Avidya est une auberge, dans le déni d’un monde qui s’en va, supplanté par la plaie d’une nouvelle ligne de chemin de fer qui blesse, à la vitesse du Shinkansen*, les souvenirs des traditions ancestrales. C’est au coeur des montagnes du Japon, dans le bouillonnement de ses sources thermales que se situe cette auberge. Son nom « Mumyô »-Avidya en sanscrit-, désigne le premier des douze maillons** bouddhisme (nidanas), qui signifie « ignorance » ou aveuglement. La rumeur nomme l’auberge Avidya, baignant dans les brumes thermiques de la station, « vallée de l'enfer », et raconte que les esprits qui l’habitent ne peuvent échapper à leur destin. Kurô Tanino, qui a écrit la pièce et signe la mise en scène, considère que c’est le point de départ de toute chose.
Avidya – L’Auberge de l’obscurité est une pièce, d’une rare profondeur humaine, qui nous emporte aux confins merveilleux du surnaturel.
Deux montreurs de marionnettes, un père et son fils, arrivent dans une auberge à vocation thermale. Mais le propriétaire qui les a invité par lettre, à venir présenter un spectacle, est absent. Très vite une vieille dame, qui vit dans une des chambres communes de l’auberge, s’étonne de leur présence et de leur bizarrerie. Le fils lui semble particulier, et la trouble, d’autant plus que son père est un nain. Au fil du temps, nos deux « étrangers » font la connaissance des habitués de l’auberge. Tous souffrent de problèmes de santé. Il y a dans la maisonnée : un aveugle qui espère voir avec « les yeux du coeur », une geisha qui aspire à enfanter, et un Sansuke*** qui gère la station thermale.
Après une forte demande des curistes, les marionnettistes acceptent de présenter une partie du spectacle. La représentation réveille une marionnette, difforme et démoniaque, qui agit sur l’intériorité des habitants de l’auberge.
Cet hommage de Kurô Tanino au Japon profond de ses ancêtres, est à la façon du théâtre Élisabéthain, plein de bruits sensuels et de fureur naturelle, délicatement porté par la voix d’une narratrice (peut-être l’auberge elle-même ?). Cette pièce est brillamment interprétée par une troupe de formidables comédiens : Mame Yamada, Takahiko Tsuji, Ichigo Iida, Bobumi Hidaka, Atsuko Kubo, Kayo Ishikawa, Hayato Mori. Dans une mise en scène efficace, d’un conte moderne, qui nous fait tourner la tête dans un inoubliable manège****, et nous enivre de la résonance émotionnelle du surhumain.
Tous nos remerciements à la Maison de la culture du Japon, qui chaque année nous ravit par une programmation de qualité, à l’exigence jamais démentie. Nous souhaitons que la MCJP et le Festival d’Automne, en partenariat avec d’autres théâtres, aient, dans un proche avenir, l’opportunité de donner aux artistes japonais la possibilité d’être vus plus longtemps, car le temps est trop court, pour qu’une partie du public soit privée de leur généreux talent. Voilà pour nos humbles desiderata.
* Train à grande vitesse
**Les douze maillons (nidanas) de la coproduction conditionnée représentent l'application du principe philosophique du bouddhisme général d’une loi universelle au processus de renaissance.
*** Sansuke personne qui exerce dans les bains publics, à l’époque Edo (1600)
**** Le décor est une plateforme tournante
Avidya – L’Auberge de l’obscurité
Texte et mise en scène Kurô Tanino
Compagnie Niwa Gekidan Penino
Avec Mame Yamada, Takahiko Tsuji, Ichigo Iida, Bobumi Hidaka, Atsuko Kubo, Kayo Ishikawa, Hayato Mori
Lumières Masayuki Abe
Son Koji Sato, Yoshihiro Nakamura
Narration Ritsuko Tamura
Musique Yu Okuda
Présenté en septembre 2016 à la MCJP
Maison de la culture du Japon
101 bis quai Branly
75015 Paris