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Billet de blog 27 avril 2025

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Condamnation à l'inéligibilité de Marine Le Pen : le débat sur l'Etat de droit

Le RN a manifesté contre la condamnation du 31 mars à l'inéligibilité de Marine Le Pen, traitée en décision politique par un « gouvernement des juges » destinée à empêcher la candidature de sa cheffe de groupe à la présidentielle. J'ai proposé de contre-manifester en priorité pour défendre l'Etat de Droit, ce qui a provoqué un débat à gauche, dont cet article tente d'éclaircir les termes.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Avant-propos

La sévère condamnation en correctionnelle de Marine Le Pen en première instance le 31 mars 2025 a eu pour effet de déclencher un débat dans les rangs de l’Union populaire genevoise à propos de l’opportunité d’y réagir, comme je l’avais proposé, en prenant la défense de l’État de droit contre les attaques de l’extrême droite.

Cet article est destiné à éclaircir les termes de ce débat entre camarades. Un nombre de notes de bas de page se réfère à une controverse historique entre Léon Trotsky, qui, à la veille de son assassinat et de la 2ᵉ guerre mondiale, justifiait son rôle éminent dans la victoire du bolchévisme et de Victor Serge qui l’avait accompagnée, sur ce qu'autoriserait ou non la morale révolutionnaire.

Cette controverse rejoint le débat ici en cours sur l'État de droit et, accessoirement, sur le doute méthodique inspiré de la démarche scientifique, qui m’a opposé sur WhatsApp à un camarade et plus partiellement à un second. Je les ai anonymisés pour pouvoir aussi publier cette contribution ailleurs que dans les rangs de ce parti. Associé à un groupe d’action LFI en France voisine, où j’ai également fait part du même point de vue, j’ai pu y noter des réactions analogues. À mon humble avis, il conviendrait d’en tirer quelques leçons quant au besoin d’approfondir le sujet de manière à en faire un objet de la formation réclamée par nombre de camarades.

Inéligibilité ou pas – Immédiate ou pas – Révocation ou pas

Il est nécessaire dans un premier temps de décrire avec précision, surtout pour les camarades non au fait de l’actualité politique française qui évolue quotidiennement en cette période bousculée depuis la dissolution de l’AN, le contexte de cette condamnation ainsi que des réactions qu’elle a provoquées.

La controverse est partie de ce que j’ai affirmé : que le sens de la manifestation prévue le dimanche 6 avril, à laquelle principalement EELV (Tondelier) et LFI (Mélenchon) se sont entendus, contrairement à la CGT, au PS et au PC[1], pour appeler, devrait viser à défendre l’État de droit contre l’assaut de l’extrême-droite. En effet, le RN avait pris l’initiative pour ce même dimanche d’une manifestation nationale pour contester la condamnation de Marine Le Pen et de ses complices, pour le délit de détournement de fonds publics, au-delà de sanctions pénales et financières, à une peine complémentaire d’inéligibilité (pour cinq ans en ce qui concerne la cheffe de file), assortie de l’exécution provisoire.

Ce dernier dispositif constitutionnel rend la peine d’inéligibilité, prononcée ici en première instance, immédiate, c.à.d. avant épuisement des recours que prévoit pour tout justiciable la loi[2]. Il est important de noter qu’on ne dispute pas ici de la peine d’inéligibilité en elle-même, dont l’existence et la légalité ne sauraient être contestées par le RN qui l’a votée comme une écrasante majorité de l’Assemblée, et avait même réclamé son durcissement à vie. Le grave motif de détournement de fonds publics, dont il se proclame innocent, a été publiquement justifié par les attendus fouillés d’une procédure d’enquête de plusieurs années suite à la plainte du parlement de l’UE. Ce qui est en jeu, c’est uniquement son caractère immédiat, en dépit donc du droit d’appel que le RN a d’ailleurs interjeté[3], appel qui est bien entendu susceptible de confirmer le jugement, de l’aménager ou de l’annuler. Accessoirement mais non sans importance, la jurisprudence actuelle, controversée, dispose que la condamnation à l’inéligibilité n’entraîne pas la démission d’office[4] de mandats nationaux en cours (contrairement à celle concernant les mandats locaux) et que donc Marine Le Pen et ses collègues députés conservent jusqu’à nouvel avis (au cas où le Conseil constitutionnel serait appelé à en trancher à nouveau par une question prioritaire de constitutionnalité) leurs sièges à l’AN d’ici les prochaines législatives[5].

État de droit ou gouvernement des juges

Le contexte des législatives anticipées : le NFP évite une victoire du RN

La prise de pouvoir du RN, par la nomination d’un Premier ministre issu de ses rangs, qu’il réclame encore en arguant d’être le groupe d’élus le plus fourni sorti des dernières législatives anticipées, n’a été évitée  au second tour du 7 juillet 2024 que parce qu’il n’a pas obtenu la majorité absolue des sièges qu’il convoitait, grâce au tir de barrage des désistements au deuxième tour qu’on a appelé « front républicain », stimulé par un score de l’extrême droite au premier tour du 30 juin en ligne avec son avancée préoccupante aux élections européennes du 9, et de la décision express de dissolution par un président croyant tirer les marrons du feu. Au contraire, le rapport de forces en sièges des coalitions (listes électorales) aux prises s’est finalement établi à l’AN en faveur d’une majorité relative de la gauche incarnée par le NFP dans une division en 3 blocs de l’Assemblée. Constituée dès le lendemain en vue du premier tour, cette alliance regroupait les partis LFI, EELV, PS, PC et alii[6], enfin unis par le danger, qui ont investi leurs candidats sous cette étiquette ou « nuance » sur la base d’un accord public pour un programme de législature assorti d’un panel de mesures urgentes.

La persistance du danger sous le gouvernement Bayrou

La forfaiture de la présidence Macron, contrevenant non à la loi mais à la tradition républicaine dans l’appel à constitution d’un gouvernement sous l’égide de la coalition majoritaire, a abouti au gouvernement actuel de François Bayrou. Ce dernier a échappé à la censure du fait du manquement du PS aux engagements pris devant ses électeurs. Un temps écartée par ces voies légales, la menace d’une revanche d’une extrême droite monolithique dopée par ses plus de 10 millions d’électeurs perdure et n’est que repoussée au prochain round, au plus tard à la présidentielle de 2027. Le contexte local du discrédit d’un macronisme central crispé dans l’autoritarisme, celui d’une gauche désunie bloquée au seuil de la rupture plébiscitée par ses électeurs, rapproche d’une possible victoire de l’attelage dédiabolisé Le Pen-Bardella. La conjoncture internationale, marquée par les montées électorales de l’internationale illibérale en Europe et aux Amériquessur fond de guerres en Ukraine, au Proche-Orient et en Afrique, comme la démission généralisée devant le dérèglement climatique, souffle dans la même direction. C’est bien l’heure de tous les dangers que la France bascule dans un régime contraire à l’État de droit, au lieu de constituer un bastion de la résistance à ce vent mauvais.

La condamnation judiciaire du RN modifie la donne.

Marine Le Pen et d’autres cadres du RN ont été, après près de 10 ans d’enquête, condamnés pour détournement de fonds publics par le tribunal correctionnel le 31 mars, qui a suivi les réquisitions du procureur, tombées le 13 novembre après l’ouverture du procès le 30 septembre. Même si on s’y attendait, la sentence d’inéligibilité pour cinq ans, assortie d’exécution provisoire, accompagnant des peines de prison et des amendes en proportion de l’ampleur des détournements, a déclenché un séisme politique par ses éventuelles implications éliminatoires d’une candidate que les sondages donnaient largement gagnante aux prochaines présidentielles de 2027[7].

