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Billet de blog 15 février 2012

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Droit de réponse de Rafael Lucas à un article de Raphaël Confiant

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Rafael Lucas réplique à un article de Raphaël Confiant
 
Raphaël Confiant, l'homme au courage intellectuel exemplaire (entre Zorro et le Chevalier blanc) La réplique du député martiniquais Serge Letchimy à la déclaration malencontreuse du ministre de l'intérieur Claude Guéant sur la hiérarchie des civilisations a soulevé un tollé médiatique, dû au fait que Letchimy a fait allusion aux idées nazies, à propos des implications des affirmations du ministre en question. Piqué au vif par un tel succès, l'écrivain martiniquais Raphaël Confiant estime que la réactivité provoquée par Letchimy s'explique par le fait qu'il ait parlé de nazisme et fait la part belle aux Juifs comme des victimes privilégiées... Dans le texte intitulé "Une certaine lâcheté intellectuelle" le grand "maître à manioc" de la Créolité martiniquaise nous offre un morceau d'anthologie de polémique facile, un nouveau "manger cochon" rempli d'affirmations hasardeuses, de généralisations absurdes et injurieuses, le tout couronné d'une énorme prétention baignant dans le ridicule. Regardons de plus près ce florilège.

Des affirmations hasardeuses

D'après Confiant, C'est "Simple comme bonjour : il y a un tabou européen sur la destruction des Juifs d’Europe." Or s'il y a un sujet qui n'est pas tabou en Europe c'est bien l'extermination des Juifs. Contrairement à ce qu'écrit Confiant, on ne doit pas pratiquer une géographie sélective de l'indignation face aux crimes de masse : un massacre au Darfour ou à Sebrenica est tout aussi scandaleux. C'est normal que "le reste de l'Humanité" soit solidaire de la condamnation du génocide des Juifs par le régime nazi.

Lisons ce petit diamant d'imbécillité du grand dénicheur de "mystifications" qu'est Monsieur Confiant :
Mystification d’abord au niveau de la dénomination même de l’abomination : « Shoah ». Son « inventeur », Claude Lanzman, a déclaré qu’il ne parlait pas l’hébreu !!! Nous non plus. Le reste du monde non plus. Alors pourquoi masquer derrière un mot hébreu mystérieux et incompréhensible, une chose qu’il est si simple de nommer : la destruction des Juifs d’Europe. Là c’est clair ! Là tout le monde comprend ! Là, je sais qui a été la victime et qui a été le bourreau, tandis qu’avec Shoah, tout devient subitement opaque. Claude Lanzmann n'est pas l'inventeur du mot Shoah, mot qu'il a utilisé comme titre de son célèbre documentaire de 1985. Il s'agit tout simplement du mot hébreu שואה (Shoah), utilisé par l'Etat d'Israël depuis 1949. Ce terme sera davantage consacré par le Mémorial Yad Va Shem en 1953 en Israël, monument établi pour commémorer l'extermination des Juifs par les nazis. Ce mot a été préféré au mot d'origine grecque holocauste et à l'autre mot hébreu חרבן (hourbann), destruction, qui se réfère à la destruction du Temple, notamment en 70 de l'ère commune. Or un temple détruit peut être reconstruit. Le mot Shoah désigne l'anéantissement absolu. Ce mot d'après Confiant serait "mystérieux et incompréhensible", alors que d'après lui il serait si "simple" d'employer une expression bien française, comme "la destruction des Juifs d'Europe", une expression que "tout le monde comprend"...
Dans ce cas, pourquoi garder des mots comme pogrom, apartheid, tonton macoute, gangster, kamikaze ? C'est l'impact de l'évènement historique qui impose un mot dans l'usage commun des locuteurs francophones et non la francité génétique du terme. Le grand écrivain de la Créolité semble oublier ce constat élémentaire. Le mot Shoah n'est pas aussi "opaque" que le dit Confiant. D'ailleurs l'opacité est l'une des grandes trouvailles littéraires d'une certaine littérature martiniquaise. . . Passons.

Les généralisations absurdes et injurieuses

"Désolé, mes ancêtres n’ont pas construit de chambres à gaz. Ni ceux des Chinois, des Arabes ou des Indiens, me semble-t-il. Ces machines infernales sont sorties tout droit du génie européen et de lui seul. Je refuse de partager la mauvaise conscience des Européens à l’endroit de ceux qu’ils ont transportés à Auschwitz et à Dachau."

