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Billet de blog 8 octobre 2023

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Huit semaines pour conforter le collège unique, pas pour y renoncer

Plus forts que Jules Verne, allons-nous faire le tour du monde – scolaire – en 56 jours pour trouver des remèdes qui nous auraient malencontreusement échappé depuis 40 ans ?

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Huit semaines pour conforter le collège unique, pas pour y renoncer

Plus forts que Jules Verne, allons-nous faire le tour du monde – scolaire – en 56 jours pour trouver des remèdes qui nous auraient malencontreusement échappé depuis 40 ans ? Cela pourrait prêter à sourire si notre école ne méritait pas mieux. Formons le vœu que ces huit semaines soient utiles au ministre et ne soient pas utilisées par tous ceux qui, en réalité, n’ont jamais accepté le collège unique et son corollaire, l’hétérogénéité des élèves. Ceux-là pourraient être tentés de préparer les esprits à une « restauration », fort peu républicaine, d’un collège dans lequel le séparatisme social et scolaire serait davantage encore, conforté, organisé, et finalement assumé. Avant de foncer tête baissée vers des mesures partielles qui ne règleront rien (l’uniforme, le redoublement, les classes de niveau…), et parce que communiquer n’est pas réformer, essayons de voir le problème dans son ensemble.

Tout le monde sait, à commencer par les professeurs de collège eux-mêmes, que le collège est le lieu où se concentrent d’importantes difficultés : un nombre significatif d’élèves entrent dans le second degré sans maîtriser les apprentissages de base et perdent pied tout au long de leur scolarité. Les enseignants du collège ont une tâche extrêmement compliquée à accomplir. Mais, faut-il le rappeler, le collège est le terme de la scolarité obligatoire, il n’est pas responsable de ce qui se passe en amont. Nous livrons donc ici quelques points de vigilance à l’attention du ministre.

Pourquoi a-t-il fallu attendre si longtemps pour prendre conscience du trop faible investissement budgétaire pour l’école primaire dans notre pays ? Pourquoi avons-nous les effectifs de maternelle et d’élémentaire les plus chargés en Europe ? Pourquoi avons-nous affaibli depuis trente ans la formation initiale des professeurs des écoles et réduit à presque rien leur formation continue ? Pourquoi les rythmes scolaires à l’école primaire sont-ils dictés par l’intérêt des adultes et à ce point contraires à l’intérêt des enfants ? Pourquoi avoir considéré que l’histoire de l’éducation nationale commençait en 2017, comme si tout ce qui s’était fait avant était nul et non avenu ? S’il était nécessaire de dédoubler les classes en éducation prioritaire pourquoi l’avoir fait en supprimant, sans l’évaluer, un dispositif (« Plus de maîtres que de classes ») qui donnait satisfaction ?

Le collège ne va pas beaucoup mieux. Cela fait longtemps que l’on sait que la globalisation, dans les rectorats, des moyens consacrés aux collèges et aux lycées s’est souvent faite au détriment des collèges. La Cour des Comptes dressait dès 2003 un constat sévère : « le maintien, en second cycle, d’une offre de formation souvent surdimensionnée a ainsi été financé au détriment du collège qui n’a connu, depuis dix ans, qu’une amélioration limitée de ses moyens d’encadrement pédagogique. […] le premier cycle ne paraît pas avoir constitué la priorité des différentes politiques ministérielles »[1]. Ne pas donner au collège les moyens de gérer l’hétérogénéité des élèves et dire ensuite que l’hétérogénéité est un problème serait d’un cynisme absolu.

Les élèves qui arrivent en difficulté au collège ne sont pas responsables des dysfonctionnements du système. Il ne faudrait pas qu’ils soient les victimes de la « bataille du niveau » qui est annoncée. Faut-il rappeler que les élèves qui sont difficulté à l’entrée en sixième sont rarement des enfants de cadres et d’enseignants, ce sont majoritairement des enfants des milieux populaires (5% des décrocheurs sont des enfants de cadres, 45% des enfants d’ouvriers) ? C’est essentiellement pour eux que l’institution scolaire ne fait pas correctement son travail. 

