©Lucie Jansch
Du côté de chez Bob
Le prologue (qui n’existe pas dans la pièce) est muet, comme si l’interprétation de l’action était à notre guise. Free jazz endiablé, rafales de mitraillette, nègres arrêtés dans leur course, devenant les spectres d’un monument Dogon.
La géométrie de la scénographie de Robert Wilson est sur trois niveaux : au premier niveau le catafalque sacrificiel, au second un escalier qui mène au tribunal, et au troisième une haute estrade à la manière bar promenoir façon Alcazar* où trône la reine blanche.
Nous sommes bien du côté de chez Bob, les couleurs, les personnages maquillés ou masqués, habillés de strass et de lumière. La musique, les guirlandes en volutes barbelées, les néons qui souligne le dessin des perspectives horizontales et verticales. Le clap de début ou de fin pour identifier les scènes. Tout est là pour envoyer au diable le naturalisme !
Une magie qui mettrait à mal ses secrets ?
La beauté scénique est la marque de fabrique de la « maison Wilson », c’est à chaque fois un enchantement, un tableau de maître signé de son nom. Alors y a-t-il un souci ? Pas vraiment, juste une interrogation sincère : avons-nous vu Les nègres de Genet ? Parlons-en.
The Old Woman (durant le 42e festival d’automne en 2013) nous avait ravi, tant la concordance du texte, les situations, les actions et la dramaturgie atteignaient le point culminant essentiel au théâtre. Mais avec Les nègres Bob fait du Wilson : il crie trop fort, joue trop aigu, fait le funambule sur le point de fuite, tombe, et la magie met à mal ses secrets. Le jeu de rôles s’amoindrit et le théâtre dans le théâtre fait un rejet de mise en scène. La raison ? Nous n’entendons pas l’histoire (abondance de biens nuit parfois), la pièce ne nous parvient qu’à de rares moments. La beauté et le talent de la troupe ne peuvent être le palmier qui cache la forêt de l’exotisme.
Alors qu’avons-nous vu ? Un beau spectacle certainement, mais un tantinet éloigné de la réalité de la pièce : ne devrait-elle pas naitre d’un faux rituel ludique ? De l'imitation nègre/blanc, blanc/nègre ? En un mot du va-et-vient personnage / texte / comédien noir / public blanc ? La dramaturgie ne devrait-elle pas être entre l’impossible et le rêve ? Il est vrai que Les nègres n’est pas la pièce la plus évidente de Genet. L’auteur ne juge pas le colonialisme, mais la noirceur de l’humanité. Il pose seulement la question : qu’est-ce qu’un noir ? Les nègres, c’est aussi des comédiens noirs qui à travers les figures de la Cour blanche, jouent l'image et les clichés que les Blancs se font d'eux. L’ironie du sort est qu’ils finiront, par un effet miroir, nègres ou blêmes à broyer du noir.
En conclusion, nous pouvons dire que nous avons vu du bon music-hall, mais peu ou prou la clownerie prôner par Genet.
*Jean Genet (1910-1986)
*Cabaret parisien ouvert en 1968
LES NÈGRES
de Jean Genet
mise en scène, scénographie, lumière Robert Wilson
création
dramaturgie Ellen Hammer
collaboration artistique Charles Chemin
collaboration à la scénographie Stephanie Engeln
costumes Moidele Bickel
collaboration à la lumière Xavier Baron
musique originale Dickie Landry
avec
Armelle Abibou
Astrid Bayiha
Daphné Biiga Nwanak Bass Dhem
Lamine Diarra
Nicole Dogué
William Edimo Jean-Christophe Folly Kayije Kagame
Gaël Kamilindi
Babacar M'Baye Fall Xavier Thiam
Charles Wattara
Logan Corea Richardson Dickie Landry
La Reine Bobo Neige Diouf
Le Missionnaire Félicité
Le Gouverneur Le Valet
Vertu
Village
Ville de Saint-Nazaire Le Juge
Archibald Saxophoniste Saxophone enregistré
production Odéon-Théâtre de l'Europe
coproduction 43e Festival d'Automne à Paris, Théâtre National Populaire – Villeurbanne, deSingel cam- pus des arts international – Anvers, Festival Automne en Normandie, La Comédie de Clermont- Ferrand scène nationale
avec le soutien du Cercle de l'Odéon et de LVMH avec le Festival d'Automne à Paris
Théâtre de l’Odéon
Place de l'Odéon
75006 Paris
Par téléphone : +33 1 44 85 40 40
du lundi au samedi de 11h à 18h30 (sauf jours fériés)
http://www.theatre-odeon.eu/fr
3 octobre - 21 novembre 2014