L’entre-deux du néant au néant
L’histoire défile dans l’entre-deux, d’une vie éphémère, de quatre vingts années. Johannes se réveille, comme tous les matins dans sa petite île d’Holmen : « (…) il va y aller, se rouler une cigarette, mettre la bouilloire sur le feu et se préparer quelque chose à manger, une tartine avec du fromage de chèvre, comme les autres jours ».
Johannes ne comprend pas : « mais qu’est-ce que c’est que ça ? Il y a bien sûr les rituels. L’habitude du quotidien ressemble au comportement de Johannes, pêcheur à la retraite, mais avec quelque chose de différent. Pourquoi ses doigts sont en train de bleuir ? Son ami Peter, pêcheur lui aussi, qui était là sur la grève, où s’était-il fourré ? : « non, non, qu’est-ce que c’est que ça ? C’est quand même bizarre ».
L’ami Peter revient sans crier gare. Il dit à Johannes : « tu reverras la vieille mademoiselle Pettersen. Et il semble à Johannes que Peter le regarde d’un air coquin et Johannes se dit que là il exagère, Peter, car ça fait au moins un an qu’elle est morte (…) ». C’était la meilleure cliente de Peter. Il lui réservait les plus beaux crabes. D’ailleurs, ce Peter n’est-il pas mort aussi ?
Jon Fosse avec « Matin et soir » est le maître de cérémonies d’une crémation des mots. Pour lui la mort c’est nulle part, il n’y a pas de danger, car il n’y a pas de mots. Son écriture est limpide, rien ne vient troubler le récit. Sa simplicité est douce, comme Un cœur simple de Flaubert*, nous retrouvons aussi, dans un genre différent, le mystère de Tarjei Vesaas (1897-1970) auteur norvégien, comme Jon Fosse. Le tout donne à son roman « Matin et soir », la force des grandes écritures.
L’ambition théâtrale d’Antoine Caubet dans sa mise en scène est triple : voix, violoncelle, lumière. Le texte est ressenti physiquement par les mémoires sensorielles et affectives des comédiens (Pierre Baux et Antoine Caubet) et de la jeune comédienne Marie Ripoll, par les couleurs du temps de vie que joue Vincent Courtois au violoncelle. Par le plateau flottant au-dessus d’une eau stagnante qui nous rappelle que nous sommes sur une île. La lumière accompagne ( Antoine Caubet & Romain Le Gall Brachet) les apparitions et disparitions, le temps qui passe de jour comme de nuit. Tout cela est fort réussi. Le public est ému. Chut ! Il n’y a pas à dire un mot de plus.
*Flaubert (1821-1880)
**Tarjei Vesaas (1897-1970)
Jon Fosse, né Norvège en 1959, est un auteur prolixe qui a reçu de nombreux prix, dont le prix Ibsen et le prix européen de littérature. Romancier, essayiste, poète, traducteur, il a écrit plus d’une vingtaine de pièces de théâtre, dont Le Nom, Un jour en été, Quelqu’un va venir, Variations sur la mort, Je suis le vent... Le Manuscrit des chiens III est sans doute sa pièce jeune public la plus connue. Son théâtre est traduit dans une quarantaine de langues et joué sur tous les continents, notamment en Europe. Il est aujourd’hui considéré comme l’un des plus grands dramaturges vivants.
MATIN ET SOIR
jusqu’au 24 février 2019
du mardi au samedi à 20h, le dimanche à 16h
traduction de Terje Sinding (Editions Circé)
adaptation, scénographie et mise en scène Antoine Caubet
assistante Marlène Durantau, travail du corps Cécile Loyer (chorégraphe), lumière Antoine Caubet & Romain Le Gall Brachet, son Valérie Bajcsa, costumes Cidalia Dacosta, maquillages Magali Ohlman, vidéo & photographie Hervé Bellamy, construction des décors Éric den Hartog et Antonio Rodriguez, régie générale Romain Le Gall Brachet
violoncelle, composition, interprétation Vincent Courtois
avec Marie Ripoll, Pierre Baux & Antoine Caubet
Théâtre de l’Aquarium
La Cartoucherie
route du Champ de Manœuvre
75012 Paris
01 43 74 72 74
du lundi de 15h à 19h
du mardi au vendredi de 10h à 13h et de 14h à 19h