David Dufresne
Écrivain-documentariste, Allo Place Beauvau, «Dernière sommation» (Grasset), Un pays qui se tient sage (2020), punk rock et contre filatures.
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Billet de blog 11 nov. 2019

David Dufresne
Écrivain-documentariste, Allo Place Beauvau, «Dernière sommation» (Grasset), Un pays qui se tient sage (2020), punk rock et contre filatures.
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Anas, 22 ans, s'immole par le feu et nous regardons ailleurs

C’est un gamin, mon fils, ou votre frère. Il s’appelle Anas, un étudiant de 22 ans, venu de Saint-Étienne à Lyon, pour apprendre et avancer. C’est un jeune homme, désespéré autant que déterminé, qui, vendredi, a tenté de se tuer sur la place publique. Depuis, la presse détourne les yeux. Des rassemblements sont prévus ce mardi.

David Dufresne
Écrivain-documentariste, Allo Place Beauvau, «Dernière sommation» (Grasset), Un pays qui se tient sage (2020), punk rock et contre filatures.
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Illustration 1
« 450 euros/mois, est-ce suffisant pour vivre ? » © Oscar Walter

Sur Facebook, Anas a écrit :

« Aujourd'hui, je vais commettre l'irréparable, si je vise donc le bâtiment du CROUS à Lyon, ce n'est pas par hasard, je vise un lieu politique du ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche, et, par extension, le gouvernement. ».

En s’aspergeant d’essence, l’étudiant en Sciences Politiques cherchait à mettre le feu à nos indifférences.

« Cette année, faisant une troisième L2 [deuxième année de licence], je n’avais pas de bourse, et même quand j’en avais, 450 euros/mois, est-ce suffisant pour vivre ? »

Ses vêtements ont pris feu — on imagine les flammes, on devine les cris, et la douleur, au cœur du 7eme arrondissement de Lyon, deuxième ville assoupie de France.

« J’accuse Macron, Hollande, Sarkozy et l’UE de m’avoir tué, en créant des incertitudes sur l’avenir de tous-tes. J’accuse aussi Le Pen et les éditorialistes d’avoir créé des peurs plus que secondaires ».

Un travailleur, dit on, s’est précipité sur la torche.
Il a éteint le feu.

Depuis, brûlé à 90 %, Anas se débat entre la vie et la mort, selon les derniers bulletins de santé.

La presse ne dit quasiment rien, ou si peu, ou si mal, ou si en dessous. La presse se presse sur des querelles et sur des voiles. Une fois de plus, elle refuse de voir la réalité, celle des Anas, elle détourne les regards sur cette précarité qui avance, partout, et qui ronge, qui détruit, et qui immole par le feu.

Il faut lire ce texte, en imaginant son auteur, aujourd’hui sur un lit d’hôpital.

Illustration 2
Le post d'Anas, quelques instants avant son geste

Ce mardi 12 novembre, des rassemblements sont prévus partout en France. Que feront les éditorialistes visés par Anas? Encore, leur racisme ordinaire, leurs chroniques de rien, le status quo de tout ? Ou iront-ils, dans un sursaut, se réveiller du même élan, et lire ce que la France du dessous, le Facebook du dessus, leur disent ?

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