Agrandissement : Illustration 1
Pour paraphraser l’éternel Shakespeare posons-nous la question : politic or not politic ?
Quand nous voyageons vers les résidences d’auteurs, les concours et autres commandes théâtrales, il nous semble entendre aujourd’hui : « surtout de l’actualité ! Avec le poivre d’une langue moderne, et le sel de la jeunesse ! ». Soit. Mais les institutions culturelles savent-elles qu’elles entravent les auteurs avec ces contraintes façon « atelier d’écriture » ? Pour lors, il ne faut pas s’étonner de voir, sur nos scènes contemporaines, du théâtre journalistique ; où poésie et transcendance se réduisent à peau de chagrin.
Hélas ! « la laisse » des subventions chère à Hugo, est toujours au cou des animateurs de la culture, Michel Didym peut en témoigner. Leur travail se doit (pour un cahier des charges politiquement correct), d’être riche en ingrédients de l’air du temps et surtout, dans cette cuisine peu digeste, plaire à untel ou Untel décideur. Il faut savoir que la commande est une arme à double tranchant qui peut parfois faire émerger des surprises, mais bien plus souvent des absurdités sans résonance, et qui n’électrise que l’ennui. Si l’historicité politique est mise de côté sous prétexte de ne pas être « branchée », c’est à coup sûr la politique des réseaux et des clans qui continueront leur hégémonie au bal des chaises musicales, où chaque année les mêmes « danseurs » proposeront des chorégraphies réchauffées dans la poêle contemporaine.
« Il faut être absolument moderne » disait Rimbaud. Une modernité où le prosaïque serait au service de la poésie et non le contraire, afin que l’opportunité culturelle, au théâtre, n’empêche pas la politique du sens. Car le théâtre depuis sa création a été, est, et restera politique. Être contemporain dans le spectacle vivant, n’est-ce pas in fine penser le sens moderne de l’art, tout au long d’une existence ?
Alors, politic or not politic ?
La genèse d’une pièce de théâtre
Après ce constat en guise de préambule, voici les pièces que nous avons vues à cette Mousson d’été 2016.
Nous aimons et défendons mordicus ce festival essentiel pour les auteurs, mais nous ne pouvons nous mentir. Le millésime 2016 nous a un peu déçus et les vents salvateurs, de cette mousson d’été caniculaire, ont été rares.
Lecture Anatomie de la gastrite
de Itzel Lara (Mexique)
texte français de David Ferré, dirigée par Marcial Di Fonzo Bo, avec Cécile Bournay, Marcial Di Fonzo Bo, Philippe Fretun et Camille Garcia
Quand l’auteure mexicaine Itzel Lara écrit pour un concours de théâtre « Anatomie de la Gastrite », la genèse de son texte vient de sa colère : « Une colère envers la vie et envers ma mère (qui voulait mourir) (…) J’ai tellement somatisé que j’ai fait des gastrites à répétition », dit-elle.
« Anatomie de la Gastrite » raconte l’histoire d’une jeune femme devenue adulte, d’un père moribond, d’une vache qui fut son amie, d’un chat, et d’un végétarien qui mange des oignons. Cela donne un récit sans queue, ni pis, tant les métaphores sont cousues de fils blancs. Nous ne retiendrons de cette pièce, sans grande anatomie, que la mise en forme intelligente de Marcial Di Fonzo Bo, ainsi que le jeu des comédiens.
Lecture De plus belles terres
D’Aiat Fayez (France), dirigée par Laurent Vacher, avec Quentin Baillot, Philippe Fretun, Céline Milliat-Baumgartner, Johanna Nizard et Frédéric Sonntag
Un autre chemin, une autre vicissitude d’écriture avec « De plus belles terres » d’Aiat Fayez.
Dans le journal Temporairement contemporain de la Mousson d’été Aiat Fayez, dans des « confessions » faites à Charlotte Lagrange, nous dit : « j’écris parce que j’ai un problème avec la vie. Je ne suis pas sûr qu’elle vaille la peine d’être vécue. S’il fallait choisir de vivre ou non avant de naître, j’aurais décliné l’offre à coup sûr. (…) je ne peux pas écrire sur autre chose que ma thématique, à savoir l’étranger, l’homme étranger, avec ses sous-thèmes : l’exil, l’asile, la langue maternelle, le pays natal, le regard de l’autre, et ses ramifications tortueuses ». Sa pièce « De plus belles terres » parle effectivement des sous-thèmes qui sortent de sa thématique d’écriture. Fatima vit avec son mari et son fils Enzo dans la bicoque retapée d’un petit village de France, orné de sept collines. Dans le verger, il y a des fruits à foison. Il faudrait trouver une solution pour qu’ils ne pourrissent pas.
