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Tarjei Vesaas1 est une découverte récente pour Claude Régy. Cet écrivain norvégien, disparu en 1970, dit qu’il est important, quand on écrit, de ne pas écrire complètement. À l’évidence la phrase pourrait avoir la même force, avec le mot théâtre, de ce que l’on ne peut pas où ne veut pas exprimer. La confluence, de cet art et de l’écriture, ferait lien dans un inconnu, à l’extrême du rationalisme. Il y aurait alors un espace où le spectateur et le lecteur pourraient continuer à créer, ce que l’artiste a suscité dans une œuvre artistique. Prolonger en quelque sorte le lecteur ; donc au théâtre le spectateur, nous dit Claude Régy. Tarjei Vesaas ne dit pas autre chose que le poète Georg Trakl2, une autre découverte récente de Claude Régy. Les deux heureuses trouvailles, du grand metteur en scène, touchent à l’insaisissable, à la matière fondamentale du théâtre, qui serait selon lui, le silence.
(…) Les vrais livres doivent être les enfants non du grand jour et de la causerie, mais de l'obscurité et du silence.
Cette phrase de Marcel Proust3 n’est-elle pas l’écho du « sombre silence » de Trakl ?
Si le silence est fondamental, rien n’est plus parasite que la paresse, au théâtre. Claude Régy sait qu’il n’y a ni folie, ni absurdité, ni provocation, quand on lutte contre la paresse, aux frontières ultimes de l’esprit. Sur les territoires inexprimables, l’homme de théâtre entre en guerre contre cette facilité que pourrait avoir le public, d’où la recherche permanente, chez Claude Régy, du prolongement créateur dans l’imagination du spectateur.
La scène est un lieu voisin de la mort. Jean Genet
Quand nous lisons le texte « du régal pour les vautours », nous savons que Claude Régy ne choisit aucun symbole au hasard ; nous sommes donc en droit de penser que le vautour n’est pas plus nécrophage que ne l’est ce grand homme de théâtre.
Nous pouvons donner toute raison à l’hypothèse que « le cadavre » d’une représentation théâtrale terminée, est le régal consommé du metteur en scène, offert à son public. Ne fait-il pas, ainsi que le vautour, disparaître toute idée de mort, lorsque les comédiens viennent saluer, bien vivants, à la fin de Titus Andronicus qui nous le savons, est une des pièces les plus meurtrières de William Shakespeare4. Si le premier, est un charognard naturel essentiel à la bonne santé de tous les êtres vivants de notre planète. Le second, se nourrit de l’absence dans le mystère de ce qui arrive, et de ce qui n’arrive pas. Ainsi, les deux se régalent d’une entité : la mort. Dans une logique d’égale destinée.
Mais Claude Régy nous avertit :
« Ce voisinage du théâtre et de la mort - présent au Japon dans la tradition du théâtre nô et plus récemment dans le butô - est très important pour moi, parce qu’on pense que c’est à cause de mon âge et de la proximité de la mort que je suis comme obsédé par la mort dans mes spectacles. Ce n’est pas du tout vrai. Simplement je pense, comme Genet5, que la mort fait partie du théâtre. Qu’on ne peut pas travailler au théâtre si on n’approche pas la mort, si on ne parle pas de la mort, si on ne s’occupe pas de cette énigme absolue que représente la mort. Impossible de réfléchir sur la vie sans réfléchir sur la mort ».
Du régal pour les vautours est la rencontre de l’inconnu et de l’absolu, au-delà de l’exprimable, d’un théâtre à l’écoute du silence, aux antipodes de la frénésie de l’activisme.
1.Tarjei Vesaas (1897-1970)
2.Georg Trakl (1887-1914)
3.Marcel Proust (1871-1922)
À la recherche du temps perdu, le Temps retrouvé, Gallimard
4.William Shakespeare (1564-1616)
5.Jean Genet (1910-1986)
Du régal pour les vautours
Claude Régy
Inclus dans ce volume un film d’Alexandre Barry
©Renaud Monfourny
Les Solitaires Intempestifs
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ISBN : 978-2-84681-475-1
Date de parution : 29-08-2016
Nombre de pages : 96 pages
Collection : Livres-DVD