© Christophe Raynaud de Lage
Tartuffe vient de loin. Au XXVII siècle les directeurs de conscience, tel qu’on les nommait alors, fleurissaient à demeure chez une bourgeoisie qui cherchait à avoir bonne conscience, de manière ostentatoire. Ces directeurs de conscience avaient d’autant plus de facilité, à cohabiter chez une famille, que cet état de fait social avait pignon sur rue. Aujourd’hui, l’état de fait social fournit des dévots beaucoup plus dangereux, mais pas moins cousins, et cela quelle que soit la religion.
Le génie de Molière (1622-1673), nous le savons, c’est l’intemporalité de ses sujets avec les strates de plusieurs lectures possibles. Des tartuffes, il y en a eu hier, il y en a aujourd’hui et il y en aura demain. D’ailleurs, la prolifération des tartuffes s’étend des plus hautes fonctions de l’État, jusqu’au simple citoyen; même les amis et la famille n’y sont pas dispensés. Tous, autant que nous sommes, connaissons un Tartuffe; nous sommes toujours le Tartuffe de quelqu’un ou quelqu’une , dirait un … Tartuffe.
Résumé (programme de la Comédie Française) : Orgon et sa mère, Madame Pernelle, ne jurent que par Tartuffe, qui se dit dévot et vit à leurs crochets. Les autres membres de la famille partagent quant à eux le sentiment de la suivante Dorine, scandalisée par l’emprise de l’homme d’Église sur son maître. Ils vont tout entreprendre pour convaincre Orgon que Tartuffe est un hypocrite de la pire espèce. Rien n’y fait, ni les mises en garde du beau-frère Cléante, ni les supplications de Mariane – la fille promise en mariage à l’imposteur. Il faudra toute la ruse d’Elmire, sa femme, pour qu’Orgon ouvre enfin les yeux sur les desseins de Tartuffe. Au moment d’être chassé de la maison, ce dernier brandit un acte de donation qui en fait le nouveau propriétaire. Et seule une intervention royale, véritable Deus ex machina, sauvera la famille de la ruine.
Galin Stoev talentueux, mais en manque d’ambition
La mise en scène de Galin Stoev se jumelle avec la scénographie réfléchie par un jeu de miroirs sans tain et des perspectives multiples de Alban Ho Van. Ce qui s’y reflète est double, comme Laurent, la mauvaise et bonne conscience de Tartuffe; voir triple comme ces géants de carnaval à l’effigie de Tartuffe. Double aussi comme des agents ( valets à la solde de Tartuffe ? ) plein d’un mystère qu’eux seuls semblent connaître. Les murs chuchotent dans l’espace sidéral comme pour marquer la révolution de la terre autour du soleil (le Roi ?). Où nous entendons le ciel, chanter le sacré, accompagné d’une musique remixée de Sacha Carlson, entre le baroque et le grégorien. Les comédiens sont parés de belles étoffes de costumes dépareillés des temps d’hier et d’aujourd’hui de Bjanka Adzic Ursulov. Malgré tous ces genres mêlés, le jeu, la diction et les situations sont d’un classique assez convenu. L’électricité a remplacé les bougies, mais n’éclaire pas plus en avant sur le sens critique de la pièce.
Nous nous attendions à plus d’ambition de la part du talentueux Galin Stoev. Le syndrome Tartuffe (Michel Vuillermoz) que Stoev propose, comme une maladie dont il souffrirait, ne semble pas le transcender. On dirait un Tartuffe dupe de lui-même. Sa « pathologie » semble à distance de l’hypocrite, ou du délinquant sexuel. Un profil pourtant assez clairement exprimé dans la pièce de Molière.
Tartuffe, la pièce de Molière la plus représentée au répertoire de la Comédie Française, est toujours un événement ; peut-être avons-nous rêvé trop fort ? Cela ne doit pas nous empêcher de féliciter toute la troupe. Avec un coup de coeur pour Cécile Brune Dorine pertinente jusqu’au délice, Serge Bagdassarian dans le plaisir d’un Cléante raffiné, Didier Sandre donnant à Orgon, tartuffié jusqu’au missel, toute sa vérité, et Elsa Lepoivre qui sert avec succès une Elmire subtile face à l’imposteur.
Les remarques, citées plus haut, ne doivent pas vous empêcher de voir ce Tartuffe. Certes un ton en deçà de la folie où souvent nous entraine Molière, mais suffisamment agréable pour passer une bonne soirée.
Galin Stoev
Metteur en scène d’origine bulgare, Galin Stoev vit et travaille entre la Belgique, la France et la Bulgarie. Il monte à la Comédie-Française La Festa de Spiro Simone (2007), Douce Vengeance et autres sketches de Hanokh Levin (2008), L’Illusion comique de Corneille (2008) et Le Jeu de l’amour et du hasard de Maritaux (2011). Il a par ailleurs mis en scène Le Triomphe de l’amour de Maritaux et Liliom de Ferenc Molnár.
Tartuffe
Comédie en cinq actes de Molière
Mise en scène : Galin Stoev
Collaboration artistique : Frédérique Plain
Claude Mathieu: Madame Pernelle
Michel Favori: Monsieur Loyal
Cécile Brune: Dorine
Michel Vuillermoz: Tartuffe
Elsa Lepoivre: Elmire
Serge Bagdassarian: Cléante
Nazie Boudjenah: Valère
Didier Sandre: Orgon
Anna Cervinka: Mariane
Christophe Montenez: Damis
Scénographie : Alban Ho Van
Costumes : Brancha Admis Ursulov
Lumières : Elsa Revol
Musique originale : Sacha Carlson
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