La réaction de Marine Le Pen et du RN

La réaction de la condamnée et de ses aides de camp a été d’immédiatement affirmer qu’elle était victime d’un « procès politique » en ciblant expressément la présidente du tribunal, Bénédicte de Perthuis, qui avait prononcé le jugement et dirigé les débats au procès, alors même que le verdict a fait l’objet d’une décision unanime du collège de trois magistrats. Les condamnés, qui n’ont jamais reconnu les faits et continuent, malgré le détail accablant des faits organisés et le rôle éminent de la candidate Le Pen dans le détournement de fonds publics en cause, de clamer leur innocence et de voir, dans un verdict établi en toute conformité aux sanctions que la loi impose, uniquement un acharnement du syndicat de la magistrature et de juges marqués à gauche pour lui barrer la candidature aux présidentielles de 2027. On ne tarit plus dans les rangs de l’extrême droite dans la vitupération du « gouvernement des juges » que J. Bardella va jusqu’à accuser d’avoir « exécuté la démocratie ». Appelant à une manifestation nationale de soutien de sa future candidate pour le dimanche 6 avril, M. Le Pen se pourvoit en appel, occupe les médias en témoignant de sa volonté de combattre jusqu’au bout la décision du tribunal, alors que les juges font l’objet de protection policière contre les menaces de mort qu’un de ses partisans a adressées à celle qui a prononcé le verdict.

La réaction de JL Mélenchon

Il convient de rappeler que Jean-Luc Mélenchon avait en novembre, dès la publication du réquisitoire et en un premier mouvement, souhaité sur X qu’on n’applique pas à Marine Le Pen « immédiatement l’inéligibilité, sans voie de recours ». Après publication du jugement, il a ajouté le 31 mars que «  la décision de destituer un élu devrait revenir au peuple  »[8]. Outre que la révocation du mandat en cours de députée n’est ici pas en cause, il est de notoriété publique qu’il est favorable à l’inscription constitutionnelle d’une modalité référendaire permettant de démettre des élus manquant à leurs devoirs. Peut-être redoutait-il, en cohérence avec ses opinions sur le lawfare[9], le risque d’interférence et d’instru­mentalisation de la justice dans les candidatures à la présidentielle de 2027 (il serait en effet visé, à la marge et sans comparaison d’envergure, par une plainte de l’organe de contrôle de l’UE, datée de 2017, pour emploi fictif d’assistants parlementaires européens, similaire à celle pour laquelle F. Bayrou a été personnellement relaxé et M. Le Pen vient d’être condamné, mais toujours en cours d’investigation à cette heure), voire, se montrant beau joueur, souhaitait gagner le match à la loyale. En dépit de ce risque, et contrairement à la contestation par le RN d’une décision de justice jugée en première instance, Mélenchon a soutenu et participé à la manifestation commune d'EELV et DE LFI du dimanche 6 avril, déjà mentionnée. Manuel Bompard et Manon Aubry, cadres dirigeants de LFI, s’y sont explicitement engagés sous la bannière de la défense de l’État de droit contre le danger représenté par l’extrême droite. Il n’y a donc pas lieu de donner crédit à la campagne de médisance[10] taxant Jean-Luc Mélenchon d’hostilité à l’égard de la condamnation à l’inéligibilité de son adversaire, mais tout au plus à une réticence à ne point lui laisser de recours d’ici la confrontation présidentielle qu’il admet envisager.

Les termes du débat

Une menace évidente contre l’État de droit

Comment ne pas voir que l’immédiateté de la menace d’une prise de pouvoir par le RN consiste en urgence à éviter l’abolition de l’État de droit ? Cette formation, en cohérence avec les précédents historiques du fascisme[11] qu’elle s’échine à conjurer, rêve d’abolir l’équilibre constitutionnel actuel entre le gouvernement, la justice et les deux chambres, qu’elle travestit en abus de pouvoir des juges de la République.   Entre autres mises au pas des pouvoirs intermédiaires, des médias d’information et du catalogue des libertés publiques dont nous jouissons malgré tout, elle cherche à s’affranchir des autorités supérieures de contrôle constitutionnel national et international. Elle le fait au nom d’une souveraineté exclusive de la volonté du peuple par l’intermédiaire de ses élus et vise à profiter d’une éventuelle majorité électorale, rendue possible par la traduction du ressentiment populaire en alternance, pour mettre hors jeu les mécanismes démocratiques qu’elle décrie. Ce populisme d’extrême droite a déjà démontré son caractère fatal pour la démocratie.

J'ai soutenu en conséquence, sur le WhatsApp que notre Union populaire genevoise consacre à ses débats internes[12], que le renversement du gouvernement d'un État de droit, donc réputé démocratique, doit passer par les voies de changement de régime que ce droit autorise, que j'ai appelées "légales". C’est ce que j'estime, comme on le verra sous Lutte de classes – État bourgeois – Vème République en page 10, et en dépit de notre opposition à la légitimité du gouvernement Bayrou, que la Vème République française fait jusqu'ici partie d’un État de droit, aujourd’hui menacé par la prise de pouvoir d’une extrême droite sous prétexte qu’il est sous la férule arbitraire de juges non oints par le peuple. Si on peut légitimement à mes yeux appuyer les changements nécessaires de la législation par une opposition « extra­parlementaire » (manifestations, grèves et autres formes protes­tataires), il convient selon moi de ne jamais, en régime d’État de droit s’entend, donner crédit à l’accusation de vouloir instaurer par la force un régime susceptible de subvertir le caractère démocratique des institutions en s’en prenant à ses protections juridiques. En l’occurrence, il importe de contrer les protestations du RN contre la décision de la justice française en manifestant en priorité au nom de la défense de l’État de droit.

Ce ne fut qu’une demi-surprise de constater que cette orientation rencontrait une opposition, feutrée ou ouverte, parmi des cadres de l’Union populaire, d’où, selon moi, l’importance d’y insister et de recenser ici les arguments que je crois fallacieux et qui ont été jusqu’ici évoqués pour s’y soustraire.

Méprise sur la définition même de l’État de droit

Il y a confusion entre la notion caractérisant globalement le régime juridique et politique et les droits, dispositions juridiques ou comportements de services particuliers d’un État, sujets à contestation sans en altérer nécessairement le cadre.

L’État de droit est un corpus de lois, une hiérarchie de normes, votées par les instances démocratiques prévues par une constitution, appuyées sur l’indépendance des pouvoirs et soumises à contrôle constitutionnel, qui oblige tant l’État lui-même que tous ses citoyens[13]. Cette architecture juridique globale, censée être cohérente, peut néanmoins, comme toute institution humaine, présenter failles, contradictions ou lacunes. Elle est donc ouverte à contestation, évolution, harmonisation ou correction, selon des processus légaux qu’elle institue, jusqu’à y compris une révision constitutionnelle, notamment sous l'impulsion de mouvements et de batailles sociales.

Ainsi peut-on légitimement, tant qu’on est dans un État de droit, s’opposer collectivement ou individuellement à une disposition particulière de la législation dans le cadre de la légalité constitutionnelle. Il revient à la justice, pénale ou civile, voire administrative, de déterminer, sur dépôt de plainte, le degré de gravité des infractions, délits ou crimes commis par des contrevenants et de leur faire appliquer, par les institutions appropriées, elles-mêmes soumises à la législation, une sanction proportionnée.

Clamer au coup de force politique par le gouvernement des juges, appeler à manifester son opposition à un jugement déjà rendu par une instance judiciaire, ici le tribunal correctionnel de grande instance et le collège des juges du siège[14] prononçant le verdict, n’est certes pas interdit par la loi. Celle-ci autorise les justiciables à recourir contre un premier jugement, ce qui le rend provisoire et vaut aux condamnés le bénéfice de la présomption d’innocence d’ici qu’il soit rendu définitif en appel ou en cassation. La manifestation du RN, par ailleurs assortie de menaces délictueuses aux magistrats par des partisans ulcérés, témoigne néanmoins sans ambages de la volonté du parti de revenir, s’il arrive au pouvoir exécutif, sur un dispositif de l’État de droit garantissant l’indépendance du pouvoir judiciaire.

Relation à la démocratie

On aura compris par ce qui précède qu’il ne saurait y avoir d’État de droit sans démocratie, et que c’en est un ingrédient constitutif.

L’essentiel tient dans la présence de règles de conduite démocratiquement convenues et d’organes de l’état tenus, eux-mêmes y étant soumis, d’en assurer le respect tant qu’elles n’auront pas été aussi démocratiquement infirmées. C’est évidemment principalement le rôle du pouvoir judiciaire que de faire respecter la loi.

