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Billet de blog 24 mai 2016

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Une Mouette pour le temps présent, au théâtre de l’Odéon

Tchékhov, lors d’une répétition de La Mouette en 1896, expliquait aux acteurs que l’essentiel était d’éviter le théâtral. Que tout devait être simple. Thomas Ostermeier a bien entendu le message. Sa mise en scène évite, dans la mesure du possible, le théâtral ; avec une scénographie réduite à sa plus simple expression.

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Illustration 1

Une boîte grise avec, à fleur du premier rang, une estrade en bois. Sur la paroi du lointain une image du camp de Sakhaline ; un lieu infernal qui a imprégné à jamais, Anton Tchekhov (1860- 1904), d’une autre vision du monde et des hommes. Les comédiens, spectateurs de l’activité du public qui s’installe, sont tous en scène.  Jusque-là, rien de nouveau. Il y a deux micros, une guitare électrique, le plein feu dans la salle. Là aussi, rien de novateur. Pause silencieuse. Ça commence. 

La peintre Marine Dillard entre en action, et dessine sur la paroi du fond de scène des volutes,  avec trois nuances sombres, du gris jusqu’au noir. C’est bien le début de la Mouette, chef-d’oeuvre du dramaturge russe. Le personnage de l’instituteur Medvédenko, parle dans le micro, et demande à Macha : « pourquoi elle porte toujours du noir ? ». Puis nous raconte, dans une pure digression, l’histoire d’un « médecin-taxi » Syrien migrant d’un pays atteint de folie. Nous voilà dans le rendu contemporain, le fameux présent du théâtre, par l’improvisation. Leitmotiv du metteur en scène Thomas Ostermeier ; adepte de la méthode Meismer et de l’action réaction. Lui qui se dit  en résistance, prône l’art du débat, et pose comme un dogme le langage de l’acteur créateur, dans une vérité utopique qui pense en prise directe avec le monde.

Comme tout chercheur et théoricien du théâtre, Thomas Ostermeier, ambitionne un matériau de l’instant pour expérimenter le paradoxe d’un art qui exprime une humanité ambivalente et contradictoire ; partant que la modernité du théâtre ne se prolonge qu’avec des hommes et des femmes vivants, ici et maintenant.

Donner à voir du théâtre en phase avec son temps

Pour le metteur en scène et directeur de la Schaubühne de Berlin, la condition sine qua non de ses mises en scène est de donner à voir du théâtre, non conventionnel, en phase avec son temps. Soit. Mais jusqu’où peut-on aller trop loin dans cette volonté ? La Mouette n’offre-t-elle pas assez de garanties, dans son art et sa vie ?

Ostermeier, tout comme Tréplev,  veut révolutionner l’art théâtral et fait une sévère critique du théâtre post-dramatique. Il brocarde la mode qui met les acteurs nus sur scène, et les sonorise dans des scénographies aseptisées et surchargées en des vidéos souvent illustratives ; rejetant ainsi un théâtre du paraître, pour petit bourgeois en mal de culture.  Mais si une forme nouvelle est possible chez Ibsen, elle semble posé souci avec Tchekhov : « j’ai du mal à m’imaginer ses personnages vaguement aristocratiques et pleins d’un ennui si russe dans le monde actuel », nous dit Ostermeier. Mais fait-il simple avec cette histoire de taxi syrien ?

La Mouette de Stanislavski, n’est pas celle de Pitoëf, ni celle de Vitez et c’est tant mieux. La subjectivité d’Ostermeier n’est pas moins pertinente, que tous ceux qui ont essayé, avant lui, d’autopsier cette Mouette ; emblème du Théâtre d’art de Moscou*. Ce n’est d’ailleurs pas la question. Ce qui compte, c’est le don de ce qui va disparaitre de la scène et rester, à jamais, dans l’esprit du public. C’est là, où touche la modernité, c’est là, où est la vie. 

