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Pendant ma résidence à l'Abbaye de Neimënster, j'ai enfin pu travailler sur un projet artistique, apparemment approuvé par mon hôte. À l'aube de mes 40 ans, j'ai savouré, pour la première fois, pendant quelques semaines de résidence de recherche, le plaisir de me consacrer entièrement à la création, libérée de soucis matériels. Malgré mes origines luxembourgeoises, pays réputé pour sa prospérité mais aussi pour son "puritanisme artistique", je continue à travailler de manière indépendante.
#Balancetheartworld
Comme #noustoutes, j'ai évolué dans un monde artistique inégalitaire. Mon parcours en tant que femme et artiste m'a souvent confrontée à la précarité et aux sacrifices nécessaires pour auto-produire mes œuvres. Je suis performeuse, je travaille avec mon corps, en utilisant mon sexe comme un révélateur des rapports hiérarchiques qui sévissent dans le monde de l'art.
Plafond de verre et "fraternité" abusive
Très tôt, les hommes - professeurs d'art, critiques, curateurs, galeristes, directeurs de musée - ont fantasmé sur ma liberté du corps plutôt que de la respecter. Tandis que mes confrères masculins bénéficiaient de soutiens publics, pour moi, une autre voie de soi-disant "soutien" s'est révélée être un piège aux multiples facettes : emprise psychologique, emprise économique, abus de pouvoir sexuel...
Ce système d'exploitation sexuelle, si caractéristique du monde des arts, qui historiquement glorifie la figure de Pygmalion, constitue l'une des raisons pour lesquelles les femmes artistes sont absentes des sommets. Les acteurs de ce maquereautage systémique ont tout intérêt à protéger leur terrain, en excluant les sexes sur lesquels ils veulent garder la main, loin du champ de l'art, du marché et de l'histoire.
Feminism-institutionnel post #metoo vs Feminism-washing-complice?
Bien que le féminisme soit désormais convoité, voire exposé en vitrine dans les programmations à la recherche d'inclusivité, mes affrontements avec les cercles de pouvoir artistiques enracinés dans une "fraternité politique" expliquent le subtil "blacklisting" dont fait l'objet mon oeuvre.
Si certaines femmes dirigent désormais des centres d'art ou autres lieux culturels, les intérêts politico-économiques des institutions persistent dans un fonctionnement patriarcal qui perpétue les abus... Dans quel sens iront les directrices, ayant acquis un certain pouvoir ? https://www.challenges.fr/femmes/qui-sont-ces-femmes-qui-comptent-dans-le-monde-de-l-art_688112
En 2019, Ainhoa Achutegui, responsable de l'Abbaye de Neumünster, s'est interrogée dans son plaidoyer féministe pour le magazine "Forum" sur la malveillance entourant la réception de mes performances. Elle dénonce : "Beaucoup d'institutions prennent leurs distances vis-à-vis de Deborah de Robertis". https://www.forum.lu/article/le-corps-revolutionnaire-qui-regarde
Et qu'en est-il pour l'Abbaye ?
Peut-on séparer la féministe de la directrice?
En 2015, j'ai rencontré Ainhoa Achutegui, une femme revendiquant un féminisme radical https://lequotidien.lu/politique-societe/luxembourg-le-feminisme-na-jamais-ete-pacifique/, qui dirige depuis près de dix ans l'un des lieux artistiques luxembourgeois les plus aisés. Depuis cette rencontre, elle a exprimé un soutien à ma démarche. Paradoxalement, huit années se sont écoulées sans collaboration plus concrète avant que je ne me décide à franchir les portes de son bureau pour qu'elle assume son soutien. Si on ne peut pas séparer l'homme de l'artiste, on ne peut séparer la féministe de la directrice.
