Contexte
Ce billet fait suite à un précédent papier du 10 décembre dernier, intitulé « Bal des perdants ou échappée victorieuse ». Il portait sur les réalignements en cours des cohortes de la « gauche », entendue ici comme l’arc des formations politiques qui se distancient de la Macronie LREM sur sa gauche. Les voltefaces de Montebourg et Hidalgo du 8 décembre en vue de la présidentielle de 2022 venaient d’agiter leurs rangs. La bousculade à gauche tient depuis de l’échauffourée, et le Monde du week-end peut titrer sur la « grande confusion » qui y régnerait, reprenant le terme du dernier opus de Philippe Corcuff.
Refus initial unanime de primaire bis
Conscients que cette initiative tenait plus, comme le diagnostiquent justement Mélenchon et Jadot, de l’appel au secours de noyés de la campagne, que d’une sincère volonté de désistement obligé pour les candidats d’EELV ou LFI, les premiers ont réagi en refusant toute primaire chargée de les départager. C’était sans doute à prévoir, mais ils font mine d’ignorer que la présidentielle se distingue essentiellement des législatives et foncent chacun dans leurs couloirs séparés, exhortant leurs militants à se concentrer sur la propagation de leurs programmes respectifs et à distancer leur principal concurrent en mordant sur les abstentionnistes pour élargir leur base électorale. C’est peut-être de bonne guerre, mais ce refus devant l’obstacle que constituent leurs trajectoires parallèles ne cesse pas pour autant d’être préoccupant, tant il est certain qu’elles finiront, faute d’accord programmatique et implicitement gouvernemental, par s’écraser toutes deux sur le mur de la désunion.
Le joker Christiane Taubira
Plébiscitée à la fin des parrainages de la Primaire Populaire, Christiane Taubira se tenait encore il y a quelques jours apparemment en réserve de la République. Un dernier sondage Ipsos (https://bit.ly/3DYF5V8), des 10 et 11 décembre, dédié à la température de l’opinion sur une primaire à gauche et sur les capacités des candidats·es, confirme, outre l’incontestable avance de Mélenchon sur Jadot dans tous les registres à gauche, pourtant contestée par un des éminents partisans de sa candidature, l’excellente image à gauche de l’ancienne garde des sceaux, comme le montre l’extrait qui suit :
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                    L’élection de cette dernière, en un sursaut joyeux, à la présidence pourrait évidemment faire pièce aux puanteurs zemmouriennes flottant sur tous les rangs de la droite et empiétant vilement sur ceux la Macronie, que la panthéonisation de Joséphine Baker ne pouvait suffire à dissiper. Elle y talonne Jean-Luc Mélenchon en compétence pour ne le devancer qu’en capacité de rassemblement. Nous comprenons son hésitation devant le risque d’ajouter encore à la confusion si ses concurrents ne l’assurent pas d’un désistement potentiel au cas où elle remporterait la mise en janvier. Nous portons ces deux admirables orateurs dans notre cœur, rêvant d’un attelage paraissant hélas tenir de l’improbable mais que nous serions aux anges de pouvoir, mémoire d’Edouard Glissant aidant, favoriser.
Christiane Taubira a depuis fait un pas de plus en direction de l’arène par sa vidéo du 17 décembre (https://bit.ly/3yEBfPJ) qui en laisse plus d’un perplexe par son net refus de jouer à n’ajouter qu’un pion à l’armée du désastre tout en se déclarant candidate à la candidature. Nous discutons l’accueil qui lui est fait plus loin.
Le verdict des sondages condamne la gauche solipsiste
La présentation que donnent les médias officiels de la déroute prévisible, en rapportant presque quotidiennement les résultats de sondages de leurs échantillons respectifs de l’électorat, occulte la dynamique inverse d’une primaire populaire incarnée par des citoyens se situant à gauche et demandeurs persévérants d’unité dans les rangs des papables.
Le dernier en date du malaxage de sondages du Huffington Post va jusqu’au 16 décembre (voir sous https://bit.ly/3osxObm et appuyer sur « Relancer » pour la mise à jour) et donne ce jour le premier des  tableaux ci-dessous, en regard d’un second portant sur l’analyse comparée par agrégats ou « clusters » de tendances politiques (https://bit.ly/3e76V77) :
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                    Ces deux compilations de sondages indiquent assez clairement que la campagne de Mélenchon se distancie actuellement et prend de l’avance sur celle de Jadot. Mais, à supposer que les choses restent en l’état entre Pécresse et Zemmour, son score reste largement en-dessous du seuil de 18% permettant de viser un éventuel passage du premier tour en solitaire. A vrai dire, même les scores cumulés de Jadot, Mélenchon, et Hidalgo ne suffiraient pas à garantir mieux qu’un remake du second round de 2017.
