Dans l'édition du 19 mai 2015 de Mediapart, Lucie Delaporte assouplit la ligne de défense de la réforme du collège, mais reste dans les clous de la communication ministérielle...
Ce billet était initialement une réaction à l'article de Lucie Delaporte en date du 19 mai, que vous pouvez trouver ici: http://www.mediapart.fr/journal/france/190515/reforme-du-college-les-raisons-de-la-greve , mais, comme la dernière fois, c'est devenu bien trop long... J'ai essayé d'éviter les redites par rapport à mon précédent billet, où vous pouvez peut-être trouver des choses qui vous intéresseront aussi.
Faute avouée à moitié pardonnée ?
La plus forte mobilisation relative des enseignants depuis 2005 a eu lieu ce mardi 19 mai, ce qui a permis de bouger les lignes dans le débat public. Lucie Delaporte, qui avait fait de la contestation de la réforme l'apanage d'une droite réactionnaire dans un précédent article(qu'on peut trouver ici : http://www.mediapart.fr/journal/france/130515/reforme-du-college-un-debat-hallucine ), a donc dû « revoir sa copie » . Il y a bien une contestation enseignante et syndicale...
Comme pas mal de lecteurs qui ont réagi, je trouve que cet article, contrairement au précédent, présente le mérite d'aborder certains aspects matériels de la réforme, qui motivent sa contestation par une grande partie des acteurs du collège.
L'enjeu du contrôle du récit
Mais je trouve que cet article insiste trop sur les EPI, en faisant le point d'affrontement principal, cela ne rend pas compte de ce qui motive ma contestation de cette réforme, et je ne pense pas être le seul dans ce cas. Cette focalisation sur les EPI a pour effet de cantonner le débat dans la querelle entre « anciens » et « modernes », tout en étant davantage centré sur des éléments concrets de la réforme. Or, comme dans l'article précédent de Lucie Delaporte sur le même thème (un « débat halluciné » entre une bande de réactionnaires de « droite » et des progressistes, un peu trop timides, mais de « gauche »), cela continue à coller parfaitement au storytelling du pouvoir concernant cette réforme et sa contestation (les réformistes modernes vs les adversaires réactionnaires).
Les EPI, toujours les EPI !
Concernant ces EPI, ma position est claire :
Je suis partisan du travail interdisciplinaire, ainsi que d'une pédagogie de projet, et même du travail coopératif entre les élèves dans le cadre du projet, car je pense qu'ils facilitent l'appropriation et donc l'approfondissement, c'est dire...
Mais la mise en place de ces enseignements nécessite d'une part une formation préalable des intervenants, absolument pas prévue ni financée par la réforme (et pour cause ! On verra plus loin...), une bonne maîtrise desdites disciplines par les élèves (pour l'amélioration de laquelle la réforme ne propose pas grand chose, à part... les EPI!) et elle nécessite l'investissement volontaire des enseignants pour ne pas sombrer dans l'ersatz de cours (ou pire...), or l'imposition autoritaire des EPI (voir mon billet précédent sur le thème, ici : http://blogs.mediapart.fr/blog/david-l/140515/la-reforme-du-college-mythes-realites-et-enfumages ) nuit pour le moins à cet intérêt spontané des enseignants.
Pour paraphraser certains préceptes pédagogiques : la contrainte ne favorise pas l'apprentissage de l'interdisciplinarité par les enseignants ! Tout ça nécessite quelques moyens et une réelle autonomie, non pas des « établissements », mais des équipes pédagogiques ! Or la réforme en prend le contre-pied, en multipliant les échelons hiérarchiques et en resserrant l'emprise de l'administration sur le fonctionnement des collèges publics.
Donc, je suis contre les EPI sous cette forme car ils ne constituent, en l'espèce, qu'un outil de flexibilisation de la main d'œuvre enseignante.
Les moyens, encore les moyens ! Parlons-en un peu quand même...
Par ailleurs cet article néglige un aspect majeur, et très révélateur des objectifs de cette réforme: la diminution sèche du nombre d'heures de cours pour absolument tous les élèves de collège, qu'il s'agisse d'un parcours avec ou sans option: -4.2% de cours (disciplinaire ou non) en moins pour les élèves sans option, -5.9% si on prend l'ensemble des élèves. En ces temps de rigueur budgétaire, c'est un aspect qu'on ne peut négliger.
