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Billet de blog 9 janvier 2016

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Un beau ténébreux de Julien Gracq

«  Un beau ténébreux », le roman de Julien Gracq, adapté pour la première fois au théâtre par Matthieu Cruciani, à La Comédie de Saint-Étienne

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Dans le roman de Julien Gracq, Un beau ténébreux, la vie laisse son empreinte dans le sable d’un pays de légende, à la marée du temps d’un soleil couchant ; point d’arrivée d’un voyage sans retour.  Sur les côtes de Kérantec, la mer, la mer toujours recommencée comme poétisait Paul Valery*. Une mer musicienne qui fait danser les ajoncs, aux notes des vagues, dans le vent baryton. C’est dans cette ambiance bretonne que de riches estivants passent leurs vacances, au Grand Hôtel des Vagues. Ces jeunes oisifs trompent l’ennui entre la baignade en mer, le badminton, le golf, et les soirées dansantes au casino. Un couple mystérieux, Dolorès et Allan, arrive peu après. À la façon des Amants de Montmorency du poème d’Alfred de Vigny** ; ils vont révéler, à cette jeunesse, un conte séduisant et terrible. 

Matthieu Cruciani ose rendre visible au théâtre l’adaptation du roman de Julien Gracq Un beau ténébreux. Il nous donne ses raisons et nous avertit  que : « Porter un roman de Gracq à la scène ne peut être innocent ni naïf ». Si, comme on peut le lire dans la note d’intention, les choses se font, dans la nature et l’homme, via la perversité, la question de cette déviance doit se poser. Il ajoute :

 Ce que je cherche n’est ni mélancolie, ni nostalgie. C’est, par exemple, tenter de comprendre cette poussée de désir, cette étonnante vivacité, cette liberté de pensée, de forme, ce sourire d’après la catastrophe qui a jailli dans l’immédiate après-guerre, en 1945, quand paraît Un beau ténébreux.

Il y aurait donc dans l’écriture de Gracq un pouvoir émancipateur, une puissance structurante du rêve, du mystère. En portant un texte non théâtral au théâtre, le metteur en scène cherche le rêve actif. Du désir et de la vitalité dans le corps et l’esprit. Deux heures de vie pour parler plus simplement.  Le programme est ambitieux. Mais rêvons-nous vraiment ? Le temps est-il appréhendé sous tous ses angles ? Pour voir le roman se muer en théâtre, il faudrait rendre la littérature à la vie justement. Or, cette vie « rêvée » est entravée de mots loin de l’image que projette le rêve. Les projections d’une vidéo ne suffissent pas. C’est dans les corps, les situations et les actions que cela est possible théâtralement parlant. Dans ce que nous voyions, le texte de Gracq se bat contre le théâtre.

 Lire Gracq n’est pas un ennui ou un travail. Ses livres se dévorent. Nous dévorent.

Si, comme le dit fort justement Matthieu Cruciani, le roman nous dévore, l’adaptation scénique qu’il nous propose fait un rejet  dramaturgique. L’alchimie scènes monologues ne fait pas un rêve actif ; même si le théâtre apparaît dans les partitions jouées.  Cela tient plutôt d’un tour de magie où nous verrions le truc.

 L’histoire ensuite, étrange et comme suspendue, reste toujours dynamique, haletante, passionnante. C’est tout à la fois une tragédie grecque, un drame intimiste, un puissant opéra, un conte diabolique et un roman hanté.

Certes, mais une tragédie n’est-elle pas terreur et pitié ; où la catharsis agit sur le public ? Nous n’avons pas vu, hélas, sur le théâtre ce que le roman nous donne à imaginer. Le puissant opéra, le drame intimiste, le conte diabolique en devenant théâtre a perdu de ce que promet le roman hanté. Peut-être que l’invitation à l’onirisme a trompé ce qui se regarde aisément, mais ne fait pas rêver.

Pour cette adaptation Matthieu Cruciani retrouve ses  artistes associés  : Émilie Capliez, Pierre Maillet et Sharif Andoura. La distribution a des hauts et des bas. Manuel Vallade n’a pas toute la maitrise d’un beau ténébreux qui n’a rien à perdre. Son jeu nerveux et trop en force va contre la séduction et la passion que devrait susciter Allan. Clara Bonnet cherche bien trop loin, l’interprétation de la jeune fille qu’elle est. Sharif Andoura incarne avec brio le narrateur et son rôle. Émilie Capliez a trouvé la simplicité de la jeune mariée troublée. Pauline Panassenko, quant à elle, n’a rien à changer au  mystère et  à l’aura qu’elle donne à la belle Dolores. Malgré l’argumentation réservée, ce « beau ténébreux » ne doit pas être boudé. Ne serait-ce que pour l’audace du pari. 

* Poète (1871-1945)

** Poète (1797-1863) 

Un beau ténébreux

de Julien Gracq

adaptation et mise en scène Matthieu Cruciani

avec Sharif Andoura, Clara Bonnet*, Émilie Capliez, Frédéric de Goldfiem,  Pierre Maillet, Maurin Olles*, Pauline Panassenko*, Manuel Vallade

dramaturgie Yann Richard

scénographie Marc Lainé

lumière Bruno Marsol

son Clément Vercelletto

vidéo Jean Antoine Raveyre

costumes Véronique Leyens

régie générale Arnaud Olivier

décors et costumes Ateliers de La Comédie de Saint-Étienne

La Comédie de Saint-Étienne 

Centre dramatique national
7, avenue Émile Loubet
42048 Saint-Étienne cedex 1

Administration :  +33 (0) 4 77 25 01 24
Billetterie : +33 (0) 4 77 25 14 14
Fax : +33 (0) 4 77 41 96 34

http://www.lacomedie.fr/index.php/fr/

Le texte est publié aux Éditions José Corti

Photo © Jean-Louis Fernandez

* Issus de l’École de La Comédie de Saint-Étienne

Création à La Comédie de Saint-Étienne du mar. 5 au sam. 9 janvier 2016

Et en tournée 2016

2 et 3 février 2016 Centre dramatique national de Haute-Normandie, Rouen

10 février 2016 Le Dôme Théâtre, Scène conventionnée d’Albertville

du 10 au 13 mars 2016 Les Ateliers, Lyon - en coréalisation : Célestins, Théâtre de Lyon, Théâtre Nouvelle Génération - Centre dramatique national

Festival Théâtre en mai du 27 au 29 mai Théâtre Dijon Bourgogne – Centre dramatique national

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