Pierre Rosanvallon, dans un article récent du Monde au sujet du rejet par le RN du « gouvernement des juges », explique de manière très convaincante qu’en démocratie représentative les juges sont autant dépositaires de la souveraineté populaire que ses représentants élus. Il distingue pertinemment pour le justifier que le concept de peuple s’y trouve, du fait de l’introuvable unanimité des citoyens, nécessairement scindé en deux : le « peuple arithmétique » incarné par les majorités ponctuelles de ses élus et le « peuple communauté » incarné par les défenseurs au long cours des principes et valeurs incarnés en France depuis 1789 par la devise « Liberté, Égalité, Fraternité » que sont les juges. La version du populisme d’extrême droite que défend le RN fait litière de la souveraineté du « peuple communauté » en refusant qu’elle s’impose dans l’État de droit aux élus comme à tous les citoyens. L’aversion au gouvernement des juges que professe le RN est la formulation exacte de la menace essentielle qu’il fait peser sur la nature démocratique de l’État. C’est dire l’inversion totale de la réalité politique que brandissent le président de ce parti, clamant « c’est la démocratie qui est exécutée », et la présidente de son groupe de députés hurlant au « jugement politique ».

Je partage sur ce point la véhémente réaction d’un haut fonctionnaire, qui dans une prose aussi précise qu’alerte dénonce les conséquences, délétères pour la démocratie, du cynisme avec lequel l’extrême droite, mais pas que, dénigre la justice lorsqu’elle s’attaque aux politiques qui font fi du contrat moral que devrait constituer leur élection.  

Fragilité de l’équilibre institutionnel

Il a été argué dans la discussion sur WhatsApp par un camarade que les règles ou normes légales d’un État de droit sont l’héritage de « luttes populaires ou féministes[15] » du passé et constituent un équilibre fragile susceptible de tourner dans le sens de l’extension ou de la régression des droits démocratiques. Proposer sa défense comme perspective, comme je le fais dans le cadre de la condamnation judiciaire de Marine Le Pen, serait alors entaché d’ambiguïté ou au moins insuffisant pour conjurer la régression qui menace.

Ce camarade a certes raison de ne pas considérer la question de l’État de droit comme un attribut binaire et statique d’un régime politique, à répondre par oui ou non. Il admet donc forcément des états intermédiaires dans le temps, mais aussi dans la multiplicité des dispositions légales qui en forment l’espace juridique. À tout moment, il est nécessaire de distinguer pour un régime donné s’il a basculé pour de bon vers une dictature ou s’il recèle toujours des points d’appui pour conserver le label de démocratie, des traces suffisantes de libéralisme politique pour mériter d’être étiqueté État de droit. Encore faudrait-il prendre en compte ce qui est désigné aujourd’hui par des néologismes pointant vers des régimes intermédiaires entre ces extrêmes, comme un régime illibéral voire une démocrature. Je suppose que le cas actuel de la France en Ve République, qui nous intéresse ici et est détaillé plus loin, fait consensus avec ce camarade, et qu’il admet que le pays n’a pas, ou espérons-le pas encore, basculé dans un régime comparable à ceux où l’extrême droite aurait les manettes ou le champ libre pour une participation gouvernementale, et qu’il s’agit bien aujourd’hui de l’éviter. Que seul un puissant mouvement social soit nécessaire pour inverser le cours répressif et l’exacerbation des inégalités sociales et des risques écologiques du macronisme finissant, qu’il exige d’en finir avec la concentration des pouvoirs dans les mains de la présidence et le mépris congénital du parlement auquel il a conduit, notamment en passant à une 6ᵉ République, n’entame aucunement, bien au contraire, l’importance de la résistance aux empiètements de l’État de Droit par rognage pas à pas du contre-pouvoir que représente la justice.

Outre qu’il me paraît paradoxal d’opposer alors le maintien de droits démocratiques existants à l’ajout futur de nouveaux droits de même nature, il s’agit aussi selon moi de ne pas mélanger à chaque occasion tous les motifs de manifestation. Or celle-ci, du dimanche 6 avril donc, avait un but précis  : contrer les appels à manifester de l’extrême droite contre la légalité d’un jugement rendu, condamnant, d’ici qu’il soit définitivement confirmé ou cassé en cas d’appel, sa cheffe de file à l’inéligibilité, conformément à une loi en vigueur que la gauche a unanimement votée. Cette loi faisait partie d’un ensemble de mesures de nature à contribuer, sous l’étiquette de la transparence et de la moralisation de la vie publique, à restaurer une partie de la confiance de la population dans le système politique électif, érodée par des scandales et des passe-droits et pas uniquement par une impuissance à combattre ou tempérer les inégalités économiques. Elle ne méritait à aucun titre d’être rangée dans l’arsenal de la dérive autoritaire ou liberticide qui colle à l’évolution du macronisme. Il fallait ne pas laisser au RN le bénéfice de la publicité donnée à son projet désavouant les juges, lui éminemment liberticide. C’est d’y mêler notre légitime rejet de ce gouvernement, les revendications salariales, le refus de la réforme des retraites, ou encore, pire, le droit à l’insurrection proclamé en 1789, etc., qui est confusionniste et diviseur par rapport à tous ceux qui sont prêts à combattre l’arrivée au pouvoir du RN.

Droit à la révolte, devoir de l’insurrection, excès de légalisme

Un autre camarade, légèrement provocateur malgré son sérieux historique, a argué que Marine Le Pen avait bien le droit de s’opposer par une manifestation au jugement rendu, car tout citoyen est légitime à s’opposer à une quelconque décision de justice. Arguant même de l’historique article 35 de la Déclaration des droits de l'homme de 1793 :

« Article 35. – Quand le gouvernement viole les droits du peuple, l'insurrection est, pour le peuple et pour chaque portion du peuple, le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs.  »

 Il transforme le droit d’opposition de Marine Le Pen en… devoir.

C’est donner des verges pour se faire fouetter, tant la prémisse de la proposition, que pour ma part j’approuve comme lui, n’est justement pas remplie. Il n’y a aucune violation des droits du peuple dans la décision des juges, et au contraire une stricte et opportune défense de ces droits par ses représentants qualifiés. Faire crédit à la protestation de Marine Le Pen en l’assimilant à une insurrection populaire que l’abus d’autorité de l’État justifierait est pour le coup une position non seulement logiquement intenable, mais surtout politiquement indéfendable. Le droit à la révolte n’est évidemment admissible ou même exigible que contre des autorités ou des dispositifs piétinant des libertés humaines essentielles, et surtout pas contre celles qui les protègent par définition dans l’État de droit. On ne peut que s’interroger sur les raisons amenant cet excellent camarade, qui ne partage certainement pas la conviction anarchiste de la malédiction qui pèserait sur toute autorité, à en arriver à l’extrémité consistant à le justifier dans l’abstrait.

C’est sans doute la confusion théorique, dénoncée ci-dessus par Rosanvallon mieux que moi, quant à la définition même de l’État de droit et sa relation intrinsèque avec la démocratie, qui fournit probablement la clé de ce retournement, et est à la source du sentiment de ce camarade que je défendrai ici d’un légalisme horripilant. On peut, comme un camarade socialiste rencontré par hasard réagissant spontanément à ma mention d’État de Droit, déplorer que le mot « révolution » ait disparu du langage de la gauche pour céder la place à la « conservation » d’acquis. Ce légalisme est évidemment absolument nécessaire pour imprégner les luttes légitimes pour défendre un État de Droit lorsqu’il est menacé par l’extrême droite. Il ne saurait être décrié que s’il contrevenait à cette défense ou contribuait à affaiblir la lutte contre des mesures dictatoriales, ou contre un état qui aurait déjà basculé vers l’absolutisme en abolissant les contre-pouvoirs démocratiques.

Banalité ou gravité de l’infraction en cause

Un second élément, que je veux croire accessoire, peut contribuer à la réticence de certains camarades prompts à brandir l’accusation de légalisme excessif dès qu’on pose au défenseur de l’État de Droit une question. C’est que l’infraction dont il est question ici, qui vaut à Marine Le Pen, entre autres sanctions, celle de son inéligibilité, consiste en emploi sur fonds publics d’assistants parlementaires par des élus pour accomplir des tâches internes à leur parti sans relation avec leur activité au parlement. Or un tel emploi est selon eux de notoriété publique relativement répandu et au fond sans véritable gravité.

