec l’aile droite de l’hémicycle pour faire adopter des projets toujours aussi inégalitaires et ruineux tant pour la démocratie que pour le climat ? Si elle se rêve encore absolue, comme la crète des sondages mentionnés en agite le hochet, elle devra probablement déchanter dans deux jours et mettre un bémol à sa superbe, sans parler de la vie dure que va lui mener une gauche requinquée et relevée de son impuissance, pour mettre des bâtons dans les roues d’une reprise de l’austérité et du démantèlement de l’Etat incapable de faire face aux immenses défis de la période.
Conscients de la déception que causerait un nouveau quinquennat reléguant au royaume de l’utopie les promesses de rupture contenues dans un avenir en commun remanié à la lueur des nuances imposées par un rassemblement respectueux de ses composantes, les architectes de la Primaire Populaire ont rivalisé d’imagination pour utiliser au mieux la dernière ligne droite. Contrairement à qui, tel Jadot, distille encore le venin de la méfiance en pariant que "cela ne marchera pas" derrière JLM. Oui, on peut encore inverser les prédictions, si et seulement si les citoyens s’en mêlent. Trop d’abstentionnistes, trop d’aquoibonistes, trop d’insouciants, trop d’incrédules, pas assez de jeunes, pas assez de secteurs populaires ou minoritaires, voilà l’enjeu du réveil citoyen, à la stimulation duquel nos amis se dévouent depuis le soir du second tour des présidentielles. Le nom de cette nouvelle et peut-être ultime campagne est "Gagnons l'Assemblée".
Que pouvait-on faire, sinon, comme ils l’auront tenté, de :
- identifier les circonscriptions où le ballotage de la Nupes n’est pas hors d’atteinte et permettrait avec l’apport de quelques voix de damer le pion à Ensemble!
- utiliser les adresses de tous ceux, près du demi-million que vous savez, qui en votant à la Primaire Populaire ont exprimé leur volonté de faire enfin advenir un avenir pour la gauche sociale et écologiste
- entraîner ces votants, par une campagne bénévole d’appels téléphoniques et de sms, à :
- assurer le plein dimanche partout où c’est pensable,
- motiver leurs proches et parentèles à faire de même par des stratégies de mobilisations bienveillantes qui ont fait leurs preuves,
- faciliter le vote dans de telles circonscriptions à des hésitants ou empêchés, en y acceptant une procuration.
Nous verrons dès demain soir, au score de la Nupes, si et de combien cet admirable engagement se trouvera payant, et si, tous scepticismes bus, une inversion des projections des instituts de sondage quant aux scores de Nupes et Ensemble aura été possible. Sans elle, la mobilisation pour le poste de Premier Ministre, n'aura pas abouti, et la "reparlementarisation" préconisée par Jean-Luc Mélenchon ne serait que bien partielle, nous livrant à d'hasardeuses coalitions du coup par coup et aux menaces d'éclatement de l'unité d'action retrouvée. Une certitude, Mélenchon ne saurait être presque premier ministre.
Si, une fois de plus, la cible se dérobe, il faudra s’interroger et peser si un rassemblement plus précoce, dépassant les haines recuites dont nous avons été témoins entre les fractions rivales de la gauche protestataire et de gouvernement, aurait pu faire mieux que la divine surprise du second tour, et surtout reprendre, à la faveur des combats à venir dans un contexte politique et social pour le moins secoué, le chemin du renouveau.
Et maintenant, aux urnes !
Dario Ciprut, samedi 18 juin 2022
[1] Faut-il s’excuser d’employer ce terme au lieu de l’anglicisme usuel de « leader » pour ce qu’il a d’insultant aux yeux des démocrates, dont je m’honore de croire faire partie, des sinistres relents de sa source italienne de « capo », de son emploi dans le justement haïssable « culte du chef » et autres traits autoritaires caractérisant une prépondérance d’ordre impérial incompatible avec le respect dû à celles et ceux qui le suivent par admiration, et avec l’écoute bienveillante de leurs revendications ?
[2] A l’heure où j’écris, les contestations sur la comptabilisation des voix de franges ultra-minoritaires de la gauche non légalement affiliée à la Nupes mais s’y associant d’évidence pour la durée de la législature, suivent un cours sinueux, allant de la dénonciation d’une manipulation évidente du scrutin par la France Insoumise, au respect prétendument scrupuleux des conditions juridiques d’affiliation par les services du ministre de l’Intérieur. Il reste que l’association à la Nupes d’une poignée de circonscriptions, ultramarines ou hexagonales (Le Monde du 11 juin) , suffit à faire passer cette dernière de plusieurs milliers de voix au-dessus de la coalition centriste macronienne. Au pire, les deux coalitions ont fait jeu égal au premier tour, un exploit considérable que personne n’osait imaginer deux semaines auparavant.
[3] Bien malin qui saurait différencier entre Renaissance et Ensemble comme désignation de la « nuance » politique regroupant LREM, l’UDI et autres.
[4] Il est probable que les 60 visés par Marine le Pen pour accéder au plein exercice parlementaire du groupe qu’elle présidera ne constituent qu’un vœu pieux, 45 étant la limite supérieure donnée par les sondeurs.
[5] JL Mélenchon a multiplié les explications convaincantes quant au processus de désignation. L’Assemblée propose et le président dispose, mais sous contrainte d’un vote possible de défiance de la première, et ce dernier ne peut ensuite qu’obtempérer à la seconde tentative. Les médias, courtisans comme de coutume, se sont bien efforcés de tester en vain la réaction de la FI au cas où Macron nommerait p.ex. Mathilde Panot. Rien n’y fait, la Nupes s’est clairement engagée à proposer Mélenchon et n’en démordra pas.
[6] Ces chiffres ont évolué et sont maintenant respectivement chez Ipsos-Sopra Steria (https://bit.ly/3xyROg7) donnés à 160-180 et 265-305, donc encore moins favorables à la Nupes et lui faisant perdre la chance d’imposer une primature Mélenchon. On verra dès dimanche soir ce qu’auront valu ces projections.