Après avoir ouvert notre cercle de lecture avec René Maran, en novembre 2025, nous poursuivons notre parcours dans la littérature kréyolphone en accueillant l'un des pères fondateurs de la Négritude : Léon-Gontran Damas.
Qui est Léon-Gontran Damas ?
Léon-Gontran Damas naît en 1912 à Cayenne, Guyane française, dans une famille métisse de la bourgeoisie créole. Envoyé faire ses études à Paris, il y rencontre Aimé Césaire et Léopold Sédar Senghor. Ensemble, ils fondent le mouvement de la Négritude au début des années 1930, affirmant la dignité et la richesse des cultures noires face au discours colonial.
Mais Damas n'est pas seulement un théoricien. En 1937 et deux ans avant le célèbre Cahier d'un retour au pays natal de Césaire, il publie Pigments, premier recueil de poésie de la Négritude.
Le livre est immédiatement saisi par les autorités coloniales. Cette censure est un aveu : ces vers sont dangereux.
Député de la Guyane de 1948 à 1951, représentant à l'UNESCO, professeur aux États-Unis, Damas ne cesse jamais d'écrire. Il poursuit avec l'essai Retour de Guyane (1938), une critique acerbe du colonialisme, Black-Label (1956), Névralgies (1966). Il meurt en 1978 à Washington, loin de sa Cayenne natale.
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Pourquoi lire Pigments ?
Une poésie du corps contraint
Pigments est un recueil de vers courts, percutants, écrits dans un style syncopé proche du jazz. Damas y exprime la colère de l'homme noir assimilé de force, le déchirement identitaire du colonisé, la révolte contre l'ordre qui l'a fabriqué.
Le titre lui-même est programmatique. Les pigments, ce sont les marques visibles de la différence, ce que le colonialisme veut effacer ou contrôler.
Mais chez Damas, les pigments ne disparaissent pas : ils crient, ils résistent, ils s'affirment.
Le hoquet comme métaphore
Le poème le plus célèbre du recueil s'intitule « Hoquet ». Le hoquet, c'est le corps qui se rebelle involontairement contre ce qu'on veut lui faire avaler. C'est la parole qui remonte malgré la répression. C'est l'involontaire qui brise le contrôle.
Dans ce texte, la mère du poète — figure tragique de l'assimilation intériorisée — impose les codes européens : bien se tenir, bien parler, apprendre l'histoire de France, mériter la messe du dimanche. Mais le corps du fils refuse. Il hoquette. Il dit non sans le vouloir.
Toute la poétique de Damas est là : des vers qui cassent le souffle, des répétitions obsessionnelles qui miment la suffocation, un rythme emprunté au blues.
Là où Césaire déploie des vagues surréalistes, Damas martèle. Là où Senghor chante en alexandrins, Damas cogne en syncopes.
Une voix guyanaise
Damas apporte aussi une géographie différente dans notre parcours. La Guyane n'est pas la Martinique ni Haïti. C'est un territoire continental, tourné vers l'Amazonie autant que vers la Caraïbe. C'est la terre des Nègs-Mawons, ces esclaves fugitifs qui ont reconstitué des sociétés libres au cœur de la forêt. Damas, c'est un créole mêlé d'influences amérindiennes et brésiliennes.
Cette guyanité traverse l'œuvre de Damas et enrichit notre exploration de l'espace kréyolphone. Après les Antilles avec Maran, nous élargissons la carte du voyage.
De Maran à Damas : tracer une généalogie
En choisissant Damas, après Maran, Le Jardin de minuit ne suit pas uniquement une chronologie.
Nous traçons une filiation intellectuelle et littéraire. Les deux hommes se connaissaient : Damas a toujours reconnu sa dette envers l'auteur de Batouala. Dans la préface de Pigments, le poète Robert Desnos écrit que Damas « continue le travail commencé par René Maran ».
Maran écrivait en prose, dans un français académique, avec la distance de l'observateur fonctionnaire. Damas écrit en vers, dans un français troué de silences, avec la rage du concerné. Maran décrivait l'Afrique colonisée depuis un poste administratif. Damas hurle depuis le corps même du colonisé.
Cette progression — du constat à la révolte, de l'extérieur à l'intérieur, du roman au poème — est celle que nous explorons ensemble.
Chaque séance du Jardin de minuit est un pas de plus dans la compréhension de cette littérature qui n'a jamais cessé de se battre.
Pourquoi lire Damas en 2025 ?
Parce que l'assimilation n'a pas disparu. Elle a changé de vocabulaire, de forme, de stratégie. Elle ne passe plus par la mère qui interdit le créole à table mais par l'algorithme qui invisibilise certaines voix. Elle ne s'appelle plus « mission civilisatrice » mais « intégration républicaine ». Elle ne censure plus les recueils de poésie mais elle décide quels récits méritent d'être publiés, traduits, enseignés, médiatisés.
Lire Damas, c'est réapprendre à reconnaître ces mécanismes. C'est entendre une voix qui refuse de se justifier, de s'excuser, de négocier sa légitimité. C'est redécouvrir que la colère peut être une forme de clarté, que le refus peut être un acte de santé.
Sa poésie nous rappelle aussi qu'il existe d'autres rythmes que ceux de la France hexagonale, d'autres beautés que celles du canon européen, d'autres intelligences que celles de l'Académie.
Le jazz de Damas nous dit : votre norme n'est pas la seule, votre centre n'est pas le monde.
Déroulé de la rencontre
- Ouverture et intention du soir
- Mise en contexte : Damas, la Guyane, Paris, la Négritude
- Lecture à voix haute
- Arpentage collectif : distribution de texte, lecture individuelle, restitution tournante, tissage
- Discussion
Informations pratiques
Date : jeudi 11 décembre 2025
Heure : 19-21h
Lieu : Maison des associations, 11 rue Caillaux, 75013 Paris
Vous n'étiez pas là en novembre ?
Aucun problème. Chaque séance du Jardin de minuit se suffit à elle-même. Vous pouvez rejoindre le cercle à tout moment. Nous tissons un fil conducteur qui mène à SILEK 2026, mais chaque veillée est une porte d'entrée possible.
Il suffit de venir avec votre curiosité, votre disponibilité et l'envie de partager un moment de lecture collective. Les poèmes feront le reste.
Le Jardin de minuit : un projet au long cours
Le Jardin de minuit n'est pas un simple club de lecture.
C'est un espace de transmission culturelle qui réactive la « parole de nuit » des sociétés créoles : ces moments où la communauté se rassemble pour raconter, transmettre, résister.
Chaque mois jusqu'en mai 2026, nous lisons ensemble un auteur de l'espace kréyolphone. Nous construisons une communauté de lecteurs avertis qui deviendront les ambassadeurs culturels de SILEK 2026, le Salon International du Livre de l'Espace Kréyolophone prévu les 22, 23 et 24 mai 2026, date anniversaire de l'abolition de l'esclavage en Martinique.
Notre objectif : faire de SILEK un événement porté par un public informé, passionné, capable de dialoguer avec les auteurs invités. Chaque séance du Jardin de minuit est une pierre de plus dans cet édifice.