Je passe sur les raisons d’habitudes peut-être ancrées chez nombre d’élus dans les institutions helvétiques, sous « d’autres cieux », pouvant entraîner un réflexe de solidarité lorsque la justice est amenée à intervenir pour sanctionner ces pratiques. Voir aussi ce que j’en dis plus bas dans la discussion de l’Absence d’enrichissement personnel.

En tout état de cause, cet argument conforte d’évidence l’extrême droite dans le cynisme de ses protestations, alors que la justice a pris toutes précautions utiles pour faire ressortir en long et en large la gravité spécifique des faits qui lui sont imputés.

Lutte de classes – État bourgeois – Ve République

Une certaine rhétorique marxienne dispose que les institutions politiques démocratiques héritées de la Révolution française et ayant traversé jusqu’à nous monarchies, empires et républiques sans attenter aux fondements des rapports capitalistes de propriété dans la production, l’échange et la consommation des biens matériels et culturels, ne constituent qu’un masque occultant la domination de classe de la bourgeoisie et non l’état momentané d’un rapport de forces de luttes sociales pour l’émancipation citoyenne de tous. En somme, hormis l’hypothétique révolution menant les classes laborieuses au commandement, il ne saurait y avoir d’État de droit, et celles et ceux qui s’entêtent à en défendre une quelconque disposition, forcément imaginaire, se rendent complices de la perpétuation de l’exploitation capitaliste.

Cette rhétorique est confortée par la citation constante de François Mitterrand qualifiant dans un livre paru en 1964 le régime gaulliste de la V ᵉ République de « coup d’État permanent », avant de se couler comme personne dans le moule de l’élection du Président au suffrage universel, devenue source de légitimité après avoir subi à gauche et dans une grande partie de la classe politique les foudres pour sa parenté avec le plébiscite de 1851 par Napoléon III.

À ce propos, je me souviens de mes 17 ans et de mes convictions politiques balbutiantes à la faveur de discussions enfiévrées entre collégiens sur le putsch des généraux d’Alger du 13 mai 1958, mais ai dû me rafraîchir la mémoire pour résumer ce qui suivit. Les insurgés réclamaient la prise de pouvoir par de Gaulle et menaçaient Paris de débarquement de parachutistes après avoir investi la Corse. Tel était le contexte de l’investiture légale, le 1ᵉʳ juin, du général de Gaulle par l’Assemblée nationale comme Président du Conseil, chef du dernier gouvernement de la 4ᵉ République sous la présidence de René Coty. Le général obtint les pleins pouvoirs pour gouverner par ordonnances, l’Assemblée nationale mise en congé pour six mois. Rédigeant immédiatement une nouvelle Constitution, le général la fit approuver par référendum le 28 septembre, passa premier ministre et finalement 1er président de la Ve République le 8 janvier 1959 (https://tinyurl.com/2axdclbs), après avoir emporté 78,5  % des suffrages exprimés dans une élection d’un collège électoral composé de près de 82 000 grands électeurs comprenant parlementaires, élus départementaux et représentants municipaux, à la manière indirecte des sénatoriales. L’élection au suffrage universel direct ne date que d’un nouveau référendum constitutionnel du 28 octobre 1962 recueillant 62  % de OUI.

De fait, l’objet principal du livre de Mitterrand ne tient pas dans la conviction que l’élection au suffrage universel direct du Président de la République fait de la France un État incompatible avec l’État de droit, car il y admet même que cette disposition serait « acceptable en soi » (p. 119)[16]. Sa critique, jugée aujourd’hui outrancière même par ses partisans, s’adresse à la pratique autoritaire du général, son mépris souverain du législatif, sa tolérance ou encouragement d’officines parallèles de sac et de corde, les libertés prises avec la légalité des institutions qu’il a lui-même contribué à définir, et par-dessus tout, les circonstances factieuses qu’il a utilisées pour revenir légalement au pouvoir en 1958. Sauf ces dernières, bien des traits de sa critique pourraient être repris pour caractériser la dérive macroniste, de ses origines au renforcement continu de l’auto­ritarisme et au penchant de ministres régaliens vers l’extrême droite.

Quoi qu’il en soit, prendre aujourd’hui prétexte du pamphlet mitterrandien de 1964 pour arguer que la Vᵉ République serait devenue après lui, sous Chirac, Hollande et Macron, un État ne respectant plus en rien les canons de l’État de droit, carrément social-fasciste pour tout dire, constitue au mieux un anachronisme dangereux. Il ne vaut guère mieux que la rhétorique rancie des années 30 staliniennes du « classe contre classe », l’aveuglement de l’ultragauche devant l’histoire des libertés précieuses conquises de concert avec les bourgeoisies contre les absolutismes, ou encore l’unilatéralisme d’une pensée anarchiste voyant dans tout état l’incarnation du mal.

Crétinisme parlementaire, matérialisme et morale politique

La naïveté ou l’ignorance qui m’est imputée pour réclamer justice sans sortir de la légalité ferait pour certains, on vient de le voir, l’impasse sur le caractère bourgeois d’une institution judiciaire marquée au sceau de la domination de classe. Ce raisonnement s’apparente à celui qui qualifie cet excessif légalisme de « crétinisme parlementaire ». Karl Marx avait le premier fait usage de la notion pour qualifier les rodomontades d’un parlement à l’article de la mort suite au coup d’État napoléonien de 1851[17]. L’expression a été reprise dans le titre d’un article par Trotsky de son exil à Prinkipo en 1933, intitulé « Crétinisme parlementaire et diplomatique », pour stigmatiser la stratégie stalinienne antifasciste en Autriche, accusée de prendre ses désirs pour la réalité. Elle n’a pas, à ma connaissance, fait surface dans la discussion, mais je me souviens de son emploi à répétition par un camarade, qui, au cas improbable où il me lirait, se reconnaîtra très probablement, pour qualifier péremptoirement l’illusion que la gauche entretiendrait de pouvoir arracher des conquêtes significatives par un combat mené au parlement.

Trotsky commençait l’article cité par une phrase valant son pesant d’or de dogmatisme. « La force du marxisme, c’est qu’il sait voir la réalité », affirmait-il sans sourciller en tressant ensuite des couronnes à Lénine pour fustiger le despote lui ayant succédé. Malgré l’étendue de son savoir philosophique, cet admirable polémiste et acteur géant de la révolution soviétique n’a jamais démordu, comme tous les marxistes russes de l’époque, de Plekhanov à Lénine, à travers Boukharine[18], et bien entendu du moins doué Staline compris, d’une conception positiviste des sciences sociales baptisée « analyse matérialiste ». Cette tradition avait d’ailleurs été inaugurée par Engels[19], pour qui Marx était, sur le plan de la société et de ses « lois » d’évolution, l’équivalent de Darwin sur le plan de la nature et des lois du vivant. Antonio Gramsci avait parfaitement perçu de sa prison, dans les années 1930-1933, le caractère a- ou pré-critique de ce « matérialisme vulgaire »[20] et en avait fait justice. Ultérieurement, le couple « matérialisme dialectique » et « matérialisme historique », figé en vulgate matérialiste abrégée DIAMAT, a beaucoup sévi dans les écoles de tous les partis communistes d’après-guerre pour fustiger l’« idéalisme bourgeois » et magnifier la vision soviétique officielle prétendument scientifiquedu marxisme.

Pour ce qui nous concerne sur l’appréciation de l’État de droit, la relation avec une autre œuvre du même Trotsky, « Leur morale et la nôtre », datée du Mexique en février 1938, traduite en français par Victor Serge, n’est pas fortuite. Ce dernier y soutenait encore du Mexique, deux ans avant son assassinat le 21 août 1940 par un agent infiltré de Staline, sa version du marxisme héritée de la guerre civile et de son tardif ralliement au léninisme. Il y défendait avec un brio sans pareil que son entêtement les procès à huis clos d’accusés privés de défense par la Tchéka naissante à Petrograd fin 2017, puis transférée à Moscou en mars 2018, l’exécution d’otages comme le tsar déchu Romanov et sa famille sur ordre du parti le 17 juillet 2018, sa vaine proposition de la militarisation du travail de 1920, son rôle dans l’écrasement de la rébellion des marins de Kronstadt en clôture de guerre civile[21], arguant que c’était le prix à payer, en une période ne tolérant pas les hésitations petites-bourgeoises, pour la victoire du but poursuivi de l’affranchissement du prolétariat du joug capitaliste. On sait mieux aujourd’hui ce qu’il en est advenu, après la longue période de réaction émergeant, selon le même Trotsky inéluctablement, d’une guerre civile révolutionnaire, certes gagnée, mais ayant laissé le pays exsangue, et qui finira en fascismes et en Deuxième Guerre mondiale. Une longue discussion philosophique, qui a fait date, de l’adage « la fin justifie les moyens » constitue la colonne vertébrale de cet opuscule. S’il y défend l’interdépendance des fins et des moyens, il ne s’étend pas sur la justification des premières qu’il considère établies par la science marxiste de l’émancipation des masses conduites sans faiblesse morale par l’avant-garde prolétarienne.