Nous ne doutons pas que La Mouette de Tchékhov vole très haut dans un ciel intemporel, du fait d’être joué chaque soir par des comédiens de notre époque. Cette pièce est magistrale. Rien ne peut l’atteindre : malgré les amputations de personnages, les rajouts de textes parasites (adieu Maupassant, bonjour Houellebecq), ou les manipulations problématiques que peut faire un adaptateur et un traducteur (Olivier Cadiot). Il n’est pas question ici  de querelles de clocher, mais bien de comprendre, face au rêve de l’auteur, les intentions d’un metteur en scène. Seule, la chose responsable est d’avant-garde. Le 17 octobre 1896, jour de la première, l’échec de la Mouette fut total. La responsabilité incombait à une mauvaise information. Le public était venu voir une actrice comique, dans un spectacle de gala.

Ostermeier  imagine que Tchékhov serait aujourd’hui un human rights activist, ou quelqu’un  qui travaillerait pour une O.N.G. Quand on lit la lettre qu’il avait adressée à Alexeï Souvorine son éditeur, nous abondons dans son sens : « J’écris La Mouette non sans plaisir, bien que je me sente terriblement en faute quant aux conditions de la scène… C’est une comédie avec trois rôles de femmes et six rôles d’hommes. Quatre actes, un paysage (une vue sur un lac) ; beaucoup de discours sur la littérature, peu d’action, cinq tonnes d’amour ». Oui, le docteur Tchékhov avait l’amour d’autrui et soignait ses patients gratuitement, en bon humaniste qu’il était.

De l’amour pour l’art dramatique, Ostermeier en a sans aucun doute. Il n’y a qu’à voir comment il fait agir, avec une artiste peintre, son propos de théâtre. Marine Dillard par sa dextérité artistique, et les esquisses de sa brosse, au terme de son oeuvre éphémère, laisse apparaître : un paysage montagneux avec, au creux de sa plaine, un lac. Sa talentueuse performance est dans la ligne directe de ce que le théâtre a de plus profond, le présent. Quand elle efface, à grands coups de traits noirs, l’image suant le gris. Nous pensons alors que cet art, qu’il s’écrive sur du sable, ou sur un fond de scène, est un éternel recommencement dans un temps  unique de vie. Cette vie qui circule dans la chair des comédiens, et transcende leur humanité, par la fiction d’une oeuvre qui, sur le feu des planches, devient réelle. L’acteur est le matériau premier de son théâtre. Ostermeier a su former, autour de lui, une merveilleuse troupe. C’est, à peu de chose près, la même distribution que « Les revenants » d’Ibsen. Tous sont épatants de vérité, bien que parfois, ils crient trop fort, ou ne se font pas assez entendre. 

Dans son dénouement, La Mouette se pose enfin sans fard. Elle nous livre ses secrets et nous remplit d’émotion.   Cette mise en scène qui divisera (une fois de plus) les modernes et les anciens, nous dit clairement qu’une oeuvre n’est pas intouchable. Qu’il serait absurde d’enfermer la Mouette dans une cage « classique ». Car la beauté de son vol n’apparaît qu’à l’air libre.  Respecter l’auteur, c’est donner à voir ce qu’il a rêvé dans son acte créatif. Bien sûr, il n’est pas question de revoir une énième Mouette, avec les mêmes didascalies et autres tics anciens. 

Bien que cette Mouette d’Ostermeier, ait quelquefois perdu pied dans des moments superflus, elle s’est montré assez sublime dans sa simplicité de vie, d’art et de littérature, pour que nous la laissions quitte d’aucun regret.

Alors, dans cet instant, la salle pouvait étinceler des mille feux, d’une boule disco. Avec The Doors en prime.

*  Aujourd’hui Théâtre Maxime Gorki 

La Mouette

d’Anton Tchekhov

20 mai-25 juin 2016

mise en scène Thomas Ostermeier

avec Bénédicte Cerutti, Marine Dillard, Valérie Dréville, Cédric Eeckhout, Jean-Pierre Gos, François Loriquet, Sébastien Pouderoux, Mélodie Richard, Matthieu Sampeur

traduction Oliver Cadiot
adaptation Thomas Ostermeier
lumière Marie-Christine Soma
Artiste peintre Marine Dillard

Odéon Théâtre de l'Europe

Place de l'Odéon

75006 Paris

Tél :+33 1 44 85 40 40

du lundi au samedi de 11h à 18h30 (sauf jours férié 

http://www.theatre-odeon.eu/fr

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