Bonjour,
Je regrette de ne pas être parmi vous. Je vous souhaite une très belle et riche rencontre.
Mes ami-e-s de DLA m'ont demandé de rédiger un message, le voilà:
"La décolonisation est un processus historique", a écrit Frantz Fanon. Ce qui me plaît dans cette phrase, c'est la notion de processus, d'objectif toujours renouvelé, de possibilités nouvelles.
En ce moment, le terme de "décolonisation" revient sur la scène publique, la décolonisation serait à l'ordre du jour : mais laquelle? Avec qui? Comment?
Historiquement, deux mouvements coexistent dans le processus de décolonisation, chacun étant profondément lié à l'autre
- d'une part, dénoncer des formes de colonialité du pouvoir, les pratiques de racisation, de discrimination, d'exclusion, de dépossession de soi, des terres, des richesses, de censure, dans le but de se réapproprier une souveraineté, une indépendance.
- de l'autre, sa propre décolonisation, la "décolonisation des esprits" (Ngugi wa Thiongo): déconstruire mes propres aliénations, identifier la manière dont la colonialité s'est insinuée en moi, dans mon vocabulaire, mes pratiques. Quels sont les bénéfices secondaires de l'aliénation, de la victimisation ?
Si nous savons identifier plus clairement les causes et les objectifs du premier mouvement, le second reste à entreprendre.
Les obstacles et les entraves ne sont pas les mêmes d'un champ à l'autre, ils n'en sont pas moins aussi puissants dans le champ de notre intimité, de nos inconscients.
Si nos combats visent à une réparation légitime sur la scène publique des arts, il me semble que décoloniser les arts porte plus loin. Il ne s'agit pas, pour moi, seulement d'identifier les chapitres oubliés, les personnages effacés et de les intégrer au récit national. C'est une stratégie importante, mais c'est le cadre même de la "Nation", du national, qu'il faut, à mes yeux, questionner. Décoloniser, c'est aussi dénationaliser, poser la question de ce qui constitue le "commun", ne pas éviter les frictions et les contradictions, mais travailler avec le dissensus.
Je vous souhaite de très beaux échanges.
Françoise Vergès
Présidente de DLA