Si Victor Serge[22] a traduit l’ouvrage en français, s’il a rendu à Trotsky le plus bel hommage qu’on puisse lire après qu’il ait succombé au coup de piolet, il n’en a pas moins critiqué à juste raison, de son point de vue d’anarchiste compagnon du bolchevisme, l’ossature théorique sectaire de cet écrit. Cet admirable révolutionnaire a ensuite répondu à un article de Trotski le mettant durement en cause dans un article paru dans un bulletin de la IVᵉ Internationale[23]. Trotsky y reprochait à Serge[24] d’entretenir depuis sa sortie d’URSS des relations confuses avec le POUM espagnol et ajoutait à propos de la dégénérescence de l’état soviétique que la défaite d’une armée ne pouvait pas plus démentir les principes de la stratégie que la défaite du prolétariat celle du marxisme, qui « est la science de la révolution ». Comment Serge pouvait-il penser que du sanglant chaos inévitable de la 3ᵉ guerre mondiale imminente émergerait une autre aube que celle de « la lumière du marxisme » ?

Trotsky, Serge, le marxisme et le doute méthodique propre à la science

Réfléchir sur les conquêtes du siècle dernier en logique mathématique n’est peut-être pas inutile pour saisir combien la foi irrationnelle de Trotsky dans un marxisme assimilé à une science ne souffrant pas de contestation le conduisit à justifier, dans « Leur morale et la nôtre », en les relativisant en période de guerre civile où nécessité ferait loi, des turpitudes que le droit international, et a fortiori l’État de droit, réprouve, et qu'aujourd'hui il condamne et sanctionne officiellement. Il s’agit des massacres de civils, prises d’otages, assassinats ciblés, déportations de populations et, bien entendu, génocides, dont l’actualité des derniers siècles ne fut pas avare.

En effet, Kurt Gödel a démontré[25] en 1930 puis 1938 l’existence nécessaire de propositions dites indécidables dans les systèmes logico-mathématiques fondant l’arithmétique élémentaire axiomatisée par Peano. Cette intrigante borne du savoir, liée à la notion d’infini[26], a fait l’objet de la recherche mathématique de prédécesseurs comme Cantor, Hilbert, Russell, Frege, Fraenkel ou Zermelo et a depuis inspiré de géniaux innovateurs, philosophes, linguistes et mathématiciens comme Tarski, Turing, von Neumann, Wittgenstein, PJ Cohen, Piaget, Mandelbrot ou Grothendieck s’intéressant aux fondements de la pensée rationnelle depuis Platon et Aristote[27]. Le regretté biologiste Albert Jacquard tenait néanmoins le résultat de Gödel pour essentiel dans la critique de la prétention que toute affirmation est soit vraie soit fausse, qui ouvre donc sur le fait qu’elle pourrait être indécidable, au sens d’indémontrable, et donc ni vraie ni fausse[28].

Le Trotsky de 1939 ne pouvait, pas plus que Victor Serge, avoir suivi ces derniers développements de la connaissance, d’ailleurs relativement imperméables aux non-spécialistes, aux origines de l’informatique et à l’essor actuel de l’intelligence artificielle. Toutefois, l’abyssale différence entre le scepticisme rationnel, éclairé par le doute méthodique, et le dogmatisme de la foi de Trotsky dans un marxisme que Gramsci avait déjà étiqueté « vulgaire », se lit dans la postface à Leur morale et la nôtre. C’est avec une infinie tristesse qu’on peut y lire traiter Serge, mieux inspiré à mon avis dans un écrit qui datait d’à peine 4 mois[29], avec Souvarine, de « porteur d’infection »[30].

Morale et violence politique

Cette position fait bien sûr écho, par exemple, à celle, très actuelle, qui résiste à condamner l’odieux massacre et prises d’otages du Hamas le 7 octobre 2023 au nom de la légitimité de résister à la spoliation du peuple palestinien et à l’occupation de son territoire étatique, comme symétriquement à inculper de génocide caractérisé la réplique dévastatrice de l’état d’Israël occupé à raser le territoire de Gaza et à faire fuir ses survivants au nom de la légitimité de défendre ses frontières.

Dans les deux cas, celui de la guerre civile en Russie menaçant les conquêtes révolutionnaires ou de la guerre d’Israël contre le Hamas en représailles, c’est l’assurance d’avoir raison devant la Science ou l’Histoire qui porte les protagonistes à faire fi du droit humanitaire et international, tout comme, mutatis mutandis, Marine Le Pen et le RN font fi du principe de la séparation des pouvoirs propre à l’État de droit.

Or le camarade qui s’étonnait que je puisse faire la fine bouche, selon lui preuve d’un excès de légalisme, devant son argumentation sur un droit démocratique à la rébellion consacré par la Constitution française de 1793 pour fonder l’appel de Mme Le Pen et son parti à manifester contre sa condamnation judiciaire pour détournement de fonds publics, à qui j’ai répondu en page 9 sur sa méprise concernant l’État de droit, s’insurgeait ensuite que je puisse voir dansson propos une quelconque incitation à la violence

Toutes proportions gardées entre des débordements éventuels d’une manifestation, l’entretien de milices populaires violentes ou de projets de prise de pouvoir par les armes, je maintiens ma position pour les raisons qui suivent.

Passons sur le fait que la Constitution de 1793, aussi dénommée de l’an I, n’ait jamais été appliquée, mais abrogée du fait du passage au « gouvernement révolutionnaire » et au régime dit de la Terreur. La violence, historiquement établie, de ce passage ayant fait couler le sang et proliférer les exécutions sommaires jusqu’à Thermidor qui emporta Robespierre lui colle néanmoins à la peau. J’approuve malgré cet ancrage la formulation qui enthousiasme ce camarade, mais il ne s’agit pas ici d’une demande de changement constitutionnel pour instituer le devoir sacré d’insurrection, et celle-ci reste donc bien inconstitutionnelle, s’apparentant à la désobéissance civile à la loi, dont les conditions mériteraient également d’être précisées. Ce qui paraît essentiel est donc l’esprit de l’article en question qui subordonne l’insurrection au fait que le gouvernement « viole les droits du peuple », autrement dit viole l’État de droit. L’indépendance de la magistrature n’y ayant été guère contestée, ce qui viole avant tout les droits du peuple est le détournement avéré de fonds publics. Prononcer une sanction d’une malversation votée sans coup férir par le Parlement pour renforcer la confiance du peuple dans les institutions ne saurait être considéré comme un viol de ses droits. Je ne peux croire que ce camarade considère illégitime de condamner le détournement de fonds publics même s’il en atténue comme le RN la gravité, ou qu’il assimile toute sanction d’inéligibilité à une violation de l’État de droit, comme ce serait le cas en Suisse, deux observations discutées par la suite. Rappelons enfin que Marine Le Pen réclamait dès 2013 l’extension à perpétuité de l’inéligibilité pour le même délit avant qu’il ne s’applique à elle.

L’argument de mon camarade se réduit donc comme une peau de chagrin. Il n’en subsiste que la contestation que l’État de droit serait violé non par la condamnation à l’inéligibilité, mais exclusivement par son application immédiate avant épuisement des recours, qui induirait son caractère politique destiné à biaiser les résultats anticipés de la prochaine élection présidentielle où les sondages la donnent victorieuse. C’est d’ailleurs cela que Mélenchon critiquait lui aussi, tout en approuvant la condamnation et participant à la contre-manifestation. Cette accusation ne résiste pas à l’examen des explicitations fournies par la juge pour démentir par avance une interprétation qu’elle prévoyait, et encore moins par l’empressement public, à vrai dire discriminatoire, d’accélérer la procédure d’appel pour la conclure un an avant l’échéance élective.