Donc, si j'ai bien lu, les chambres à gaz sont sorties du "génie européen" et "les Français" sont responsables de la rafle du Vel d'Hiv... C'est une injure à la mémoire de tous ceux qui en France sont morts en combattant le nazisme. Les chambres à gaz ne peuvent être présentées comme une production du "génie européen". Si l'on suit a logique de ce genre de généralisation, les tontons macoutes refléteraient le génie haïtien, les Khmers rouges, le génie cambodgien et Al Qaida, le génie arabe... Quant à la géolocalisation de ce génocide catastrophique, Confiant semble y voir une particularité du Nord, car " Aucun peuple du Sud ne porte la moindre responsabilité dans la construction des chambres à gaz !" Pourtant, en cherchant bien, on trouve dans "le Sud" de nombreux massacres à grande échelle : le Darfour, le génocide commis au Rwanda, l'extermination de 20% des Cambodgiens perpétrée par Khmers rouges rouges de 1975 à 1979.

L'énorme prétention d'un chevalier blanc donneur de leçons

Là où le bât blesse : la réplique vigoureuse de Serge Letchimy aux divagations du ministre de l'Intérieur sur la hiérarchie des civilisations lui a valu beaucoup de réactions admiratives, alors que les dérapages frôlant l'antisémitisme de Raphaël Confiant (frère intellectuel du comédien Dieudonné) ont suscité dans le passé une indignation généralisée :

C’est ce que j’avais voulu expliquer il y a quatre ans dans un article qui m’a valu d’être lynché non seulement par la presse française (« Libération », « Le Nouvel Observateur », « Le Monde » etc.) et internationale (« Le Soir » de Belgique, The Los Angeles Times etc.), mais aussi par nombre d’intellectuels antillais et de lumpen-intellectuels comme ce médiocre historien à moitié guadeloupéen au patronyme d’insecticide qui, avec trois comparses universitaires antillais, tout aussi médiocres, a tenté de me faire passer devant le conseil de discipline de l’Université des Antilles et de la Guyane alors que mon article n’avait strictement aucun rapport avec cette dernière ni avec les cours que j’y dispense. A entendre tous ces gens, j’étais le pire des antisémites et à ce titre je devais être cloué au pilori ! Je n’ai guère trouvé, au cours de ce lynchage généralisé, que le quotidien algérien « El Watan » pour prendre ma défense"

" Or, depuis j’ai publié 7 livres, reçu les Prix de l’AFD (Agence Française de Développement) et du Salon du Livre Insulaire d’Ouessant ainsi qu’une trentaine d’invitations de partout (Etats-Unis, Colombie, Trinidad, Tahiti, Angleterre, Japon etc.) que je n’ai pu malheureusement toutes honorer."

"une incommensurable lâcheté" qui "n’est pas propre aux intellectuels antillais, elle sévit chez nombre d’intellectuels du Sud, notamment ceux qui sont planqués dans des universités euro-américaines, des maisons d’édition ou des journaux du Nord. Pour se faire bien voir de leur maîtres et continuer à recevoir émoluments, honneurs et autres, ces lâches avalisent la mystification opérée par l’Occident au sujet de cette abomination européenne que fut le nazisme."

Au cas où l'on n'aurait pas compris, le docteur Confiant fait une piqûre de rappel :

Or, nos chers intellectuels du Sud avalisent sans sourciller ces mystifications européennes , se permettant même de traiter d’antisémite et de vouer aux gémonies ceux, qui, comme je l’ai fait, osent mettre à nu lesdites mystifications.

Et il est comique de voir qu’aujourd’hui, les mêmes qui m’avaient cloué au pilori, voler au secours de Letchimy et se fendre de grands discours indignés dans les médias. Bande de farceurs, va ! De lâches aussi." Les intellectuels antillais e t ceux du Sud en général végéteraient dans cette "lâcheté incommensurable", s'il n'y avait eu cette intervention d'une audace téméraire de Confiant sans peur et sans reproche. Notre chevalier blanc ou notre Zorro à grande cape noire (au choix) termine par une de ces confusions dont il a le secret :

 Non, en tant que descendant d’esclave, je ne porte pas la responsabilité de la barbarie nazie. Non, je ne m’en sens pas coupable. Non, je n’ai pas de mauvaise conscience envers les Fils de Sion et je suis scandalisé, horrifié même, qu’après avoir traversé une telle tragédie, ils crucifient aujourd’hui le peuple palestinien. L'auteur connu pour ses délires verbaux (il avait traité Césaire de nègre marron d'opérette) et sa mégalomanie conclut par une envolée d'autosatisfaction :

Aucun intellectuel du Sud n’a eu jusqu’à présent le courage de dire clairement cela ! Eh bien, je le dis et redis, comme il y a quatre ans, et cela quelles qu’en soient les conséquences.

 (http://www.montraykreyol.org/spip.php?article5194)

Dans ce genre de délire verbal, les faits historiques maltraités côtoient des simplifications d'évènements dramatiques de l'Histoire et des insultes généralisées (lâcheté incommensurable des intellectuels du Sud), pour finir sur une auto-promotion d'un rédempteur risible d'un péché collectif invisible. Il est temps pour Raphaël Confiant d'aller dormir.

Rafael Lucas - Maître de Conférences - Institut Ibéro-Américain - Université de Bordeaux 3

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