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David Dufresne

Écrivain-documentariste, AuPoste.fr, Allo Place Beauvau, «10h59» (Grasset), Un pays qui se tient sage (2020), punk rock et contre filatures.

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Billet de blog 28 avril 2020

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Corona Chroniques, #Jour43

Et voilà les meilleurs journalistes de préfecture volant au secours de leurs sujets et de leurs sources (c’est leur droit, et leur militantisme) : dans leur fougue, ils ne voient pas qu’ils se précipitent, et leurs alliés, dans leur propre perte.

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Illustration 1

LUNDI 27 AVRIL AVRIL 2020 - JOUR 43

LUNDI 27 AVRIL AVRIL 2020 - JOUR 43

MATIN. Sur la quatre voies du retour vers le Pendant, et le Dedans, le type a brusquement décidé de freiner, deux fois, dans une manœuvre de déconfinement étrange, une sorte de tango avec lui-même, histoire de bien faire respecter les règles de distanciation automobile. Quand nous l’avons finalement dépassé, furieux, le conducteur a baissé sa vitre pour nous jeter je vous fais pas chier ? Sa voiture avait quelque chose de spécial, vraiment, quelque chose qui nous attirait, une rareté : elle était maquillée d’autocollants hypnotiques, de toutes parts — capot, toit, portières, coffre, calandre — des stickers en spirale, psychédéliques, et en virus : l’auto était un prototype lancé incognito sur la nationale déserte, tel un engin en perdition, masqué, en phase de tests, un Pouvoir en quête d’échappatoire — et qui pensait avoir fait le ménage sur la route et dans les rues. Nous étions des intrus, case 4, celle des « déplacements pour motif familial impérieux  », et armés de téléphone qui filme avec ça : je vous fais pas chier ? Ça sonnait comme un ordre, un Rentrez chez vous autoritaire. Ça donnait vraiment pas envie.

Arrivé peu avant Dreux, coup d’œil vers la fin du monde, l’aire de prostitution et d’abattage (cf. Corona Chroniques Jour 38), prêt à aller voir, à aller parler, à essayer de comprendre comment tiennent ces exploitées, quasi nues, et seules, en rase campagne et en Covid partout. Mais il est tôt, pas de cent pas, pas d’âmes qui vivent : elles doivent dormir encore, souffler un peu, avant l’enfer.

Et le périphérique finit par nous aspirer, fluide comme s’étonnent ses panneaux, et passablement pressé. Aux feux, chaque regard croisé, des SDF isolés aux petits vieux camouflés, c’est la même interrogation : qu’est-ce que vous faites là ? Et le même conseil : allez donc vous terrer chez vous, et que ça saute.

APRÈS-MIDI. C’est lundi et dans Lundi matin, la traductrice Florence Balique propose sa fournée hebdomadaire de Giorgio Agamben. Dans « Nouvelles réflexions », le philosophe italien note : « De toute part on entend aujourd’hui formuler l’hypothèse que, en réalité, nous sommes en train de vivre la fin d’un monde, celui des démocraties bourgeoises, fondées sur les droits, les parlements et la séparation des pouvoirs, cédant la place à un nouveau despotisme, qui, quant à l’omniprésence des contrôles et l’arrêt de toute activité politique, sera pire que les totalitarismes que nous avons connus jusqu’à présent. Les politologues américains l’appellent Security State, c’est-à-dire un État dans lequel, pour « raisons de tristement célèbres « comités de salut public » durant la Terreur), l’on peut imposer n’importe quelles limites aux libertés individuelles.  »

Sur France Info, la procureure de Nanterre tente de relativiser ce qui s’est déroulé sur L’Ile-Saint-Denis, dans la nuit de samedi à dimanche. Coursé par la police, un cambrioleur présumé se jette à la Seine. Quand il est repêché, les injures racistes fusent. Un policier : « Un bicot comme ça, ça ne nage pas », un autre : « Ha ha ha, ça coule. Tu aurais dû lui accrocher un boulet au pied ». Pour la représentante du parquet, c’est évidemment inadmissible mais elle demande à ce qu’on ne généralise pas.

Que le #Confinement soit, à l’évidence, marqué par une sur-brutalité policière dans les quartiers populaires n’est pas évoqué. Pour ce cas là, justice sera faite, promet-elle. Pour celui-ci. Comme si ce qui importait, plus que tout, au fond, serait de continuer à narrer la fable d’une justice indépendante, d’une séparation des pouvoirs, persister à faire croire au mythe des démocraties bourgeoises pour reprendre Agamben. Ici, pour une raison implacable : la vidéo qui a capté l’instant a ce détail qui fait toute le différence, ils étaient deux à saisir la scène, un vidéaste et un preneur son [1]. L’abus de pouvoir est parfaitement audible, parfaitement odieux.

Sur Twitter, les syndicats de police embrayent. Et me revoilà confiné avec eux, comme avant notre escapade, comme avant les cinq jours avec les enfants, retour à l’anormal pour de bon et de mauvais : les yeux rivés sur l’écran, en pas même un quart d’heure, je plonge. A leur tour, si les syndicats lâchent leurs collègues, c’est évidemment pour mieux resserrer leurs rangs et tenter de faire oublier le racisme systémique d’une partie de la Maison police. Il s’agit avant tout d’isoler les cas du cluster, de les mettre en quarantaine. Et mieux : de les exhiber. Enfin, c’est au tour des meilleurs journalistes de préfecture de voler au secours de leurs sujets et de leurs sources (c’est leur droit, et leur militantisme) : dans leur fougue, ils ne voient pas qu’ils se précipitent, et leurs alliés, dans leur propre perte.

(Comment sortir de là ?)

SOIR. A 20h, retrouvailles avec le petit voisin, et réconfort devant l’endurance dans sa joie à applaudir le monde qui l’attend. Bonjour bonhomme. #OnOublieraPas.

Demain, Édouard Philippe doit annoncer les mesures de ce déconfinement qui tarde. Personne n’y croit vraiment, pas même lui, si on en croit la presse, qui se délecte toujours des bruits de palais. Sarkozy bientôt à Matignon est la rumeur la plus folle. Sa simple circulation signe la mise en bouche d’un Après qui arrière-goûte beaucoup l’Avant.

  • Moral du jour : 6/10
  • Ravitaillement : 4/10
  • Sortie : 1
  • Speedtest Internet : 938 Mbps