Bref, notre cher camarade entendait légitimer un appel à l’insurrection contre une disposition de l’État de droit destinée à moraliser la vie publique. C’est ce qui m’a fait dire, pensant à la rhétorique du coup de force justifiant de prendre les devants de celui à attendre inévitablement d’un État bourgeois menacé dans ses fondements. L’ultragauche a toujours fait usage conceptuel ou mise en pratique d’un appel préventif à la violence politique pour garantir la révolution populaire en arguant de la naïveté d’une exploration préalable des voies pacifiques passant par la conquête de la majorité des suffrages. JE L’entendais m’en distancier, tout comme Mélenchon l’a fait à plusieurs reprises en dénonçant au contraire à diverses occasions le comportement factieux des forces de l’ordre et en prônant sa conception de la « révolution citoyenne ». Critiquer l’amalgame de toutes les résistances à l’ordre néolibéral, ultraviolent à bien des égards, à un « terrorisme » indifférencié pour institutionnaliser des dispositions légales liberticides ne saurait dispenser la gauche des réflexions, inspirées par Étienne Balibar, sur les moyens d’opposer les stratégies de l’anti-violence à celle de la contre-violence[31]. Il reste à l’Union populaire à éclaircir ses positions programmatiques là-dessus pour ne pas donner crédit à la dénonciation qu’elle ferait les yeux doux à des fractions qui ne mèneraient qu’au désespoir.

Absence d’enrichissement personnel

J’ai été aussi confronté à l’argument que l’absence d’enrichissement personnel devait atténuer le verdict d’inéligibilité, voire rendait le détournement de fonds publics véniel. C’est un argument entre tous spécieux, d’ailleurs largement employé par le RN. Ce n’est pas au justiciable d’apprécier la gravité du délit commis, mais éventuellement à la loi, qui peut disposer de circonstances atténuantes appréciables par les juges. En l’occurrence, je ne sache pas qu’il en ait été question lors du procès, mais je crois que si ce soupçon avait fait partie des chefs d’accusation, c’est de circonstances aggravantes qu’il aurait été question, et éventuellement d’un chef d’accusation supplémentaire avec des peines additionnelles pour celles et ceux des députés ou assistants qui en auraient été convaincus. Il ne s’est jamais agi, à mon avis, d’accuser Marine Le Pen de prévarication, bien qu’on ait glosé sur le train de vie de la famille et de l’héritage ayant permis l’acquisition du château de Montretout. L’article déjà cité ci-dessus fait d’ailleurs justice de l’erreur de perception induite par l’enrichissement indirect d’une personne morale qui, procédant d’un certain cynisme, ruine la confiance des citoyens dans la politique. Bien entendu, c’est aussi pour ce motif que la loi visant à la moralisation de la vie publique a été introduite, car c’était le cas pour le délit de fraude fiscale reproché à Cahuzac.

Dans le cas présent, les juges se sont étendus publiquement sur cette gravité pour de nombreuses raisons, et l’enrichissement personnel ne fait pas partie des accusations contre Marine Le Pen. Lors de l’instruction, le caractère systématique et volontaire de ces détournements datant de Jean-Marie Le Pen et le rôle éminent de sa fille pour poursuivre et organiser la suite ont été largement traités par la presse, notamment suite au réquisitoire. La demande de réparation de l’UE portait sur plus de 4 millions d’euros pour un nombre élevé de plus d’une vingtaine d’assistants concernés, sans rapport avec la somme réclamée à JL Mélenchon d’un demi-million pour les manquements de ses deux collaborateurs, malgré tout rondelette, et supérieure à ce qui était réclamé au Modem.

Bref, il n’y a pas lieu de trouver « fascinant » que l’opinion ou les médias s’attardent sur la sanction sans disputer de la gravité du délit. Cette remarque témoigne au mieux d’une méconnaissance du dossier français, au pire d’une banalisation des pratiques contestables de députés d’emploi de fonds publics réservés à l’activité parlementaire à d’autres fins.

Hostilité de principe à la sanction d’inéligibilité

Comme indiqué plus haut, la comparaison évoquée avec le cas suisse témoigne ici aussi de la méconnaissance de ce qui est en cause. La loi française prévoit expressément cette sanction, votée d’ailleurs par les formations en cause au parlement pour le détournement de fonds publics, quelle qu’en soit la circonstance, et ce n’est pas l’existence de la sanction elle-même qui fait l’objet de la protestation du RN. D’une part, il s’insurge qu’on l’applique à des faits qu’il nie avec constance, ce qu’il est à peu près seul à soutenir et que les attendus publics détaillés du jugement permettent d’étayer sans l’ombre d’un doute selon les articles de presse s’y référant. Mais surtout, il s’en prend à l’exécution immédiate de la sanction avant épuisement des voies de recours protégeant tout contribuable des éventuelles erreurs de jugement d’une première instance judiciaire. Or, bien que la loi dite Sapin II ne puisse en l’occurrence s’appliquer rétroactivement à des faits antérieurs à sa promulgation, celle-ci ne faisait que rendre obligatoire la sanction d’inéligibilité que la loi précédente avait laissée à l’appréciation du tribunal. C’est pourquoi les juges ont pris soin d’en détailler longuement les motivations légales par les dispositions explicites suivantes : danger de récidive (par la non-reconnaissance des faits) et menace d’inefficacité (si l’élection à la présidence de Marine Le Pen lui conférait l’immunité).

En conclusion, la comparaison avec la loi suisse ayant radié l’inéligibilité du code pénal depuis 2007[32] ne peut servir à contester le jugement en question. Elle relève d’une conviction personnelle que la sanction d’inéligibilité instituée précisément en France comme sanction pour certains crimes ou délits ne serait pas légitime.

L’historique de cette sanction et de son contexte avant d’en arriver à 2024 est plus qu’édifiant. Introduite en 1992 par une vaste réforme du code pénal napoléonien sous Mitterrand par le gouvernement Bérégovoy et avec Robert Badinter présidant le Conseil constitutionnel, qui en a repris le projet en 1981, elle est entrée en vigueur le 1er mars 1994. Elle a subi une première retouche en 2010 sous Sarkozy par le Conseil constitutionnel présidé par JL Debré, où la peine a été passée d’automatique à sa soumission à une décision spécifique d’un juge. François Hollande l’a fait passer obligatoire, mais toujours non automatique, et à dix ans pour corruption, une mesure demandée par l’ONG Transparency International, dans le cadre de l’affaire Cahuzac en 2013, aboutissant à l’adoption des lois sur la transparence de la vie publique et à la création de la haute autorité correspondante.

Il n’est sans doute pas indifférent, en comparaison du droit suisse, de noter que cette question de l’inéligibilité, avec tout le rôle qu’elle a conféré au Conseil constitutionnel puis à la Haute Autorité sur la transparence de la vie publique, pointe plutôt sur une lacune en matière de droit suisse, où ces institutions supérieures de contrôle de la constitutionnalité des lois font défaut et font l’objet constant des critiques de l’UDC qui en estiment la souveraineté populaire bafouée, comme elle veut abolir la prépondérance des juridictions internationales des droits humains. Évidemment, en Suisse, les magistrats, siège ou parquet, sont élus directement ou indirectement (les juges fédéraux par le Parlement) par le peuple, alors qu’en France, ils sont désignés par le président de la République sur proposition ou avis du Conseil supérieur de la magistrature, les procureurs ou parquet (aussi ministère public) étant sous l’autorité hiérarchique du ministre de la Justice, alors que ceux du siège sont inamovibles. On peut débattre de la méthode qui assure le mieux l’indépendance du pouvoir judiciaire, mais paradoxalement ce ne serait pas l’élection, à en croire cet article du Monde. Je juge donc peu probable que cette suppression de l’inéligibilité en Suisse ait été motivée par un contexte de conquêtes démocratiques que l’Union populaire se devrait de rappeler.