Concrètement cela veut dire qu'on enlève en moyenne un peu plus d'une heure de cours par semaine à tous les élèves chaque année. Les inégalités scolaires reproduisent les inégalités sociales, l'immense majorité des personnes impliquées dans ce débat s'accordent sur ce point. Les points de vue commencent cependant à diverger sur la solution miracle trouvée par les hauts fonctionnaires de l'Éducation nationale : diminuer les heures de présence au collège afin que chaque élève passe un peu plus de temps dans son milieu social, vecteur d'inégalités culturelles évidentes... J'ai comme un doute sur la validité de la méthode !
Omettre cette dimension du débat est un silence extrêmement dommageable, selon moi, pour avoir une bonne intelligence de ses enjeux.
Un « nouveau collège » qui va durer combien de temps, au juste ?
D'autre part, il faudrait intégrer un peu de perspective historique pour expliquer les motivations de la contestation. La multiplication des réformes du collège (il s'agit ici de la 5e réforme depuis 1993!) manifeste leur inefficacité, et interroge sur la finalité réelle d'une telle fièvre réformatrice. Une réforme a à peine le temps de se mettre véritablement en place qu'on passe à la suivante ! Cela a entraîné une évidente précarisation pour les enseignants dans leur pratique, forcés de revoir l'organisation de leurs enseignements dès qu'ils arrivaient à trouver un modus operandi à peu près satisfaisant.
Cela explique la méfiance viscérale qu'inspire chaque réforme, d'un point de vue syndical. Du point de vue des élèves, la fragilisation des enseignements a également fait des dégâts. Parmi les systèmes scolaires les mieux classés dans le classement PISA, qui est désormais la seule boussole théorique qui semble orienter les politiques scolaires dans notre pays, quel a été le nombre de réformes durant la même période ? Il y a une dizaine d'années, Nico Hirtt a produit des travaux très intéressants sur les stratégies de privatisation rampante de l'éducation, inspirée d'officines néo-libérales et de travaux de recherches pour l'OCDE, j'ai tendance à penser que cette multiplication contre-productive de réformes en constitue un élément.
Dis-moi à combien d'élèves tu enseignes, je te dirai si tu es un bon prof !
Je force un peu le trait, c'est vrai...
Mais la question des effectifs en cours est aussi un enjeu majeur, même si le modèle finlandais tant vanté met surtout le paquet dans le primaire de ce côté-là, tout en maintenant des effectifs largement inférieurs aux nôtres dans le secondaire. Je pense que c'est en effectif réduit qu'on apprend le plus facilement l'autonomie dans les travaux attendus par l'institution scolaire. La solution optimale est l'effectif minimal, c'est à dire le cadre familial (enfin sauf chez les intégristes à poil ras ou à poil long...), mais ce cadre ne forme aux exigences scolaires que dans des milieux qui sont minoritaires dans la société, tout en étant dominants, économiquement et/ou culturellement, j'ai nommé les enfants de CSP++ et les enfants d'enseignants ! Est-ce une simple coïncidence si on tient là les catégories qui scolarisent le plus leurs enfants dans le privé ?
Pour les enfants issus d'autres CSP, la question des effectifs en collège serait peut-être moins primordiale si le début de la scolarité proposait un meilleur taux d'encadrement. Or, cette réforme n'apporte absolument aucune solution dans ce domaine, car elle ne fait rien pour le primaire, et plus grave, diminue encore les possibilités de cours en groupe réduit en collège, qui permettraient, peut-être, de remédier un peu aux difficultés constatées à l'issue du primaire.
Le triste sort de l'Adaptation et Intégration Scolaire (AIS)
Un dernier mot, ou presque, sur une dimension qui est, elle, totalement absente du débat, alors qu'on parle, soi-disant, de résoudre les problèmes des élèves en difficulté: le sort fait à l'adaptation et intégration scolaire (AIS) depuis bientôt 20 ans.
Les moyens attribués aux structures AIS, ainsi qu'à la formation de ces enseignants spécialisés, sont en chute libre depuis 2002. Sous des prétextes "intégrationnistes" ("il ne faut pas garder les élèves confrontés à une difficulté particulière à l'écart des autres pour éviter une ségrégation sociale à leur encontre") ces structures (où les effectifs étaient réduits) ont perdu leur caractère permanent pour devenir des "réseaux" (RASED), qui voient leurs moyens rognés progressivement.
