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Billet de blog 14 janvier 2024

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Promouvoir la mixité sociale pour agir sur les inégalités à l’école

La mixité sociale devrait être la préoccupation première de tous les ministres de l’éducation nationale, tant la carte scolaire est devenue la partie visible, au sein du système éducatif, des clivages sociaux de la société. Il s’agit bien d’une question politique essentielle.

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Promouvoir la mixité sociale pour agir sur les inégalités à l’école[1]

La mixité sociale devrait être la préoccupation première de tous les ministres de l’éducation nationale, tant la carte scolaire est devenue la partie visible, au sein du système éducatif, des clivages sociaux de la société. Il s’agit bien d’une question politique essentielle.

Peut-on d’ailleurs parler de système éducatif au singulier dans un pays où les écarts sont devenus aussi importants, un système éducatif fonctionnant en réseaux d’établissements juxtaposés selon les catégories sociales ou en filières différenciées au sein même des établissements. En somme, un système éducatif qui s’organise et qui fonctionne par « Ordre », au sens que cela avait sous l’ancien régime, sous l’effet du creusement des écarts sociaux et culturels.

L’école n’est pas responsable de tout dans cette situation car elle n’a pas toutes les cartes en mains. Peut-on promouvoir à l’école la mixité sociale tant qu’on permettra à certaines communes de refuser d’avoir leur quota de logements sociaux moyennant le paiement d’une pénalité ? Si les riches ne faisaient pas sécession, évidemment les enfants, tous les enfants, viendraient à l’école avec une plus grande égalité de possibilités.

Il faut donc de la détermination, de la constance, du courage, il y en a eu à Toulouse ou à Paris, mais aussi de la patience et beaucoup de concertations pour conduire des opérations favorisant la mixité sociale, car il n’est jamais facile de tracer un périmètre de recrutement destiné à faire vivre ensemble des populations différentes. Il y a un équilibre à trouver entre les familles qui veulent la liberté de choisir le meilleur pour leurs enfants, et c’est bien légitime, et l’obligation, au nom de l’intérêt général, d’encadrer cette liberté pour préserver un minimum de mixité sociale et scolaire.

On sait que la mixité sociale ne nuit à personne mais est profitable à tous. L’Institut des Politiques Publiques a remis en novembre dernier un rapport sur la ségrégation sociale en milieu scolaire au Conseil d’Évaluation de l’École, rédigé par trois économistes : Pauline Charousset, Marion Monnet et Youssef Souidi. leur rapport montre « que plus les élèves de milieu défavorisé évoluent dans des classes au niveau et à la composition sociale hétérogènes, plus ils ont de chances de poursuivre des études supérieures et moins il y a de risque de décrochage. … La mixité sociale a aussi des effets relativement forts et bénéfiques sur les compétences non cognitives : l’estime de soi, la confiance en sa capacité à réussir scolairement si on fournit des efforts… Et ces effets sont bénéfiques pour tous les élèves, quel que soit leur milieu social d’origine »[2].

Mais il faut bien mesurer que la carte scolaire ne fera pas tout. L’égalité en droit de l’offre de formation partout sur le territoire est sans doute une condition première. Comme les travaux de Choukri Ben Ayed le montrent, les pays qui ont réduit la ségrégation scolaire « ne sont pas ceux qui ont sophistiqué les procédures d’affectation pour s’adapter à la hiérarchisation de l’offre scolaire. Ce sont au contraire ceux qui ont cherché à limiter les hiérarchisations et les clivages entre établissements[3]».

C’est là un premier levier fondamental. Comment en effet faire de la mixité sociale et scolaire non conflictuelle, quand par exemple on a ici des enseignants titulaires et là des enseignants contractuels, quand on a ici les ULIS, SEGPA et UP2A et là les classes à horaires aménagés. Le rapport Thélot de 2004 le préconisait déjà : « Pour éviter que l’École n’ajoute elle-même aux inégalités, il faudrait que l’offre éducative (options, enseignants, chefs d’établissement, cadre physique, etc.) ne soit pas de moindre qualité dans les quartiers ou pour les élèves défavorisés que pour les autres. […]»[4]. Ce quoi est insupportable pour les citoyens, c’est que la qualité de l’offre éducative soit aussi aléatoire dans notre système éducatif, c’est-à-dire aussi dépendante pour les élèves, de leur lieu de scolarisation. L’Instruction publique, pour reprendre les propos de Condorcet ne saurait être un « espèce de loterie »[5] pour les enfants du peuple. Et c’est bien à l’État de garantir à tous les enfants une égalité des droits sur l’ensemble du territoire.

Il est d’autant plus urgent de montrer que c’est possible, comme à Toulouse par exemple, que le contexte du moment n’est pas vraiment favorable à la mixité sociale tant ce contexte exacerbe l’angoisse des familles par rapport à la scolarité de leurs enfants et provoquent, ou réveillent, des stratégies qui ressemblent davantage à un sauve-qui-peut individuel qu’à un projet collectif.

Enfin, la réflexion à conduire pour davantage de mixité sociale et scolaire ne peut éluder la question de la participation de l’enseignement privé au « scolariser ensemble ». Car on a un très sérieux problème avec l’enseignement privé sous contrat. Avec l’Irlande et les Pays-Bas, nous sommes le pays qui finance le plus la concurrence privée de son école publique. Un enseignement privé qui accueille de moins en moins de populations défavorisées et de plus en plus de populations favorisées. Et, avec l’obligation scolaire à 3 ans qui n’a apporté aucune élève de 3 ans en plus dans les maternelles car ils y étaient déjà pratiquement tous, l’enseignement privé reçoit des dizaines de millions d’euros supplémentaires via les écoles maternelles privées pour la plupart catholiques. On allonge ainsi encore un peu plus le tuyau du séparatisme sans beaucoup demander en contrepartie.

Quelle société préparons-nous si nous ne parvenons pas à faire vivre et à faire apprendre ensemble, au moins pendant le temps de la scolarité obligatoire, dans des établissements hétérogènes, toute la jeunesse de notre pays dans sa diversité ? Quelle démocratie peut fonctionner durablement quand les élites, de droite comme de gauche, prétendent gouverner un peuple qu’elles n’ont jamais vu de près, y compris à l’école ?

Jean-Paul DELAHAYE

Inspecteur général de l'éducation nationale honoraire

[1] Note préparée à l’occasion de mon intervention au colloque organisé le 29 novembre 2023 par le Conseil scientifique de l’éducation nationale

[2] P. Charousset, M. Monnet, Y. Souidi. Ségrégation sociale en milieu scolaire : appréhender ses causes et déterminer ses effets. Novembre 2023. Note IPP n°97

[3] Propos du sociologue Choukri Ben Ayed, Café Pédagogique, 6 octobre 2014.

[4] Commission du débat national sur l’avenir de l’école présidée par Claude Thélot, Pour la réussite de tous les élèves, La Documentation française, 2004, p. 85 et 86.

[5] Condorcet, premier mémoire sur l’instruction publique, dans Cinq mémoires pour l’instruction publique, Garnier-Flammarion, 1994, p. 69.

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