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Le temps passe, les histoires restent inchangées. La définition du mot émigré suit, depuis la Révolution française jusqu’à nos jours, une mutation inexorable de mal en pis. Que l’on soit émigré, immigré ou migrant, la liberté est toujours bafouée quand l’exil, ordonné par la folie de certaines idéologies nationales, fait l’actualité.
Presque 43 ans après « Les émigrés » nous parlent et semblent encore d’une féroce modernité. Ceux de Mrozek travaillent et vivent dans les décombres du souvenir d’un pays quitté par contestation ou obligation. Ils sont deux. Un ouvrier et un intellectuel. Au soir de la nouvelle année, ils évoquent le pays; et l’alcool fait ressortir de leur infortune, la cruelle réalité de leur pauvre existence.
Ce duo improbable s’enracine l’un à l’autre. Le mensonge, le déni, la colère rentrée, le vol, le souvenir que l’on s’invente, donnent de l’air à leur ténébreuse destinée. Seule une gare rend anonyme un étranger en voyage ou en exil. Ce lieu semble être fait pour se reconnaitre étranger, parmi d’autres étrangers. Contrairement au cliché habituel de l’absurdité supposée du théâtre de Mrozek, nous lisons dans son écriture une tragique lucidité qui surgit du fond de sa propre expérience d’intellectuel polonais. Son théâtre témoigne des injustices de nos sociétés, qui ont atteint à l’universalité du profit, dans l’indifférence d’un monde qui exclut les plus faibles.
La trame de la pièce est d’une redoutable précision. Chaque tableau dévoile l’infortune de nos antihéros. Que ce soit dans les notes d’un écrit qui restera lettre morte, d’un lieu inhabité de mouches, d’argent caché, de chaussures pointues, ou de conserve pour chiens. Tout se déroule comme si une prophétie était prononcée à l’insu des personnages, sans le moindre espoir de salut. La pièce de Slawomir Mrozek judicieusement mise en scène par Imer Kutllovci est admirablement servie par deux grands comédiens, Mirza Halilovic et Grigori Manoukov. Une formidable réussite.
De Slawomir Mrozek
Mise en scène : Imer Kutllovci
Assisté de Ridvan Mjaku
Avec Mirza Halilovic et Grigori Manoukov
Traducteur : Gabriel Meretik
L’Arche est agent théâtral du texte représenté. www.arche-editeur.com
Jusqu’au au 21 décembre 2016
Théâtre de la Reine Blanche
2 bis, passage Ruelle
75018 Paris
du 23 novembre au 21 décembre
Tél : 01 40 05 06 96