Cela a abouti à rendre les élèves présents en collège encore plus hétérogènes au niveau scolaire. Sachant que si les effectifs moyens des classes de collège n'ont connu qu'une faible augmentation depuis plusieurs années, il faut bien comprendre que cette relative stabilité masque des situations plus complexes, car en dehors des zones d'éducation prioritaire, les effectifs ont en réalité augmenté depuis les années 1990. La dissolution de l'AIS, jointe à cette augmentation des effectifs hors ZEP a rendu les difficultés parfois presque insurmontables, même en dehors des ZEP (et en ZEP, les effectifs ont donc diminué, mais en intégrant dans les classes "ordinaires" les élèves présentant de lourdes difficultés face à l'apprentissage, le bénéfice des faibles effectifs étant compensé, au moins en partie, par cet accroissement de l'hétérogénéité).
Ce dont je ne parle pas, mais qui pèse lourd aussi...
Si vous avez eu le courage de me suivre jusque-là, vous aurez remarqué qu'un enjeu revient de façon récurrente, il s'agit de la formation initiale et de la formation permanente des enseignants. Je ne suis pas assez armé sur le sujet pour l'évoquer de façon synthétique, donc, j'ouvre à la réflexion en vous orientant vers des gens qui ont des choses à dire sur la situation contemporaine :
Sachant que nos prédécesseurs dans le « plus beau métier du monde » ont aussi des expériences à partager dans ce domaine, qui peuvent être éclairantes, à l'heure où l'infantilisation et l'individualisme sont des maux qui rongent les rapports hiérarchiques au sein de l'Éducation nationale :
Pour un vrai débat démocratique sur l'école ! Vive la contestation de la réforme !
Ce qui se passe ces jours-ci autour de la réforme du collège est une opportunité de remettre l'école au cœur d'un vrai débat démocratique, loin du huis clos de l'EN, où le corporatisme des syndicats n'arrange rien, c'est vrai, mais où le ministère fonctionne de façon irrationnelle, d'un bout à l'autre de la chaîne, sous la contrainte de la « communication », où alimenter la page internet de l'établissement devient un enjeu qu'on rappelle aussi souvent que faire se peut (« tous ces projets, il faut les faire figurer sur le site du lycée »), où la formation permanente et initiale me donnent l'impression d'être en réalité des prébendes pour des réseaux animés par les différents échelons de la hiérarchie (IPR, IA...), où les « expériences pédagogiques » sont systématiquement instrumentalisées pour justifier des restructurations défavorables aux enseignants et aux élèves.
La société doit mettre son nez là-dedans, mais cela peut-il se faire de façon saine, étant donné l'état des rapports de force sociaux aujourd'hui ? La farce du « grand débat sur l'école », qui a suivi la vaste mobilisation des salariés du secteur en 2003, incite à penser le contraire.
Les prémices du débat sur la réforme du collège également, mais, à elle seule, cette journée de mobilisation, plutôt réussie, mais isolée, a déjà commencé à faire bouger les lignes. Si ce mouvement gagne en puissance, on peut espérer que le débat sur l'école prendra une vraie dimension démocratique, comme il avait failli le faire en 2003. Pour ce faire il faut évidemment que ce mouvement de mobilisation parvienne à influencer davantage le récit médiatique, ce qui n'est pas une mince affaire.
En finir avec le traumatisme de 2003 ! Pour une psychothérapie militante de groupe...
Et c'est par ce point que je terminerai :
En vue de réussir une véritable mobilisation d'ampleur, qui favorise l'émergence d'un vrai débat démocratique et social, il faudrait aussi que les innombrables enseignants qui se sont mobilisés en 2003 tentent une réelle analyse de cette défaite majeure. Je garde une image romantique de ce mouvement, y ayant participé très activement, mais je réalise quotidiennement comment cette défaite a profondément marqué toute la profession, la démobilisant politiquement.
Si nous voulons à nouveau défendre efficacement notre outil de travail et améliorer le sort de nos élèves, nous devons faire un bilan critique de ce mouvement, cela évitera qu'il représente, toute proportion gardée (on est des petits bourgeois, on est plus facile à traumatiser!), un tournant aussi décisif que la grève des mineurs britanniques face au pouvoir thatchérien.
Qu'est-ce qui a marché ? Qu'est-ce qui a foiré (en allant bien au-delà des « trahisons syndicales » de préférence, histoire de ne pas tomber dans le jeu des anathèmes politico-syndicaux...) durant ce mouvement ?
Si de bonnes âmes ont envie d'échanger sur ce sujet, qu'elles n'hésitent pas ! Au pire on en fera un livre;-)