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Billet de blog 21 août 2020

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La réforme des rythmes scolaires 2012-2017. Troisième partie.

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La réforme des rythmes scolaires 2012-2017[1]

 3. La réforme portée par Vincent Peillon en 2012-2014 répond point par point aux différentes demandes formulées depuis 2010.

A l’été 2012, Vincent Peillon réunit une grande concertation nationale pour la refondation de l’école (avec des représentants des enseignants, des parents, des élus, des associations, des experts…). La conclusion concernant les rythmes scolaires (groupe de travail animé par Agnès Buzyn) est une nouvelle fois sans ambiguïté : « En primaire, le nombre d’heures de cours ne doit pas excéder 5h par jour […] Augmenter à l’école primaire le nombre de jours de classe, par la mise en place d’une semaine de quatre jours et demi. La demi-journée supplémentaire serait le mercredi, avec possibilité de dérogations au niveau des communes »[2]. Parce que la réforme des rythmes scolaires ne concerne pas que l’école, le ministre de l’éducation nationale demande au premier ministre, fin août 2012, une réunion interministérielle en suggérant une liste des ministres potentiellement engagés (Jeunesse et Sports, Culture, Intérieur, etc.). Cette réunion, pourtant essentielle pour la mise en œuvre de nouveaux rythmes pour les enfants, ne sera jamais organisée.

L’automne 2012 est consacré à la préparation de la réforme avec tous les partenaires. De nombreuses réunions au ministère permettent plusieurs rencontres avec les collectivités territoriales, les parents, les représentants des personnels, les autres services de l’Etat, le monde associatif. Contrairement à l’annonce brutale du passage aux quatre jours en 2007, brutalité qui n’avait gêné personne, la réflexion pour le retour aux quatre jours et demi aura duré au total 3 années (2010-2013). Jamais au final une réforme n’aura été autant annoncée, préparée, concertée.

Le décret du 24 janvier 2013 relatif à l'organisation du temps scolaire dans les écoles maternelles et élémentaires, complété par la circulaire du 6 février 2013, constituait dans l’esprit du ministre de l’éducation nationale une première étape permettant d’engager une réforme qui pourrait à terme concerner le rythme annuel de scolarité (nous avions envisagé pendant la campagne d’allonger l’année scolaire de 36 à 38 semaines de 23 h) et les autres niveaux d’enseignement.

Le décret répondait point par point aux différentes demandes formulées depuis 2010. Il définissait un cadre national laissant des marges d’organisation sur le plan local (Jacques Pélissard s’en félicite d’ailleurs dans son allocution au congrès des maires de France en novembre 2012). Il élargissait la capacité d’initiative aux municipalités en plus des conseils d’école. Il prenait en compte des différents temps de l’enfant à travers le projet éducatif territorial. Il donnait une souplesse locale à travers les dérogations possibles. Il créait les activités pédagogiques complémentaires qui venaient s’ajouter aux 24 heures d’enseignement hebdomadaires.

Le 8 janvier 2013, le CSE rejette par 23 voix (dont le SNUipp-FSU, FO, CGT, Sud, le Syndicat national des lycées et collèges et les parents de la Fédération des parents d'élèves de l'enseignement public) contre 5 le projet de décret présenté par le ministère de l’éducation nationale. On compte 30 abstentions (dont le SGEN CFDT) et 14 refus de vote (dont le SE-UNSA). Trois ans seulement après l’appel de Bobigny pourtant massivement voté, aucun syndicat enseignant ou fédération de parents d’élèves n’a approuvé le texte. Le décret Darcos du 15 mai 2008 qui supprimait une matinée de classe avait été beaucoup mieux reçu ! Cela n’augure rien de bon pour la suite. Seuls les représentants de la Ligue de l'enseignement, de l'Assemblée des départements de France, de l'Association des maires de France et de la Jeunesse au plein air, c'est à dire les collectivités locales et les mouvements complémentaires de l'Ecole ont voté favorablement.

L’absence de revalorisation immédiate du salaire des enseignants est évidemment une donnée essentielle qui explique en grande partie le vote négatif des syndicats. Cette absence de soutien à la réforme de leur part, malgré les prises de position passées, a été un handicap déterminant. Ce retournement de position s’explique par les remontées négatives que les syndicats enregistrent dans leur base dès l’annonce, à l’automne 2012, des modalités concrètes de mise en application de la réforme. La semaine de 4 jours est considérée par la base comme un acquis social. La « priorité au primaire » affichée par le gouvernement se traduit, d’abord, dans ce que vivent les enseignants du premier degré dans les premiers temps du quinquennat, qu’ils estiment être une dégradation de leurs conditions de travail impossible à accepter.

A partir de ce moment, les syndicats cessent de porter la réforme. Ils la contestent au contraire sous des motifs divers et souvent contradictoires (mauvaise préparation, concertation insuffisante, pas assez de marges locales, trop de marges locales, risque de fatigue des enfants…). Poussés par une base qui ne se sent nullement engagée par les prises de positions de leurs syndicats depuis 2010, base qui demande une contrepartie financière à la matinée supplémentaire que le ministre ne peut leur accorder, les responsables nationaux ont radicalement changé de posture.

