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Billet de blog 1 octobre 2025

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Entre Londres 2012 et Paris 2024 : 24 heures à vélo

De Hyde Park à la tour Eiffel, en vingt-quatre heures et plus de 320 kilomètres à vélo, un voyage entre deux Jeux – Londres 2012 et Paris 2024 – qui raconte à la fois la proximité des capitales, l’héritage impérial et l’idéal d’égalité que l’Olympisme prétend incarner.

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Une idée folle ? Un dernier café à Hyde Park, puis je monte sur mon vélo. Rouler d’une traite jusqu’à Paris ? J’ai du mal à y croire quand j’appuie sur « Start » sur ma montre devant Buckingham Palace. Le premier kilomètre jusqu’à Big Ben s’éternise : feux rouges, touristes, drapeaux partout. Plutôt une promenade de dimanche qu’un vrai voyage.

Et pourtant, c’est bien mon pari : être demain, à la même heure, devant la tour Eiffel. Rien que moi, mes jambes, un ferry – et mon vélo.

« Nice bike ! », crie un chauffeur de camion, cigarette à la main. « You are the future, not these bad guys. » Il montre un motard qui fait rugir son moteur. Je souris. Londres en version optimiste. Je longe la Tamise sur la « Cycle Superhighway 8 », un nom bien trop grand pour une simple bande bleue sur le bitume. Mais je file entre les tours de verre, et pour un instant, oui : le vélo est l’avenir.

Et bien sûr, ce voyage a aussi quelque chose à voir avec les Jeux : je roule entre deux olympiades, celles de 2012 et de 2024. À peine une demi-heure plus tard, j’entre sur le tracé de l’épreuve cycliste des Jeux de Londres : Richmond Park. Un « showroom » d’Angleterre — paysage impeccable, rubans d’asphalte lisses pour les vélos, cerfs qui broutent sans clôtures — et, en même temps, un signe tranquille du pouvoir royal : le plus grand des Royal Parks de Londres.

N’est-ce pas fou que Londres et Paris, ces deux centres de pouvoir qui ont marqué l’histoire mondiale, soient en réalité si proches l’un de l’autre – au point qu’on puisse les relier en une seule sortie à vélo, certes longue, mais possible ? Et n’est-ce pas aussi cet héritage impérial qui continue d’imprégner notre regard — y compris quand on parle d’Olympisme ?

La route croise ensuite Box Hill. Point culminant du tracé olympique de 2012 : les coureurs l’ont gravi neuf fois ce jour-là. Moi, une seule suffit. L’ascension se fait par la Zig Zag Road, une sorte d’Alpe d’Huez des banlieues londoniennes. En haut, les cyclistes s’arrêtent pour un café. Les Anglais, avec leur discipline coutumière, font la queue pour des parts de gâteau maison et des canettes de limonade. Devant moi, la vue s’ouvre sur le Sussex, collines vertes et cottages jusqu’à la mer.

Qu’importe : au bout de la route, l’océan. Une dernière montée et Brighton surgit, baignée de soleil.

« Baby, you are in Brighton ! » hurlent des ados au bord de la plage. Je ris, puis me laisse emporter par l’ambiance : fish & chips, vieux hôtels, le Brighton Pier illuminé. Mais le temps passe. Dix-sept kilomètres vallonnés jusqu’à Newhaven m’attendent, sur une route très fréquentée et dangereuse. J’arrive au port quelques minutes avant la fermeture du check-in. Coup de chance.

Sur le ferry, le calme revient. «Une bière, voilà monsieur », dit le serveur en la posant. Un petit instant de France déjà. La nuit est courte, agitée. Au petit matin, Dieppe apparaît : falaises blanches, barbelés, contrôle sévère. « Votre passeport expire bientôt », lance le douanier. Retour dans l’Union européenne, mais sans illusions.

Cinq heures, Normandie encore endormie. Froid piquant, longues côtes, fatigue. Premier vrai doute. Puis à Saint-Saëns, une boulangerie ouvre : croissant chaud, un café. Le moral revient d’un coup.

Les routes droites et le vent arrière m’emportent vers Paris. Les vallées coupent parfois les champs : on sent la terre du Tour de France. Un panneau « Île-de-France ». Je crois toucher au but… mais il reste encore 80 km ! Banlieues infinies, circulation, feux rouges, pistes abîmées. Paris, ville-monde, ville sans fin.

La route grimpe vers la forêt de Versailles. Enfin un peu de calme. Le palais apparaît, immense, point de passage obligé : c’était le lieu du marathon olympique de 2024. J’ai eu le privilège d’y courir, au « Marathon pour tous », ouvert pour la première fois aux amateurs. Pas de droits d’inscription, les places tirées au sort, et pour ravitaillement : les fruits invendus d’un supermarché. L’idéal olympique vécu dans sa simplicité.

Encore une vingtaine de kilomètres, comme un semi-marathon symbolique. Mais avant Paris, un mur : la côte de Meudon. Cent mètres de dénivelé à plus de 13 %. Les cuisses brûlent, après déjà 300 km.

Puis soudain, au sommet : la tour Eiffel. Elle est là, dans l’axe. Descente rapide, Seine, petite Statue de la Liberté, et enfin le Champ-de-Mars. Les touristes affluent, copies conformes de ceux rencontrés la veille à Londres – comme s’ils avaient simplement traversé la Manche à pied.

Ma montre s’éteint. Moi aussi, presque. Plus de 320 kilomètres en un peu plus de 24 heures. Entre Londres 2012 et Paris 2024. Une folie, ou bien un voyage dans l’esprit olympique ? Je ne suis pas sûr. Mais peut-être que l’esprit olympique, s’il survit quelque part, se trouve justement dans ces contradictions : entre héritage impérial et rêves d’égalité, entre frontières bien réelles et l’illusion de pouvoir les franchir.

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