Il est pour le moins étonnant que l’Union populaire n’ait pas de position plus claire sur ces sujets, familiers de ceux qui s’occupent des réfugiés, des sans-papiers ou du droit international. Un séminaire de formation ou conférence invitant p. ex. Monique Chemilier, Marie-Claire Caloz-Tschopp, Etienne Balibar, Alain Supiot, Jean-Michel Dolivo ou Me Minh-Son Nguyen, voire d’autres compétences locales, suggérées par des juristes ou spécialistes du droit parmi nous, centrée sur l’indépendance du pouvoir judiciaire et la démocratie, serait à recommander.

Inéligibilité ne vaut pas révocation ou destitution.

Un aspect qui n’est pas secondaire, pour peu que l’on accepte la légitimité de sanctionner d’inéligibilité des élus condamnés pour certaines catégories de délits liés à leur probité dans l’exercice de leur mandat, est de déterminer si la sanction doit s’appliquer uniquement aux futures élections, ou si elle doit entraîner l’interruption – ou révocation – des mandats en cours, ce qui est désigné parfois comme leur démission d’office[33].

Depuis les Gilets jaunes, la révocation des mandats électoraux de condamnés pour corruption, fraude ou autres manques de probité constatés en justice est entrée par la grande porte dans l’arsenal d’une révision de la Constitution, notamment dans les cartons de la France insoumise pour une 6ᵉ République en cas de présidentielle victorieuse. De fait, il n’est question dans l’AEC[34], version 2025, comme dans les précédentes, du « référendum d’initiative citoyenne » permettant l’intervention de citoyens en nombre suffisant pour « révoquer des élus, proposer ou abroger une loi et modifier la Constitution », sans précision quant à une loi permettant à un juge de l’induire par condamnation à l’inéligibilité. En affirmant, comme il l’a fait le 31 mars dans la foulée du communiqué de LFI condamnant Marine Le Pen, que « la décision de destituer un élu devrait revenir au peuple », Jean-Luc Mélenchon semble en effet récuser l’éventualité d’une révocation immédiate par un tribunal. C’est un détail législatif important, mais à ne pas confondre, comme le font avec complaisance trop de médias intéressés à le prendre en défaut, avec celle de la prononciation judiciaire de l’inéligibilité à de futures élections, dont il n’a récusé que l’absence de recours avant jugement définitif. Or la possibilité de recourir en appel existe, a été exercée par Marine Le Pen et ses acolytes députés, et même, horresco referens, la cour d’appel a déclaré accélérer la procédure usuelle pour trancher son cas un an avant l’élection présidentielle, traitant donc la condamnée mieux qu’une élue ordinaire en vertu d’un score de sondage la donnant gagnante à deux ans du scrutin. De surcroît, le mandat national de ces élus n’est pas interrompu du fait de la jurisprudence déjà mentionnée à la note 5 ci-dessus. Ironiquement, les conditions exigées par J.-L. Mélenchon se trouveraient alors doublement remplies, que Mme Le Pen soit relaxée ou accepte sa condamnation en appel. Elles ne seraient infirmées que par un recours plus qu’improbable en cassation intervenant avant l’élection présidentielle.

Enfin, mentionnons à l’appui de mon propos que le même Mélenchon n’a pas hésité à réclamer d’engager la procédure de l’art. 68 de la Constitution permettant au Parlement, constitué en Haute Cour[35], à une majorité des deux tiers et à bulletin secret, de destituer avec effet immédiat le président de la République pour « manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l’exercice de ses fonctions », donc sans faire intervenir les citoyens par un quelconque référendum. Réclamée à cor et à cri par les députés LFI suite au refus présidentiel de nommer Lucie Castets première ministre, ses partenaires du NFP ont refusé d’engager une procédure dont l’issue paraissait hors de portée de la majorité. A fortiori, je ne vois pas comment Mélenchon pourrait être réticent à ce qu’un juge puisse prononcer l’exécution provisoire (i.e. immédiate) de la peine complémentaire d’inéligibilité si la loi prévoyait que l’interruption du mandat en cours doit, pour être exécutoire, être validée par l’assemblée parlementaire[36] concernée.

Conclusion.

J’espère avoir fait œuvre utile en reprenant et développant un débat né dans le groupe WhatsApp de l’Union populaire genevoise à propos de la réaction à la condamnation de Marine Le Pen pour détournement de fonds publics au Parlement européen. J’avais amorcé ce débat en critiquant, selon moi, un mauvais procès fait par une fraction de la gauche radicale à la défense de l’État de droit que j’entendais justifier pour contrer la menace du RN. Ce procès se fonde pour l’essentiel sur le mépris d’une morale qui viendrait coiffer pour l’affaiblir le combat prolétarien contre une justice de classe.

J’ai beaucoup illustré ce débat, qui renvoie par ailleurs à celui très actuel du jugement à porter sur le conflit proche-oriental Israël-Palestine, par les apports du marxisme authentique ou dévoyé analysant la guerre civile ayant suivi la révolution russe. J’espère que celles et ceux qui contribueront au programme de l’Union populaire et, plus largement, les personnes intéressées aux dilemmes moraux d’une pratique de gauche trouveront aliment dans ces vingt pages.

Dario Ciprut
Le 27 avril 2025

[1] Le bien mauvais prétexte avancé pour ne pas appeler à manifester était de ne pas confirmer devant l’opinion que la décision des juges aurait été d’ordre politique par des juges marqués à gauche.

[2] Ces recours légaux sont le pourvoi en appel, puis en dernière instance nationale en cassation, voire à l’international l’appel à la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH).

[3] Comme l’indique le Monde, le RN s’est pourvu en appel dès le lendemain de cette condamnation.

[4] C’est le terme employé pour l’interruption du mandat, autrement dit sa révocation.

[5] La légalité de l’exécution provisoire et de l’éventuelle révocation du mandat en cours est établie en vertu de précédentes réponses du CC à l’affaire n° 2025-1129 QPC. La meilleure discussion des détails en jeu est disponible sous https://tinyurl.com/2clygdck. par un juriste dans un document qui débute par « Dans cette affaire, ce n’est pas la qualification des faits de détournement de fonds publics et leur répression qui font débat, mais la seule application de l’exécution provisoire à la peine d’inéligibilité. » Depuis le 8 avril, l’article de The Conversation dresse un précieux bilan de la question de la menace envers l’État de droit, qui évoque au passage l’incongruité du soutien apporté au RN par les critiques de MM. E. Ciotti, G. Larcher et F. Bayrou, ainsi que les équivoques de la position de JL. Mélenchon pointées par le Monde, discutées plus loin. 

[6] Pour l’historique et les détails d’adhérents ultérieurs au NFP, consulter le lien Nouveau Front populaire.

[7] Voir le sondage IFOP du jour même de l’événement créditant, selon diverses hypothèses de candidatures, les intentions de vote au premier tour pour Marine Le Pen de 35  %, le suivant, Attal ou Philippe, autour des 20  %, Mélenchon plafonnant à 13  % et l’arrivant Glucksmann à 11  %.

[8] Le Monde du 31 mars

[9] Utilisation de procédures judiciaires pour abattre un ennemi politique. Selon Wikipedia, l’expression lawfare pour guerre juridique est apparue dans le grand public en français lors du procès intenté à JL Mélenchon et à la FI pour "actes d'intimidation envers un magistrat et un dépositaire de l'autorité publique, rébellion et provocation" lors de la perquisition des locaux du mouvement en octobre 2018. Sans rapport avec de quelconques emplois fictifs d’assistants parlementaires, contestée en cours d’investigation et non comme ici une fois le jugement rendu, la perquisition avait néanmoins lieu dans le cadre d’une enquête pour soupçons d’irrégularités dans la campagne présidentielle de 2017 du Front de gauche. Cette intervention a certes donné lieu à une campagne de soutien à LFI contre une « justice politique », mais le procès a abouti au tribunal de Bobigny, le 9 décembre 2019, à une peine de trois mois de prison avec sursis et amende de 8000 €, contre laquelle il n’a pas été interjeté d’appel (voir aussi sa relation par Mediapart).

