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Depuis 1995 La Mousson d'été, festival international d’écritures théâtrales, défend à la satisfaction générale le théâtre contemporain.
Pour constituer sa programmation, le festival s'appuie sur un comité de lecture, présidé par Michel Didym et piloté par Véronique Bellegarde. Le comité se compose d’une vingtaine de membres : metteurs en scène, comédiens, producteurs, traducteurs et universitaires. Chaque année de nombreux auteurs, sous l'épée de Damoclès de la création, proposent leur nouvelle pièce avec l'espoir d'être retenu, mais aussi sous le danger constant d'un refus sec et définitif. Le cadre romantique de l’Abbaye des Prémontrés à Pont-à-Mousson ne peut pas hélas !, accueillir tous les dramaturges du monde, pourrait nous rétorquer le fameux comité. Pour autant, les auteurs n'iront pas se jeter dans la Moselle, car la vérité d'un comité de lecture, aussi savant soit-il, n'est pas exempte d'erreur, de regret et pourquoi pas de manque de goût. Bien sûr, tous les cas de figure sont présents. Si effectivement de piètres écrivains passent à la trappe, il n'est pas rare non plus que le comité abandonne un auteur dont l'originalité de l'œuvre est évidente. Il peut aussi, sur un autre, faire un choix plus que contestable. Enfin, pour les heureux élus, ce choix se confirme de manière unanime quand la pièce s’édite dans un livre et s'incarne sur un théâtre. Avec une dose d'humour nous pourrions dire, à l'image des aventures de K. du fameux roman de Kafka " Le Château", que l'auteur afin de faire connaître ses pièces, se bat pour comprendre le fonctionnement d'un comité de lecture mystérieux et inaccessible. Sa transparence par exemple ne va pas de soi. Et pour paraphraser ce cher Orwell : il y aurait des auteurs qui le seraient plus que d'autres.
C’est pourquoi nous avons décidé de rencontrer Véronique Bellegarde, metteure en scène et responsable du comité de lecture, pour lui demander de jouer avec nous la transparence de cette structure qui se réunit deux fois par mois de septembre à mai.
Les dits du théâtre : Qui compose le comité de lecture ?
Véronique Bellegarde : Le comité est composé de l'équipe de direction qui sont des artistes : Michel Didym, Laurent Vacher, moi-même, quelques auteurs, des comédiens, des journalistes et des traducteurs, car nous lisons aussi un grand nombre de pièces étrangères qui ne sont pas traduites.
Les dits du théâtre : Comment travaillez-vous et avec qui ?
Véronique Bellegarde : Nous nous voyons toutes les trois semaines. Les textes arrivent sur le site http://www.meec.org, il y a aussi nos partenaires : des instituts étrangers, artcena.fr, Les Solitaires Intempestifs, la Maison Antoine Vitez, et France Culture.
Les dits du théâtre : Quels sont les lecteurs ? Il me semble qu'aucun nom ne figure sur une liste ?
Véronique Bellegarde : Oui. Pour leur tranquillité, afin qu'ils se sentent libres de leur parole et qu'ils ne soient pas importunés par des questions que l'on pourrait leur poser mal à propos. C'est peut-être cela qui donne un aspect opaque au comité, mais on connaît l'équipe pédagogique : Michel Didym, Joseph Danan, Jean-Pierre Ryngaert, Nathalie Fillion, et Dominique Hollier pour la traduction, mais ça change aussi…
Les dits du théâtre : Justement l'équipe se renouvelle-t-elle ?
Véronique Bellegarde : Bien sûr. Il y a une base, mais par exemple pour le projet européen, nous ferons appel à des lecteurs qui liront des auteurs dans la langue de l’auteur. La Mousson c'est aussi un état d'esprit, il y a un noyau artistique avec inévitablement une lecture subjective…
Les dits du théâtre : Pouvez-vous préciser les périodes de la réception des pièces. Y a-t-il un mois à privilégier ?