La primaire populaire bouge encore et ne se rend point
Nous avions déjà noté qu’alors et encore aujourd’hui le nombre croissant d’inscrits à la Primaire Populaire était seul à défier le déclin ou stagnation nombrilistes des scores des formations partidaires de la gauche organisée. Des 260'000, les voilà aujourd’hui 300'000, et les signatures de partisans du vote des 27 au 30 janvier ont démarré. On est en droit d’espérer que ce chiffre sera dépassé malgré l’exigence de carte bancaire en matière d’authentification à laquelle le processus a été contraint.
La gauche face à son destin présidentiel
Hélas, le mépris et l’agacement pour l’initiative de Christiane Taubira des deux principaux prétendants de la gauche, MM. Mélenchon et Jadot (voir leurs scores respectifs en queue des parrainages de la primaire populaire sous https://bit.ly/3yMsyDi), ne se démentent point. En tout cas ils n’ont pas l’élégance de la première qui leur accorde d’être tous deux de grande valeur, sans rien concéder sur l’impasse dans laquelle ils conduisent leurs troupes, et la gauche avec, en visant les législatives au risque de laisser droite et extrême-droite s’affronter au 2ème tour des présidentielles.
Jadot a mis en garde contre toute candidature additionnelle en affirmant qu’il avait déjà subi la consécration d’une primaire écologiste et avoue en avoir assez de la pluie soudaine de candidatures pour enrayer le trop plein de ces dernières. De manière puérile, certains de ses partisans jouent à se réconforter des résultats d’un sondage Opinionway (https://bit.ly/33HhRGA), basé sur l’hypothèse du jugement majoritaire à un tour, donnant une appréciation à tous les candidats en lice. Totalement irréaliste quant à la présidentielle à venir, il met, sur un échantillon de 962 personnes interrogés les 8 et 9 décembre, Jadot, curieusement précédé par Montebourg, derrière Pécresse et Macron, mais largement avant les relégués Zemmour et Mélenchon ! Le même sondage donne 8% des voix à Jadot et Mélenchon en leur posant la question typique du scrutin uninominal « pour qui voteriez-vous au 1er tour si l’élection avait lieu demain » ? Il s’ensuit que Mélenchon l’emporte en détestations sur Jadot, ce qui n’étonnera personne, et pourrait même être tourné par les insoumis à l’avantage du programme de rupture plus radicale du premier avec l’état existant.
Jean-Luc Mélenchon n’a pas fait beaucoup meilleur accueil à Christiane Taubira en rappelant de Martinique (voir son entretien à la télé locale sous https://bit.ly/3GUCbCF et le résumé qu’en donne 20 minutes sous https://bit.ly/3miZdv8) que loin d’être un « congrès », la présidentielle n’était pas un jeu, et que le sérieux avait commandé de travailler à un programme de quinquennat à présenter aux électeurs. Il n’avait pas vocation à s’éclipser devant une « candidature magique » pour, sous-entendu, faire sur une mélopée évasive la danse du ventre devant un peuple de cliqueurs à trois mois de l’échéance. Il a martelé ensuite en meeting « Non, on ne peut prendre le peuple par un nom, non on ne peut prendre le peuple par surprise ». Tout cela manquerait de sérieux et il faudrait selon le tribun continuer de tenter à la base une union impossible au sommet.
Bref, à les écouter, on serait facilement enclin à donner raison à Roland Cayrol qui prophétise (voir https://bit.ly/3J2s4xv) que « Jean-Luc Mélenchon et Yannick Jadot ne marcheront pas dans ce coup-là ».
Couture du pantalon FI, wishful thinking EELV
Certes, les mélenchoniens de la FI en rajoutent. Ils se déchaînent sur Facebook contre les promoteurs et soutiens principaux de la Primaire Populaire, les accusant de mépriser en bobos macroniens le méritoire travail programmatique préparatoire de la FI depuis 5 ans et l’engagement de ses troupes à le diffuser dans les quartiers populaires gorgés d’abstentionnistes. Ils ironisent fielleusement sur l’atlantisme supposé de Samuel Grzybowski pour avoir été jadis décoré comme PME innovatrice par le département d’état US, sur Mathilde Imer qualifiée de « socedem macron-compatible » portée par le président à la tête de la convention climat, sur Patrick Viveret peint en rocardien attardé. Il y en a à revendre aussi pour Dominique Méda et Dominique Bourg, comme pour tout ce petit monde de rescapés d’une deuxième gauche visiblement haïe, couronné par le ménage Glucksmann-Salamé.
