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SAMEDI 4 AVRIL 2020 - JOUR 20
MATIN. Nouvelle visite au Jadis, le bar-tabac-presse au coin de la rue, la seconde en trois semaines. Fidèles au poste, père et fils sont là, le comptoir en rempart, les bornes loto en douves, et le sourire à moitié retrouvé : ils ont résolu leur affaire de liquidité (cf. #Jour10). Le fiston a pris son vélo, son sac à dos, dedans 8000 balles cash, j’étais pas à l’aise à l’aise, confie le père, et il a fait le tour du quartier, comme Gabin dans La traversée de Paris. A la cinquième agence bancaire, le jeune homme a enfin trouvé preneur, un coffre qui voulait bien avaler sa caisse, et la mettre en lieu sûr et en quarantaine.
- On a des clients qui avaient disparu, raconte le père. Tiens, l’autre jour, une dame… Elle voulait des Marlboro, elle me montre le paquet, un paquet blanc, jamais vu.
- C’était quoi ?
Le fils, les yeux rieurs :
- Un paquet de marché noir ! Avec le Corona, ben, les gens n’en trouvent plus, des cigarettes à la sauvette, alors on revoit des têtes…
Sur le tourniquet, Le Parisien titre : « Les pompes funèbres sont débordées en Seine-Saint-Denis où il y a un excès de mortalité exceptionnel ». La faute à la promiscuité, à la précarité, salauds de pauvres, aurait lâché Gabin s’il était rentré là, au Jadis, comme dans le bistrot du chef d’œuvre d’Autant-Lara. Misère et injustice sociales, mais pas seulement : il y a lumpen proletariat et il y a prolétariat. Une toubib de la cité des Francs Moisins raconte qui sont les Tirailleurs sénégalais d’aujourd’hui (puisque nous sommes en guerre) : « chez nos patients, il y a beaucoup d’aides-soignantes, d’aides à domicile et de travailleuses en Ehpad qui vont être très exposées. Sans compter les livreurs, les caissières ».
APRÈS MIDI. De partout, on apprend que les Américains ont sorti leur plus beau sac à dos à eux, des douches de billets, pour rafler les masques chinois, en raquant trois fois le prix. On imagine d’ici, et ça détend d’une certaine façon : les discussions de marchands de tapis, sur les tarmacs, au cul des avions, autour des palettes de FFP2 et des odeurs de kérosène libéré. Jamais le capitalisme n’affiche aussi bien son visage le plus conquérant, et le plus juste, que quand il fait affaire avec la mort. En un sens, le virus rend sa nature plus vraie, et les Chinois saisissent l’opportunité : il n’est qu’une contrebande qui a réussi.
Sur les plateaux télé, ça grince, « piraterie moderne ! », ça jette des cris d’orfraie, c’est quoi ces méthodes du plus offrant — et ça oublie fissa que la France a fait pareil, mais à sa façon, mesquine et nappes Vichy. C’était le 5 mars, c’était juste Avant, et on ne le découvre que maintenant, et encore, faut creuser : le pays en bon Jambier avait fait saisir (motif : réquisition des stocks de matériels médicaux) quatre millions de masques suédois transitant à Lyon, et en partance pour l’Espagne et l’Italie, ravagés par la pandémie.
Incursion dans la fachosphère. Depuis le confinement, je la vois triompher, c’est son heure de gloire noire ; ses rêves de survivalisme qui se concrétisent ; un monde fermé, à triple tour, la haine déversée, chaque jour, par milliers de posts, de tweets, de notifications. Il faut la lire, pour saisir sa force, qui gagne tous les pans de la société, et comprendre ce qui se trafique pour l’Après. Chez Valeurs Actuelles, on commente les informations du Parisien. Un lecteur, à propos du 93 : « Napalm, cela nettoie très bien ».
SOIR. Un ami m’écrit : « Si tu applaudis ce soir, dis-toi que ça remplace aussi les gifles, sans se salir les mains. » A 20h, #OnGifle.
- Moral du jour : 6/10
- Ravitaillement : 6/10
- Sortie : 1
- Speedtest Internet : 937 Mbps