Véronique Bellegarde : La réception c'est pratiquement à l'année. Le mieux c'est d'envoyer sa pièce à la rentrée. En septembre, par exemple.
Les dits du théâtre : Quand lisez-vous les manuscrits ?
Véronique Bellegarde : Cela commence fin septembre, mais je dirais que la Mousson, c'est un flux permanent.
Les dits du théâtre : Comment choisissez-vous les textes ?
Véronique Bellegarde : Sur des coups de cœur. Avec un regard sur la dramaturgie, la qualité de la langue, et l'histoire qui se raconte. Après c'est difficile de donner des critères. C'est selon les goûts, les sensibilités. Nous ne sommes pas des juges. Chaque lecteur reçoit deux textes qu’il doit lire d’ici deux, trois semaines, et faire un compte rendu : un résumé de l’histoire avec sa construction, son sentiment personnel sur le texte et s’il a aimé d’argumenter son choix. À la suite de ces choix, sort une thématique naturelle. Depuis quelques années la question politique est plus présente. Pour ne pas faire entrer les choses dans des cases, nous écoutons l'écho du monde. Nous allons aussi à la rencontre d'autres écritures, les pays du nord, de l'est etc. D'où le titre de la Maison des Écritures Européenne, mais si nous recevons des textes d'Israël, du Canada, ou d'Amérique latine par exemple, ils sont aussi les bienvenus. Nous ne nous imposons aucune limite.
Les dits du théâtre : Le lecteur est-il parti prenante du choix ?
Véronique Bellegarde : Chaque lecteur reçois deux textes. Deux lecteurs lisent la même pièce afin qu'ils puissent en parler. Il y a toujours un débat contradictoire. Ensuite c'est oui ou non, avec toute l'équipe.
Les dits du théâtre : Avez-vous un bureau pour la lecture des pièces, des liseuses ? où bien la lecture se fait-elle en privé ?
Véronique Bellegarde : Cela se fait sur Ipad en fait. Les lecteurs qui sont plus papier, nous leur adressons la pièce à leur domicile. Puis nous nous retrouvons à Artcena à Paris pour en débattre.
Les dits du théâtre : Faites-vous des appels à textes ?
Véronique Bellegarde : Non. Nous sommes en lien avec des éditeurs. L'Arche, Actes-Sud, l'espace 34, nous envoient souvent des textes. Tout cela va à la Mousson. Il y a aussi le suivi des auteurs que nous défendons, Pauline Sales, Remi de vos etc.
Les dits du théâtre : Les auteurs de la Mousson sont en général reconnus et édités. Tout cela semble très officiel. Le comité de lecture est-il dans la contrainte administrative, en lien, avec un cahier des charges des subventions à respecter, en fonction de la région, du pays et de la communauté européenne ? Et comment faites-vous pour repérer les auteurs anonymes qui n'ont pas cette chance et y a-t-il encore une place pour eux ?
Véronique Bellegarde : Puis-je vous contredire ?
Les dits du théâtre : Oui, bien sûr.
Véronique Bellegarde : Pour cette édition, je vois plein de jeunes femmes comme Pauline Peyrade, Maria Velasco, Lisa Nur Sultant, Lola Molina. Le public ne les connaît pas. Il me semble qu'il y a la place entre les auteurs confirmés et ceux qui arrivent… Pour répondre sur les contraintes institutionnelles, nous n'en avons pas. Pour le choix européen c'est dans le contexte Fabulamundi pour la circulation des textes.
Les dits du théâtre : Nous allons y revenir à la fin de l'entretien. Pour mieux préciser la question : les textes inédits sont-ils tous égaux devant le comité de lecture ?
Véronique Bellegarde : Je pense que oui. Nous ne nous posons pas cette question. Notre pensée est sincère.
Les dits du théâtre : Le comité ne répond pas aux auteurs refusés, même par un simple mail, pourquoi ?