Fort heureusement, malgré l’hommage nécessaire à l’excellente prestation jusqu’ici du primus inter pares, le carré des fidèles parlementaires résiste à la tentation de l’invective et du rappel constant au spectre de divergences recuites qui accablent les formations à gauche du PS, fronde 2017 comprise. Danièle Obono a beau tambouriner sur les réseaux sociaux que Jean-Luc Mélenchon est clairement le mieux placé des candidats de gauche, ce diagnostic, que j’ai partagé plus haut, reste hélas insuffisant comme en 2017 pour passer par le « trou de souris » du 1er tour. Les vaillants François Ruffin et Clémentine Autain se sont effacés sans bruit et dignement, malgré un score canon du premier aux parrainages de la primaire populaire, pour faire place à Jean-Luc Mélenchon. Ce dernier dit, au-delà de sa coutumière véhémence, vouloir passer son chemin sans trop accumuler de noms d’oiseaux, dans le respect pour la nouvelle pré-candidate, et feint n’être pas concerné par ce grabuge.
Du côté EELV, l’équilibre paraît nettement plus nuancé. Jadot n’y a triomphé de Sandrine Rousseau que par une courte tête, bien loin derrière l’hégémonie exercée au sein de la FI par un Mélenchon à l’ascendant incontesté, que certains entendent vainement à Mediapart attribuer à de sordides manigances d’appareil ou à un verrouillage autocratique d’un mouvement trop gazeux à leur goût. Non seulement Jadot estime que c’est au PS à lui rendre la politesse pour son désistement de 2017 envers Hamon (lequel prenait déjà l’eau par rapport à Mélenchon), mais Sandrine Rousseau est soupçonnée d’encourager l’aventure tentée par Christiane Taubira. On savait déjà que la vaillante concurrente de la primaire écologiste ne se pliait pas volontiers aux ukases du « tout sauf Mélenchon », en vigueur dans les rangs responsables du soutien à son victorieux concurrent. Cette aversion ne repose que sur la prétendue certitude que l’Insoumis qui avait failli, malgré le ralliement de Jadot à Hamon, forcer le passage du 1er tour en 2017, irait en 2022 coûte que coûte jusqu’au bout, indépendamment de tout verdict sondagier ou citoyen. Cette conviction, psychologisante de pacotille, n’engage que ceux qui se gavent de la détestation de Mélenchon pour son caractère clivant parce qu’ils ou elles la partagent, comme si la présidentielle était un innocent jeu de cartes entre amis de longue date. Au demeurant, on se souvient que ce dernier avait dit accepter d’être le premier ministre de Jadot au cas où ce dernier apparaissait nettement le mieux placé des deux, le croira qui veut. Et un porte-parole du candidat EELV, M. Alain Coulombel, qui vient d’être mis à l’écart, fustige la conduite autoritaire de Yannik Jadot pour avoir refusé cette fois la proposition d’Anne Hidalgo.
Nous en concluons que l’avenir n’est pas aussi bouché que les mentors le proclament, et reste plus ouvert que les suivistes le redoutent.
Il est urgent que ça change
Reprocher à Christiane Taubira de jouer les déesses ex machina en prenant les autres candidats par surprise ne saurait tromper personne. Pas plus en tout cas que crier à tue-tête qu’elle n’aurait pas de programme, tout en remontant à sa première tentative d’en formuler un en 2002. C’est ce que font notamment les auteurs du dossier du Webzine Frustration (https://bit.ly/3EbSI3p) intitulé « Sainte Christiane Taubira peut-elle nous sauver ? », remontant à juin, mais remanié suite à l’annonce de sa pré-candidature. Nous renvoyons sur ce sujet aux pénétrantes analyses de Pierre Jacquemain (https://bit.ly/3Efg1ZT) ou Pablo Pillaud-Vivien (https://bit.ly/3E9QOQS) dans Regards qui nous ont fait connaître cette publication.
