
Entre avril et août 1873, Rimbaud écrit Une saison en enfer, après son exil londonien et sa blessure par balle que lui infligea le compagnon d’enfer Verlaine. Le temps où sa vie était un festin est maintenant derrière lui. Il est revenu de cette beauté qu’il trouve amère et qu’il injurie.
Si le Mauvais sang lui donne « l’œil bleu blanc » de ses ancêtres, pour autant, il ne trouve pas sa place dans cette vie sociale. Il se dit esclave de son baptême. Et l’enfer ne peut attaquer les païens. La clef de la charité n’ouvre que la porte du rêve. Il lui faudra alors se faire voyant dans l’hallucination simple d’un poète ; et s’évader avec en poche deux sous de raison. Mais être en Occident par l’esprit l’empêche d’être comme il veut. Il doit retourner à l’Orient « la sagesse première ». Le tout dans une minute d’éveil pour trouver la pureté. Rimbaud voit tout le monde en ecclésiaste moderne. Chaque individu aurait sa propre religion et cela lui pose question d’une éternité perdue. Hélas! la science ne va pas assez vite pour lui. Le travail serait-il ce qui éclaire son abîme ? Cependant il lui reste un espoir, la marche des peuples.
Avec une saison en enfer, Arthur Rimbaud nous livre, dans son carnet de damné, la connaissance du « Je est un autre ». Cet autre est aussi ce lecteur que nous sommes, qui prouvons avec lui, dans l’inspiration silencieuse de la lecture, qu’il a rêvé le poème pour le vivre au réveil dans sa réalité.
Pour ce qui est du « spectacle » d’Ulysse Di Gregorio, nous n’avons pas vu l’expérience intime du texte qu’il aurait voulu rendre sur scène. Est-ce la référence à la Divine Comédie de Dante, qui nous a laissés loin de « : l’ascension et le renouveau de l’âme ? ». Pourtant dans les fumerolles d’un cratère volcanique, il y avait matière à un bon début, mais le combustible, qui à jamais, devait garder la brûlure dans l’esprit du public, n’était qu’un feu de paille.
Jean-Quentin Châtelain, « l’instrument » qui donne corps à cette expérience, dès son apparition donne un mot-à-mot enlisé d’une lenteur injustifiée. Est-ce cela transmettre le mouvement, le rythme et les aspirations du poème ? L’alchimie du verbe de Rimbaud a dilué la vieillerie poétique, dans une mer mêlée au soleil, pour trouver l’éternité dans la résolution d’être moderne. Or, l’obstination de la mise en scène a oublié le présent théâtral. Pour le coup le « Je est un autre » nous est apparu en un personnage qui tiendrait d’un roi mage oriental, tout droit sorti d’un conte ancien.
Jean-Quentin Châtelain, que l’on a connu plus inspiré, du haut de son immobilité (toute la durée du spectacle) ne sort que trop rarement de cette gangue imposée, pour nous livrer, l’excellence de ce texte éternel.
Ce que nous avons vu hier tenait de l’alibi « une saison en enfer » par un metteur en scène fantasmant Dante, en lieu et place d’une grande poésie, alors qu’il suffisait de nous donner l’émotion secrète d’une âme et d’un corps par le dire, plutôt que par le jeu.
Disons-le encore avec René Char : Rimbaud le poète, cela suffit, cela est infini.
* René Char (1907-1988) Poète
**Chez Gallimard
*** Arthur Rimbaud (1854-1891) Poète
Une saison en enfer d’Arthur Rimbaud
Mise en scène Ulysse Di Gregorio
Avec Jean-Quentin Châtelain
Costumes Salvador Mateu
Scénographie Benjamin Gabrié
1H15 / Du 8 Mars Au 6 Mai 2017
LUCERNAIRE
53 RUE NOTRE-DAME-DES-CHAMPS
75006 PARIS.
TÉL : 01 42 22 66 87