Véronique Bellegarde : Nous ne voulons blesser personne, sous aucun prétexte. L'envoi d'une lettre type n'est pas bien accepté. De plus nous n'avons personne pour cette prise en charge, c'est trop délicat.
Les dits du théâtre : Nous arrivons à la fin de l'entretien, que pensez-vous de cette paraphrase à l'image d'Orwell : « Tous les auteurs sont égaux, mais certains sont plus égaux que d'autres. » ?
Véronique Bellegarde : Ah ! La vie ! (rires) Égaux dans les chances qu'il y a ? Nous sommes assez ouverts à partir du moment où la pièce n'a pas été jouée…
Les dits du théâtre : Pour finir que pouvez-vous nous dire sur Fabulamundi ?
Véronique Bellegarde : " Fabulamundi. Playwriting Europe" est un projet de coopération entre théâtres, festivals et instituts culturels de toute l'Europe, visant à créer une plate-forme de soutien à la dramaturgie contemporaine : renforcer les pratiques professionnelles, fournir aux auteurs des opportunités de création, ouvrir de nouveaux partenariats et améliorer la visibilité des écritures théâtrales.
Fabulamundi. Playwriting Europe inaugure cette année un nouveau programme, "Beyon Borders ?", lauréat de l'appel à projets Creative Europe visant à distinguer des initiatives culturelles portant les valeurs de coopération, d'entraide et d'excellence artistique. La Mousson d'été - Maison Européenne des écritures Contemporaines et Théâtre Ouvert - Centre National des Dramaturgies Contemporaines sont les deux co-organisateurs français du projet.
Il y a 120 auteurs sélectionnés par 16 pays participants. 200 pièces traduites, soutenues et diffusées dans toute l'Europe.
Une première étape est prévue à Paris en septembre 2017, qui rassemblera dix auteurs français et les partenaires européens du projet. Les auteurs soutenus par la France sont : Lucie Depauw, Nathalie Fillon, Magalie Mougel, Pauline Peyrade, Alexandra Badea, Aurore Jacob, Lancelot Hamelin, Baptiste Amann, Guillaume Poix et Gérard Watking.
La Mousson d'été quant à elle, reste la Mousson d'été. Voilà j'espère avoir mis un peu de lumière dans le ténébreux "château" de Kafka (rires).
Véronique Bellegarde est metteure en scène et est artiste associée à la Mousson d’été depuis 1996. Elle est membre et responsable du comité de lecture et y dirige de très nombreuses mises en espace. Elle a été membre de la commission de l’aide à la création au CnT de 2007 à 2013. Avec sa compagnie, le Zéphyr, elle met en scène des auteurs contemporains internationaux : « La main dans le bocal dans la boîte dans le train » de Pedro Sedlinsky, « La Cheminée » de Margarit Minkov, «Cloud Tectonics» de José Rivera, «L’illusion» de Jean-Marie Piemme (Grande Halle de la Villette), «Le bestiaire animé» d’après Jacques Rebotier (Théâtre Paris-Villette et à Chaillot), «Au-delà les étoiles sont notre maison» de Abel Neves. Elle crée plusieurs spectacles en Argentine et rencontre le musicien Médéric Collignon, la musique prend une place alors déterminante dans son travail : « Un animal de dos lenguas » (F.I de Buenos Aires et à Jazz à la Villette), « L’instrument à pression » de David Lescot (Banlieues Bleues, Jazz à la Villette, Théâtre de la Ville). Puis elle crée « Terre océane » de Daniel Danis (MC2-Grenoble, Théâtre de la Ville, Théâtre Vidy Lausanne), « Zoltan » d’Aziz Chouaki (Les amandiers/ Nanterre), « Farben » de Mathieu Bertholet (Théâtre de la Tempête), « Mensonges » commande à six jeunes auteurs européens. En préparation : « Cardamone » de Daniel Danis à Montréal.
La Mousson d'été
à l'Abbaye des Prémontrés
Pont-à-Mousson Lorraine
Tél : 0383812022