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Lors de son intervention, Barnier affirme qu'il est « urgent de sortir l’immigration de l’impasse idéologique ». Par cette déclaration, il tente de se positionner comme neutre, transcendant les débats politiques. Pourtant, cette posture, loin d’être objective, repose elle-même sur une vision idéologique. En politique, toute prise de position sur l'immigration, que ce soit en faveur de plus de contrôle ou d’ouverture, est idéologique, c’est-à-dire ancrée dans une conception particulière de la société. Derrida nous enseigne que l'effacement de cette dimension idéologique est précisément une forme de manipulation, pour masquer les enjeux réels.
Plus troublant encore, Barnier justifie son approche en avançant le chiffre de 2,5 millions de visas délivrés en 2023. Une analyse rapide des chiffres montre que cette affirmation est trompeuse. Sur les 2,4 millions de visas délivrés cette année-là, 87 % sont des visas de court séjour (principalement pour le tourisme ou le travail temporaire) et ne concernent pas l’immigration au sens propre. Les véritables visas d’immigration sont bien plus modestes : 300 000 visas de long séjour, dont 80 % sont accordés à des étudiants, des travailleurs ou des membres de familles de résidents légaux. Même si une infime partie des personnes qui se voient délivrer un visa court séjour se maintiennent ensuite sur le territoire, utiliser ces chiffres pour justifier une politique de durcissement migratoire est non seulement erroné, mais relève de la démagogie.
Le concept d’« accueillir moins pour accueillir mieux » est ensuite avancé. Or, cet argument, présenté comme pragmatique, mérite lui aussi d’être déconstruit. La crise ukrainienne de 2022 a montré que la France pouvait, en quelques mois, accueillir plus de 100 000 réfugiés sans que la question des moyens ne soit remise en cause. Alors, pourquoi serait-il impossible d’étendre cette capacité à d’autres populations ?
Par son usage simpliste des chiffres, Barnier révèle une stratégie populiste classique : simplifier des réalités complexes pour mieux justifier des choix politiques. Si la déconstruction nous apprend quelque chose, c’est qu’il n’y a pas de discours neutre, et qu’il est nécessaire de s’éloigner des raccourcis faciles pour embrasser la complexité des faits.
Son discours, ajouté aux différents propos de Bruno Retailleau, renforcent le sentiment d’un glissement vers une politique migratoire toujours plus restrictive, toujours plus éloignée des valeurs fondamentales humanistes, négligeant tout véritable débat de fond sur l'immigration au profit d'une rhétorique simpliste et dangereuse. Plus que jamais, la déconstruction de ces discours s’impose pour comprendre ce qui est vraiment en jeu : non pas des chiffres, mais des choix de société.