Arrive le père du copain d’Enzo, musulman pratiquant et gérant d’une épicerie. Il a une réponse au problème. L’épicier et le mari de Fatima se mettent d’accord pour la location d’une partie du verger et la vente des fruits, avec un pourcentage sur les recettes à venir. Ce contrat, importun aux yeux de Fatima, va dévoiler les raisons qui l’ont fait fuir de son pays d’origine, où les traditions sont trop lourdes à assumer pour ses convictions athées. Hélas ! Elle revit en France ce qu’elle ne pouvait plus supporter dans sa patrie.
Ce texte qui aurait pu être un Tartuffe moderne version musulmane, s’enlise dans le verbiage loin d’une situation qui, peu à peu, de prometteuse va s’amenuisant jusqu’à disparaître comme Fatima au terme de l’histoire.
Une fois encore, les comédiens ont comblé les faiblesses d’une pièce dont le potentiel n’a pas été au bout de ses ressources. Dommage.
Lecture Comment retenir sa respiration
de Zinnie Harris (Royaume-Uni)
texte français de Blandine Pélissier, dirigée par Michel Didym avec Quentin Baillot, Anne Benoit, Ariane Von Berendt, Marie Desgranges, Guillaume Durieux, Grégoire Lagrange, Céline Milliat-Baumgartner et Frédéric Sonntag, musique Philippe Thibault
« Comment retenir sa respiration » de Zinnie Harris, est une fiction qui met en scène un démon et une chercheuse berlinoise.
Après avoir passé une chaude nuit d’amour avec Jarron, rencontré dans un bar, Dana se voit confrontée à la théorie relation clients-entreprise dans le monde du travail, en ligne directe avec sa recherche quotidienne, dont l’objectif est la dynamique du client.
Au sortir de cette nuit d’amour Dana est humilié par la méprise (volontaire ?) de Jarron qui la prise pour une prostituée et exige de la payer pour ce service charnel. Cette non-transaction va confronter les antagonistes dans une société imaginaire, dont l’enjeu est un pacte faustien.
Est-ce une constance dans cette 22ème édition de la Mousson ? Nous pourrions dire, comme la pièce précédente, que la dramaturgie de ce texte ne tient pas la distance. La force de la première scène met sous l’éteignoir les suivantes tant les transactions des diables (Jarron, le bibliothécaire, le contrôleur du train) sont réitérés sans un traitement de fond. Ce qui banalise ce qui aurait dû être de l’ordre du fantastique. Souvenons-nous des frères Karamazov et du diable de Dostoïevski : « si dieu n’existe pas alors tout est permis ». Vendre son âme au diable de manière a-moral dans l’écriture, c’est peut-être ce qui nous a manqué dans cette « respiration » trop retenue, malgré la bonne mise en espace de Michel Didym.
Lecture Et le ciel est par terre
de Guillaume Poix (France), dirigée par l’auteur avec Anne Benoit, Ariane Von Berendt, Cécile Bournay et Grégoire Lagrange
Pour achever nos dires subjectifs, nous terminerons sur notre coup de coeur, « Et le ciel est par terre » de Guillaume Poix. Oui ! Celui qui ne nous avait pas convaincu avec « Waste » dans une langue totalement inventée, mise en lecture par lui-même, l’année dernière. Comme quoi rien n’est définitif dans le domaine de l’écriture théâtrale. Cette fois c’est l’image de la mère de famille qui se lâche après la mort de son mari. Elle parle vrai, enfin débite « son vrai », ses croyances. Nous pourrions même dire qu’elle les impose à ses trois enfants qui subissent ou se révoltent, selon son discours quelque peu perturbé. Cette famille vit dans un quartier en ruine ou presque. Tout va disparaitre comme disparaissent les êtres chers. Il faut contester l’autre pour lui donner de l’existence et mieux l’aimer. Alors reste la vie dans la reconstruction du vivre ensemble. Le jeu exceptionnel d’Anne Benoit donne toute l’humanité possible de la puissance tragique-comique de ce texte sans fioritures.
La 22ème édition de la Mousson d’été a pris fin. Vive la 23ème édition du Festival de la Mousson d’été à venir !
Festival de la Mousson d’été
Abbaye des Prémontrés
9 Rue Saint-Martin
54700 Pont-à-Mousson
France