De plus, les élèves arrivent dans un collège qui n’est toujours pas unique. L’a-t-il d’ailleurs jamais été « unique » le collège, avec notamment un palier d’orientation maintenu jusque dans les années 1990 et faute de mixité sociale et scolaire dans l’enseignement privé mais aussi dans l’enseignement public ? Comme le CNESCO l’a montré, 12 % des élèves fréquentent un établissement qui accueille deux tiers d’élèves issus de milieux socialement très défavorisés (ouvriers, chômeurs ou inactifs) [2]. Ces jeunes vivent leur scolarité dans des établissements presque exclusivement défavorisés. Mais certains collèges ont parfois des politiques qui installent au vu et au su de tous une ségrégation sociale et scolaire entre les classes d’un même établissement. Il est en effet observé qu’en 3e de collège, grâce aux options ou aux divers parcours, 45 % des collèges pratiquent une ségrégation scolaire active et 25 % des formes de séparatisme social [3] au moyen par exemple de la mise en place de « classes de niveau » qui existent donc déjà, ce qui est parfaitement illégal et surtout totalement inefficace pour les élèves les plus fragiles, la recherche l’a amplement montré. Va-t-on améliorer cette situation en créant des « groupes de niveau » toujours présentés comme temporaires mais qui deviennent très vite définitifs ? Comment éviter que le « collège modulaire » que certains proposent ne se transforme pas en « collège à filières » comme avant 1975 ? 

Dans le « socle commun de connaissances, de compétences et de culture » exigible à la fin de la scolarité obligatoire, c’est le mot « commun » qui est le plus important. Pour que ce socle soit vraiment « commun », Il faudrait que tout le monde s’y retrouve. Or, il faut reconnaître qu’en 2005 comme en 2013, on a raté une occasion d’enrichir le socle commun exigible à l’issue de la scolarité obligatoire pour y intégrer, à la manière de certains pays scandinaves, un enseignement technologique davantage manuel (mécanique, travail du bois, cuisine, électricité…) qui devrait faire partie de la culture de tout citoyen. Cela existait au collège avant 1975. Mais, comme le collège unique est très vite devenu une sorte de petit lycée préparant uniquement à la voie générale du lycée, ces enseignements sont apparus inutiles pour la formation des futures « élites » et ont disparu[4]. Beaucoup de collégiens se rendent compte très vite que le collège qui les accueille n’a pas été pensé pour tous. Avec la suppression récente d’une heure de technologie en sixième, on a fait le contraire de ce qu’il faudrait. Comprenne qui pourra. On ne réduit pas l’importance fondamentale des contenus à enseigner, et on ne « nivelle pas par le bas » comme le craignent certains, quand on travaille à définir des savoirs pour émanciper tous les élèves et non pour servir à la sélection sociale. L’enjeu est de taille : veut-on une « école de la culture pour tous ou une école qui fracture »[5].

Comment, enfin, espérer améliorer les résultats scolaires des élèves en général, et de ceux des milieux populaires en particulier, si on ne forme pas mieux les enseignants de collège qui sont trop souvent démunis pour enseigner à des effectifs d’élèves hétérogènes, démunis pour identifier et prévenir les difficultés de leurs élèves, démunis pour traiter ces difficultés ? Combien de temps faudra-t-il pour reconnaître qu’enseigner la spécialité « mathématiques » en terminale et enseigner les mathématiques dans une classe de 6e hétérogène, ce n’est pas exactement le même poste de travail ?

Renoncer au collège unique serait un non-sens dans une République qui se déclare fraternelle. Si on ne se paye pas de mots avec notre « vivre ensemble », alors il faut « scolariser ensemble » jusqu’à la fin de la scolarité obligatoire en s’en donnant enfin les moyens. C’est pourquoi, le collège unique est une question politique avant d’être une question pédagogique.

Jean-Paul DELAHAYE

Inspecteur général de l’éducation nationale honoraire

[1] L’évaluation de la gestion du système éducatif, rapport de la Cour des Comptes, 2003.

[2] CNESCO, Mixités sociale, scolaire et ethnoculturelle à l’école : quelles politiques pour la réussite de tous les élèves ? juin 2015

[3] Ibid.

[4] Jean-Paul Delahaye, Le Collège unique pour quoi faire, les élèves en difficulté au cœur de la question, Retz, 2006.

[5] C’est la thématique qui a été abordée lors des rencontres du CICUR le 20 novembre 2021 à Paris, à la Bibliothèque Nationale de France : « École de la fracture ou École de la culture ? Les savoirs au centre du débat ! »

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