
La sirène, à l’heure de midi, sonne les chants des absents. Disparus ces cueilleurs de perles rouges : « noyés dans une noyante noyade ». Perles funèbres d’une centaine d’âmes, parmi les plus pauvres des pauvres, que le lac a avalées depuis cinq ans. Un lac de peines surnommé « Le Loque » comme luck du mot anglais chance, mais dans un sens négatif comme ne pas être lucké. Pierre-Aimé et sa sœur Philomène, vivent près de ce lac de pêcheurs de perles.
- « Un jour je vais être lucké. j’vas trouver plusieurs perles, devenir riche » disait Azarias leur père, la peau parasitée de minuscules coquillages qui se sont incrustés dans la chair, avec trop années sous l’eau. Faut dire que ces perles sont uniques. À tel point qu’elles donnent une année de salaires en bonus, et plus encore si on les vend au marché noir. Un jour, il en trouve trois. Pas question de les donner au patron. Il les cachent dans son ventre. C’est la richesse qui va sortir des ses fesses, comme il dit. Un soir il s’est vanté d’avoir trouvé une perle, et s’est fait embarquer par deux agents privés de la compagnie des perles. Ils l’ont abattu d’une balle dans la tête. C’est alors que leur mère Rosée-Année s’en va, à son tour, à la quête de la perle rare. Hélas d’hélas ! comme on dit en français canadien. Elle aussi s’est noyée dans une noyante noyade. Deux morts en si peu de temps, c’est comme des FO TO MO pense Pierre-Aimé : « comme si on mélangeait les images de la vraie vie et avec d’autres en dedans de nous en écho avec des mots qui tournent en rond ».
Tout l’argent des deux perles restantes a été écoulé. Enivrée de l’eau de ce maudis lac, Philomène s’engage comme plongeuse de perle. Mais le « Le Loque » est un dévoreur de famille. Au fil du temps Philomène devient une femme « tortue ». Elle aussi a la peau parasitée de minuscules coquillages. Va-t-elle aussi se noyer comme sa mère ? Sa jambe est prise en étau par une huître géante, son rêve de richesse. Pierre-Aimé découvre l’invention de la Scaphandrière. Il s’immerge dans le Loque pour sauver sa soeur. À cet instant, tout devient hallucination. Une épave éventrée expulse une forme spectrale qui prend Philomène par la main. Reviendra-t-elle des eaux profondes ?
Toute cette histoire, comme une fenêtre sur le monde, a été photographié, à chaque instant, par Philomène. La Scaphandrière de Daniel Danis est donc un photo-récit, narré par une écriture affective et sensorielle, qui fleure bon le son et le goût des mots, écrit à l’encre d’une prose poétique et imagée.
Le théâtre de Daniel Danis se lit comme une nouvelle qui vous prend de bout en bout et ne vous lâche pas. Et, ça ne gâte rien de le dire, nous charme de ses expressions, dans un français canadien de haute qualité.
Extrait
J’ai écrit à la surface d’un miroir les lettres : LA FO TO MO. La faute aux mots ou la photo-mot, comme un photo-récit. Je trouvais ça original. Comme dans ma tête, une chambre noire traversée d’images et, dans mon cœur, chambre rouge où circulent les mots.
Daniel Danis naît à Hull en 1962. Après avoir passé son enfance en Abitibi et son adolescence à Québec, il part pour Haïti en tant que missionnaire laïque. À son retour, il s’intéresse à la danse, puis à l’art dramatique. Sa première pièce, Celle-là, se voit attribuer en 1993 le Prix de la critique de Montréal, le Prix du Gouverneur général du Canada et, en 1995, le Prix de la meilleure création de langue française du Syndicat Professionnel de la Critique Dramatique et Musicale de Paris. Les textes qu’il écrit par la suite se méritent à leur tour de nombreux prix et Daniel Danis obtient rapidement une reconnaissance internationale. Daniel Danis est aujourd’hui l’un des dramaturges québécois les plus joués à l’étranger.
La scaphandrière / L’enfant lunaire (2012)
Daniel Danis
L’ARCHE Éditeur
86, rue Bonaparte
75006 Paris
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