"Donner aux artistes un meilleur cadre pour les protéger." ... déclare Sam Tanson, ministre de la culture et féministe convaincue.https://gouvernement.lu/de/actualites/toutes_actualites/interviews/2023/07-juillet/19-tanson-luxemburger-wort.html
En frappant de plus belle à la porte de l'Abbaye de Neimënster, je désire faire exploser le plafond de verre qui anéantit l'œuvre des créatrices. J'espère ainsi échapper aux risques associés aux soutiens "officieux" qui ont marqué mon corps et entravé mon travail. J'ai eu des réponses peu engagées en comparaison avec la radicalité du soutien sur papier. Pour que l'engagement passé soit effectif, cela impliquerait une résidence conduisant à une programmation plus officielle. L'institution, tout en offrant de la visibilité, assumerait ainsi la présentation d'une pièce aboutie permettant à l'œuvre de voir le jour et d'être menée à terme in situ: de ne pas être avortée.
Qu'attendre de moins d'une femme directrice ayant défendu mes gestes artistiques, s'insurgent quant à la condition immuable des femmes artistes? Dans le cas contraire, je considère que son texte serait caduc.
Art, argent: opportunisme"féminin"?
Ayant confronté par mes performances un certain nombre de grands musées, les voies classiques me demeurent fermées, menaçant ainsi la survie de mon œuvre. Pour la toute première fois, je demande l'autorisation de créer sans interruption violente, sollicitant après tant d'années le soutien financier d'une institution publique dirigée par une féministe. Je remets une fois de plus à l'épreuve nos engagements communs, l'une de nous deux exerçant en dehors du système qu'elle ne cesse de dénoncer, et l'autre, bien installée à l'intérieur du même système. L'aspect économique est au cœur de ma lutte, car il recouvre des enjeux politiques féministes majeurs. De tout temps, la société reproche aux femmes leur opportunisme : je n’y échappe guère de par mes performances, sitôt que j'ose désirer davantage que la seule place d'objet exploité.

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https://www.neimenster.lu/past-events/deborah-de-robertis-jowan-lebesco/
Et le Centre Pompidou de Metz?
Seules quelques féministes prenant les rênes d'institutions vont-elles contrecarrer ce "proxénétisme institutionnel" coutumier, ou au contraire fermer les yeux pour protéger leurs privilèges acquis ?
Je pense, tout naturellement, aux rares femmes de pouvoir avec lesquelles j'ai eu à affaire sur mon chemin ardu vers la reconnaissance dans un monde de l'art qui était, hier encore, exclusivement masculin. Notamment, à Chiara Parisi https://www.lemonde.fr/culture/article/2019/11/13/l-audacieuse-chiara-parisi-bientot-a-la-tete-de-pompidou-metz_6018989_3246.html que j'invite à se positionner dans le contexte d'une exposition autour de "L'Origine du Monde" https://www.centrepompidou-metz.fr/fr/programmation/exposition/lacan-lexposition qu'elle dirige avec un curateur https://www.academiedesbeauxarts.fr/bernard-marcade qui, pour des raisons "personnelles" abusives, fait obstacle à l'invitation pourtant initiée par le Centre Pompidou lui-même...
La machine institutionnelle censure à coups de procédures administratives abusives, qui peuvent sembler anodines, ceux et celles qui la critiquent. Mon sexe, dénonce cette violence, au-delà de toute fausse polémique, il a toujours eu pour fonction de dévoiler les formes d'hypocrisie dans le monde de l'art: https://www.youtube.com/watch?v=kHBJ4yzec8c&t=2805s
Sororité vs Sororicide?
J'exige une "sororité politique" qui éliminerait tout risque de "féminism-washing" à l'égard de mon travail. Or, comme le souligne de manière toujours aussi transgressive l'amie Geneviève Fraisse https://www.lemonde.fr/livres/article/2022/09/25/genevieve-fraisse-quand-on-parle-d-identite-on-oublie-l-egalite_6143088_3260.html, dans une logique d'égalité, il faut, à l'inverse, considérer la piste du "sororicide"...
Ainsi, la prise de position de certains lieux artistiques tenus par des femmes représente pour moi un indicateur crucial qui, je l'espère, changera le cours de l'histoire contemporaine et ouvrira la voie à une audace institutionnelle post #metoo.
Deborah de Robertis