Il n’y a évidemment aucune surprise susceptible de désarçonner les vieux routiers en campagne. Les appels de Christiane Taubira à l‘union salvatrice comme le démarrage de la Primaire Populaire, à laquelle elle a participé d’entrée et dont elle a appuyé à plusieurs reprises la démarche, ne datent pas de sa pré-candidature d’hier. Faut-il aussi rappeler que, sans remonter à d’autres précédents d’une constellation d’unionistes, le Socle Commun de la Primaire Populaire a bel et bien été le résultat d’une consultation des parties prenantes à fin 2020 d’un processus par le « Bloc des Justices » (https://bit.ly/3qe0dC1). Ce bloc est à l’origine en février 2021 d’une structure organisatrice de la primaire sous le nom de « 2022 ou jamais » (compte-rendu de sa création sous 20 minutes à https://bit.ly/3e5iZWe). C’est donc bien d’un programme qu’il a été d’abord question, comme base de la candidature unique visée en fin de parcours, après que Jean-Luc Mélenchon, prenant les devants, a annoncé la sienne le 20 novembre. Chaque formation partie prenante reste libre, voire se doit, de critiquer ou moduler telle ou telle partie de ce socle commun, que le ou la candidate finalement élue de la primaire doit simplement s’engager à au moins respecter. EELV comme la FI étaient parties prenantes à ces consultations, tractations ou négociations dont nous ne connaissons que le résultat. A ce jour, seule la FI dispose d’un programme clair, fouillé, engageant la formation d’ailleurs plus que son candidat, sauf à omettre qu’il y aura un premier ministre nommé par le président et constitutionnellement chargé de l’appliquer. S’il va au-delà du Socle, ce que nous pensons évident, c’est tant mieux, car ce ne peut-être qu’en compatibilité. S’il était incompatible avec le Socle, cela se saurait et Jean-Luc Mélenchon n’aurait pas accepté de figurer parmi les parrainés de la primaire, dont Clémentine Autain et François Ruffin se sont retirés à notre avis pour ne pas donner l’impression de lui faire ombrage. Au demeurant, la FAQ de la Primaire populaire (https://bit.ly/3sk5R8m) est parfaitement explicite sur le sujet. Le ou la gagnante de la primaire appliquera le programme de sa formation, sur lequel iel aura été élu·e et fait campagne. Il n’est exigé d’iel que de s’être engagé·e, devant les français votant à la primaire, à ce que ce programme inclue les 10 mesures de rupture figurant dans le socle commun (publiques et accessibles sous https://bit.ly/3J36oBm). Cette cohérence minimale est garantie par la définition et l’élaboration du socle, qui la proclame d’entrée et en toutes lettres.
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                    De surcroît, avant une 6ème République, constitutionnellement validée, qui en spécifierait autrement, le président n’est pas élu sur un programme de gouvernement mais comme garant, en tant que personne, des institutions l’ayant porté au pouvoir. Or la convocation d’une Assemble Constituante est explicitement prévue par la Rupture No 9, que nous vous engageons à lire avec attention. Par conséquent l’opposition mise en avant entre le programme de la FI, l’Avenir en Commun (AEC), et le Socle Commun de la Primaire Populaire, est parfaitement inepte, par construction et accord préalable. Si Jean-Luc Mélenchon accepte de continuer de figurer dans la liste des candidats de la Primaire Populaire, voire même s’il en est l’élu involontaire sur la base d’une campagne indépendante pour l’AEC et d’un scrutin de type jugement majoritaire, non suspect d’arrière-pensées machiavéliques de vote utile, il sera le candidat de la Primaire Populaire à l’élection, et plus que libre, moralement obligé, d’appliquer l’AEC.
Négociez, disputez, débattez d’ici primaire et désistez-vous
Tout ceci s’applique mutatis mutandis pour Yannik Jadot comme pour Christiane Taubira, dont on ne peut pas, pour l’instant, juger définitivement de la compatibilité des programmes avec le Socle. Une chose est à vue humaines certaine, c’est que si chacun persiste sans se concerter, et éventuellement ajuster un programme présidentiel moins ambitieux ou précis que celui de la FI permettant à deux d’entre eux de se désister par rapport au troisième, et qu’on retrouve les trois candidats en avril, c’est perdu d’avance… pour les trois, la gauche et la France !
On ne peut que souhaiter aux candidats et à leurs troupes d’être dessaoulés avant que le mur du premier tour ne fasse fi de leur superbe et persévérant isolement à plusieurs, ou mieux que quelque réaliste issu de leurs rangs n’entreprenne de les désintoxiquer avant qu’il ne soit trop tard.
Dario Ciprut, 19 décembre 2021