[10] Hélas, cette campagne est alimentée à gauche par qui se plaît, tel l’estimé Alain Lipietz chez les Verts ou Raphaël Glucksmann à Place publique pour ne pas mentionner le PS, à portraiturer le tribun en personnalité la plus détestée de France à la faveur de sondages, qui pourtant le placent avec constance à 13  % d’intentions de vote au premier tour, loin derrière M. Le Pen, mais devançant les concurrents potentiels qu’ils rêvent de lui opposer dans une primaire à laquelle il a, à tort ou à raison, toujours refusé de se plier.

[11] Le dernier livre de l’historien Johann Chapoutot, Les irresponsables, illustre à merveille les illusions des formations libérales de la république de Weimar à accepter de remettre en janvier 1933 les rênes du gouvernement à un parti nazi en perte de vitesse électorale, lequel les mit immédiatement hors-jeu.

[12] Ceux qui y ont accès trouveront sur le groupe WhatsApp « Union populaire – débats et formations » les scories de ce débat… et les identités des interlocuteurs que j’anonymise ici pour atteindre un public moins directement partie prenante.

[13] Pour une définition convenable de la notion d’État de droit, consulter Wikipedia. Noter l’emploi ici du terme de « citoyen » au sens large, incluant tous les résidents d’un territoire, indépendamment de leur nationalité ou titre de séjour, traditionnellement tenus à l’observation des lois en vigueur.

[14] Contrairement à ceux du « parquet » ou ministère public, les magistrats du « siège », les juges, ne sont pas en France soumis à la hiérarchie du garde des sceaux ou ministre de la Justice et sont inamovibles. Ils sont comme les premiers désignés par le Président de la République sur recommandation du Conseil supérieur de la magistrature. En Suisse, les juges fédéraux sont nommés par le CF, et les cantonaux directement par les citoyens.

[15] J’ai marginalement, et pour la petite histoire, tiqué quant au bien-fondé sémantique de juxtaposer ces deux adjectifs, alors que les femmes font évidemment, tout comme les hommes, partie du peuple et qu’aucune fraction de ce dernier ne saurait s’arroger de parler au nom de l’ensemble, quel que soit la noblesse du sentiment de lui rendre spécifiquement hommage.

[16] Voir ce qui en est dit sous https://tinyurl.com/2ahetecv.

[17] Dans la célèbre brochure « le 18 brumaire de Louis Bonaparte » publiée en 1852 sous forme de série de chroniques. 

[18] Bolchévik auteur, avec Préobrajenski, du célèbre manuel L’ABC du communisme, écrit au cours de l’année 1919, en pleine guerre civile, période de trois ans, dite rétrospectivement « communisme de guerre », où Trotsky dirigea énergiquement l’Armée rouge, finalement victorieuse. Cette période a pris fin en 1921, lors du tournant de la nouvelle économie politique (NEP), alors que le même Boukharine achevait la rédaction de « La Théorie du matérialisme dialectique ».  Il a fini, après s’être rallié, tragiquement exécuté sous Staline lors du 3ème procès de Moscou en 1938.

[19] De l’« anti-Dühring » au recueil inachevé de la « Dialectique de la nature ».

[20] Voir le chapitre qu’y consacre Jean-Pierre Potier dans Lectures italiennes de Marx : 1883-1983. © Presses universitaires de Lyon, 1986, p. 136.

[21] Le 18 mars 1921, voir le récit de l’issue qui a clôturé le « communisme de guerre » dansWikipedia.

[22] Voir la bouleversante recension de l’œuvre de ce révolutionnaire et écrivain trop méconnu sous https://tinyurl.com/2br6sy6g.

[23] Intitulé « Les intellectuels ex-révolutionnaires et la réaction mondiale », sa première parution date du 11 mars 1939. Il a été difficile à dénicher et à déchiffrer, mais en voilà la reproduction pour vérification.

[24] Qui y répliqua le lendemain (voir https://tinyurl.com/255mqsav) dans une lettre où il se distancie des propos « injurieux ou blessants » de ce dernier et persiste dans son analyse que le bolchévisme dégénéré est une « corruption du marxisme ».

[25] La démonstration de l'« incomplétude des principes mathématiques » par le logicien Kurt Gödel, à Vienne, remonte au 17 novembre 1930, avant son émigration aux USA, une paranoïa maladive, de nouvelles découvertes et son enseignement à Princeton, son éclipse dès les années 50 et son suicide en janvier 1978. Malgré la considération qu’elle vaut à ses pairs de plus formidable conquête de l’entendement humain depuis l’antiquité, cette démonstration, déjà rendue suspecte par Wittgenstein, ne fait toujours pas l’unanimité. Elle serait entachée, selon la conférence récente de Paul Jorion et Yu-Li, de plusieurs biais et maillons faibles tels que l’utilisation de l’argumentation a contrario, de la récurrence et surtout de la confusion platonicienne entre l’énoncé d’une proposition sur un objet mathématique et l’objet lui-même. J’avoue mon incompétence pour trancher dans une controverse faisant encore les beaux jours des congrès de logique mathématique.  

[26] On sait depuis Cantor, parti du fait que l’ensemble des nombres réels, contrairement aux nombres rationnels ou algébriques, n’est pas énumérable, qu’il existe une infinité ordonnée d’infinis différents. 

[27] Où l’on voit que l’héroïque confiance en un marxisme prophétique, si elle a bien servi l’exceptionnel courage de Trotsky, y compris physique, dans l’adversité, place ses convictions scientifiques très loin du doute méthodique propre à la démarche scientifique et de l’indécidabilité intrinsèque des systèmes logico-mathématiques les plus rigoureux.

[28] Cité dans https://bit.ly/430JKp2, citation sous https://tinyurl.com/288oy3xj.

[29] Victor Serge a écrit en mars 1939 un article intitulé « Puissance et limites du marxisme », où, loin d’en croire l’influence obsolète, il se bornait à une critique de sa version abâtardie par la contre-révolution bureaucratique soviétique et affirmait que le marxisme lui survivrait, car « l’esprit de liberté est aussi nécessaire au marxisme que l’oxygène aux êtres vivants ».

[30] Cette postface du 9 juin 1939 à Leur morale et la nôtrese termine par les mots « Que ces porteurs d'infection aillent inoculer les normes de la morale à Hitler, Mussolini, Chamberlain et Daladier. » Quant à nous, le programme de la révolution prolétarienne nous suffit. »

[31] Sur ce sujet, il convient de s’inspirer du livre Violence et civilité et des commentaires parus.

[32] Le 1er janvier 2007 a vu entrer en vigueur, après plus de vingt ans de processus législatif, une refonte complète de la partie générale du code pénal suisse mise en chantier depuis 1983 et traitant des sanctions.  A disparu la mention suivante du Code pénal suisse (État le 19 décembre 2006)indiquant à son article 51 « 1. Le juge déclarera incapable de revêtir une charge ou une fonction officielle, pour une durée de deux à dix ans, le magistrat ou le fonctionnaire qui, coupable d’un crime ou d’un délit, se sera rendu indigne de confiance. » Les objectifs de cette refonte des peines devaient, selon le message duCF de 1998, «  à la fois favoriser l’amélioration des auteurs d’infractions susceptibles de se corriger et mettre hors d’état de nuire les délinquants impénitents ou incurables  ». Elle suivait l’adoption en 1982 en votation populaire d’une révision partielle engagée suite à des interventions parlementaires requérant plus de sévérité dans la « répression des actes de violence et de terrorisme » (cf. https://tinyurl.com/2czrv6yw), qui suscita des résistances du camp de la gauche. En revanche, le contexte politique de la suppression ultérieure de l’inéligibilité dans le CP 2007 m’échappe. Si quelque pénaliste pouvait nous éclairer, il ferait œuvre utile.

 [33] Contrairement à d’autres incapacités entraînant la privation des droits civiques, dans les cas qui nous occupent, la sanction d’inéligibilité prévue par le code pénal est toujours limitée dans le temps, à cinq ou parfois dix ans, selon la gravité des infractions. Il est piquant de savoir que Marine Le Pen, toujours prête à aggraver le sort d’autres qu’à son camp, en avait réclamé au Parlement l’extension à la perpétuité pour les condamnés pour faits de terrorisme.

[34] « L’avenir en commun » est le nom de la plateforme programmatique des Insoumis.

[35] La Haute Cour réunit l'Assemblée nationale et le Sénat.

[36] N.B. Elle est selon la jurisprudence actuelle automatique pour les mandats locaux.

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