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MARDI 28 AVRIL 2020 - JOUR 44
MATIN. Troubles autour des chiffres, et des bilans, et des projections, et des simulations ; troubles autour des modélisations, et des mesures, et des statistiques ; troubles depuis le début du Pendant, où analyses et tribunes se succèdent pour affirmer ce qu’il aurait fallu /faut/faudra faire — confinement, ciblé ou pas, total ou à moitié — et je m’avoue vaincu : toute cette science finit par m’étouffer. Être projeté à la fois dans le moyen âge et dans le savoir aride, embastillé et balloté, du jour au lendemain, de ce 16 mars 2020 au Néant : meilleure recette pour ajouter de la sidération à la sidération. Comment comprendre, à quelle synthèse se vouer ? A quelles approches : suédoise, allemande, suisse — pour prendre celles qui ont des choses à nous dire sur notre fiasco ?
Dans La Recherche, un médecin de l’Hôtel Dieu, Jean-François Toussaint, et un chercheur en biostatistiques, Andy Marc, avancent leurs positions : « les simulations épidémiologiques qui ont poussé les gouvernements à prendre des décisions de confinement strictes n’ont pas inclus dans leur modèle les dégâts collatéraux pour la population confinée. » Et de pointer le groupe d’épidémiologistes britanniques de l’Imperial College de Londres, coupable d’avoir suggéré aux Macron de la terre de nous enterrer, damnés condamnés, sans autre forme de procès équitable (qui pour contre-attaquer ? Qui pour préparer sa défense ?) : « Paradoxe que de tenter de sauver des vies par des moyens qui en auront peut-être tout autant détruit » concluent-ils.
Autrement posé : le confinement serait-il la version sanitaire du There is no alternative de Thatcher ?
(Fol espoir : qu’une bonne âme synthétise ces synthèses, les mette à plat, dans une belle infographie, qu’on puisse les comparer, les soupeser, plutôt que d’attendre la becquée, clic après clic, une pincée de sel, un pensée de ça, tandis que la bfmisation de notre monde nous vend de la résignation frelatée, rendant plus affreuses encore nos journées d’affres.)
Un ami (dont on pourrait dire, si nous étions dans Le Figaro, ou dans Le Monde, qu’il est un visiteur du soir de ce carnet) : « Un élément capital pour comprendre ce qui se passe, c’est : les inégalités sociales, les conditions de vie plus ou moins dégradées, la discrimination. En Suède, une forte discrimination accable les réfugiés fraîchement arrivés et, comme par hasard, ils sont les principales victimes de l’épidémie. En France, c’est le 93 et les voyageurs… Aux Etats-Unis, les Afro-Américains et les Native… »
APRÈS-MIDI. Il est 19h36, Édouard Philippe tient le perchoir, comme un bientôt souvenir. Depuis maintenant plus de trois heures trente, l’Assemblée assemble ses discours — ils disent débat mais s’applaudissent, ils disent démocratie mais swipent en attendant leur tour de porte-parole ou de portefeuille ministériel — cette Assemblée qui nationalise nos attentions dans un alignement parfait de médiocrité et de mensonges parfaits : un dénommé Gilles Legendre remercie le chef du gouvernement de parler avec « le même principe de vérité et de transparence avec nous » qu’avec le peuple « depuis le début de cette crise » — et l’on songe, immédiatement, aux confidences de l’ancienne ministre de la Santé, démissionnaire d’avant l’Épreuve : « Quand j’ai quitté le ministère, je pleurais parce que je savais que la vague du tsunami était devant nous. Je suis partie en sachant que les élections municipales n’auraient pas lieu. On aurait dû tout arrêter, c’était une mascarade. »
Entre deux députés, la petite télé en fenêtre incrustée sur l’ordinateur laisse échapper son inconscient, et son inconscient laisse échapper ce que le gouvernement ne peut tout à fait dire (c’est le jeu d’idiot utile auquel s’adonnent éditorialistes et politiques depuis des lustres, ils se nourrissent plus sûrement qu’ils ne se contredisent et, en période de crise, plus que jamais) : ce 11 mai à venir, censé être celui du #déconfinement, est « une libération sous condition » (Anna Cabana, BFM TV, spécialiste de la spécialité). Avec des régions au régime de semi liberté, donc, en rouge, en vert, une double peine qui s’annonce plutôt, nouvelle infantilisation de nos destins, sommés que nous sommes d’attendre et de nous taire, alors qu’on pressent tous ce qui se passe : rien, il ne se passe rien. Juste des empoignades. Pour faire les grands.
Et puis, il est 19h37, l’heure des braves, quand la journée se termine, une de moins au cauchemar de nos coronas ; quand on se dit qu’il va bientôt être temps d’actionner le CTRL-W et fermer ce soupirail à pixels ; cette heure où l’on n’attend plus rien de nos attentes mais où, soudain, Edouard Philippe, d’un ton las, et exténué, de ses grands bras secs, se fait petit, se fait comme nous, impuissant, et seul, à lire ses notes, à dire qu’il va répondre à ça, et puis non, et puis à ça, et qu’il finit par lâcher lunettes et superbe : « Je choisis entre de mauvaises décisions… »
Ce n’est pas un lapsus, pas même un aveu, c’est plus sobre que le cynisme avoué mais pas pardonné d’une Agnès Buzyn : c’est un déconfinement à lui seul, une soupape de l’esprit et du corps, une façon de déchirer son attestation, et les mensonges. Qu’il ajoute, dans un rattrapage de bonne figure « …entre des décisions moins mauvaises que d’autres » n’y change rien, en baissant la garde, le temps d’une phrase, le premier des ministres vient de reconnaître que nos colères ne sont pas vaines.
SOIR. A 20h, #CortègeDeFenêtres.
Moral du jour : 6/10
Ravitaillement : 3/10
Sortie : 0
Speedtest Internet : 937 Mbps