Mais, ce qui a été oublié depuis, c’est que l’aménagement des rythmes scolaires a aussi permis de réorganiser le temps de service des enseignants en confortant le temps de concertation et de travail en équipe éducative dans le cadre des 27 heures règlementaires. Et si, depuis 2013, le service des professeurs des écoles comprend comme auparavant 24 heures hebdomadaires d’enseignement, auxquelles s’ajoutent 108 heures annuelles dévolues à des activités complémentaires et au travail collectif et aux réunions, au total, le temps de présence des enseignants du premier degré devant les élèves est passé de 26h à 25 h, ce qui a été occulté et qu’il faut rappeler.

En 2014, Benoît Hamon succède à Vincent Peillon. Dès sa nomination, le nouveau et éphémère ministre de l’éducation nationale se bat avec succès, j’en ai été le témoin, pour préserver des créations de postes pourtant programmées mais que le gouvernement voulait réduire au mépris de la loi de refondation de l’école de juillet 2013. Mais le nouveau ministre juge bon de modifier le décret Peillon de janvier 2013 pour se concilier les collectivités locales. Il s’agit de donner la possibilité de grouper les activités périscolaires en les concentrant sur un seul après-midi, vendredi compris[3]. Octroyer aux adultes un week-end de deux jours et demi n’était évidemment pas ce qui avait été voulu en matière de rythmes scolaires. Je m’y suis opposé, je n’ai pas été écouté et j’ai démissionné de mon poste de DGESCO.

Le dernier mot de ce rapide rappel peut être donné à l’organisation de coopération et de développement économique (OCDE), qui a longtemps souligné le nombre exceptionnellement faible de jours de classe en France et qui avait salué le retour aux quatre jours et demi comme allant « dans le bon sens ». Éric Charbonnier expert à l’OCDE soulignait dans le journal Le Monde du 24 novembre 2015 que, si l’écart avec nos voisins s’était réduit avec le passage de la semaine de quatre jours à quatre jours et demi, il n’en restait pas moins que « la France, avec ses semaines de 4,5 jours – contre 5 jours dans la plupart des pays – est toujours le pays qui a le plus petit nombre de jours d’école ». « On continue malgré tout à interroger les nouveaux rythmes, la fatigue qu’ils induisent… Manifestement on se trompe de débat »[4]. C’est ce que disait encore récemment le Sénat dans un nouveau rapport le 7 juin 2017 intitulé « Rythmes scolaires ; faire et défaire, en finir avec l’instabilité » qui demandait de « faire prévaloir l’intérêt de l’enfant » et de « conserver le principe d'une semaine scolaire d'au moins quatre jours et demi à l'école élémentaire »[5]. Ajoutons que, outre le bénéfice pédagogique pour les enfants de la cinquième matinée de classe, l’offre d’activités périscolaires a considérablement augmenté. Avant la réforme seulement 20 % des enfants en bénéficiaient. En 2016-2017, ils sont plus de 70 %[6] !

Mais tout cela n’a pas empêché le « nouveau monde » autoproclamé et élu en 2017 de balayer l’intérêt des enfants et de restaurer ce qu’il faut bien appeler « l’ancien monde » des adultes de 2008.

Jean-Paul Delahaye, ancien conseiller spécial de Vincent Peillon

et ancien directeur général de l’enseignement scolaire (2012-2014).

[1] Cette note que nous livrons ici en trois parties a été rédigée en 2018 pour la Fondation Jean Jaurès. Jean-Paul Delahaye, La réforme des rythmes scolaires, Fondation Jean Jaurès, Inventaire 2012-2017, retour sur un quinquennat « anormal », novembre 2018, p. 197 et s. https://jean-jaures.org/nos-productions/inventaire-2012-2017-retour-sur-un-quinquennat-anormal

[2] Refondons l’école de la République, Rapport de la concertation, octobre 2012. http://www.ladocumentationfrancaise.fr/var/storage/rapports-publics/124000547.pdf

[3] Décret 2014-457 du 7 mai 2014, Journal officiel du 8 mai 2014.

[4] Aurélie Collas, « La France reste le pays de l’OCDE avec le moins de jours d’école », Le Monde, 24 novembre 2015.

[5] Jean-Claude Carle, Thierry Foucaud, Mireille Jouve et Gérard Longuet, Rythmes scolaires : faire et défaire, en finir avec l’instabilité, rapport d'information n° 577, fait au nom de la Commission de la culture, de l'éducation et de la communication et de la commission des finances, déposé le 7 juin 2017.

[6] Rapport à Monsieur le premier ministre sur la mise en place des projets éducatifs de territoires. Une réforme dans le rythme : vers une nouvelle étape qualitative, établi par Françoise Cartron, vice-présidente du Sénat, sénatrice de la Gironde, op. cité, 20 mai 2016.

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