Le Rassemblement National et l’école (actualisation du texte de juin 2024) :
La restauration d’un ordre ancien défavorable aux milieux populaires
Le dépôt par le Rassemblement National de deux propositions de loi sur l'école, le 11 juillet 2025, conduit à actualiser la tribune publiée ici même en juin 2024.
La mise en œuvre du programme du rassemblement national pour l’école serait une très mauvaise nouvelle pour les enfants des milieux populaires et marquerait une rupture profonde avec les principes de l’école républicaine. Mais comment être audible pour dénoncer un programme aussi réactionnaire pour l’école alors qu’une part de l’électorat du RN a pour base les laissés-pour-compte d’un système éducatif particulièrement inégalitaire et qui est aujourd’hui tout sauf exemplaire en matière de réussite des plus démunis ? Pour ces électeurs du RN, l’école de la République n’a pas été pour eux-mêmes et n’est pas aujourd’hui pour leurs enfants une école égalitaire et fraternelle, c’est le moins que l’on puisse dire. Ces scolarités qui sont des suites d’échecs et d’humiliations ne comptent pas pour rien dans le ressentiment éprouvé à l’égard du monde politique[1].
Contenu du programme du RN[2]
« La promesse de méritocratie républicaine, en particulier pour les enfants des milieux modestes et des classes moyennes, n’est plus garantie ». « L’égalité des chances n’est plus qu’un vœu pieux ».
« La restauration de notre système éducatif est vitale pour l’avenir de notre pays et de notre civilisation ».
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S’il y a eu une réelle démocratisation de l’école depuis 40 ans, les inégalités se sont déplacées. Il n’y a jamais eu de « méritocratie républicaine » pour les enfants des milieux modestes, mais plutôt un élitisme social camouflé en « élitisme républicain ». La France est, depuis longtemps, un des pays de l’OCDE dans lequel l’origine sociale pèse le plus sur les destins scolaires. Le RN est nostalgique d’un passé encore plus inégalitaire. En réalité, il prépare, c’est le sens du mot « restauration » qui n’est pas choisi au hasard, une véritable régression démocratique.
Contenu du programme du RN
« Reprendre en main le contenu et les modalités des enseignements… Le détail des programmes et les labels validant les manuels scolaires relèveront du ministre de l’Éducation nationale ».
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Avec le RN, ce serait le ministre qui déciderait de tout. « Reprendre la main », l’expression annonce une mise au pas autoritaire de l’école et de ses personnels. La labellisation des manuels scolaires ouvre la porte à des manuels officiels. Relevons que cette dernière mesure était reprise par G Attal dans son désastreux Choc des savoirs.
Contenu du programme du RN
« Le nombre d’heures de cours des élèves du primaire sera significativement accru ».
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Cette mesure montre que les auteurs du programme du RN ne connaissent pas l’école primaire. Ce n’est pas l’horaire global annuel des élèves du primaire qui pose problème (la France est en tête des pays développés pour le volume horaire annuel !), c’est sa très mauvaise répartition dans la semaine : on est le seul pays au monde à concentrer le temps scolaire du primaire sur seulement 4 jours (partout ailleurs c’est 5 jours voire 6 jours parfois). Les élèves ont donc des journées très longues (6 h) sources de fatigue.
Contenu du programme du RN
« - L’enseignement dans le primaire donnera une priorité absolue au français, aux mathématiques et à l’histoire de France »
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Les élèves du primaire ont déjà l’horaire le plus important d’Europe pour les matières dites « fondamentales ». Ce n’est pas davantage de temps qu’il faut mais un temps beaucoup plus efficace (formation des enseignants).
Contenu du programme du RN
« Dédoublement programmé des classes de grande section et de cours préparatoire : l’effectif maximal ne devra plus dépasser 20 élèves par classe. Dans le secondaire, un plafond de trente élèves sera également fixé ».
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C’est un problème identifié depuis longtemps. La France consacre moins de moyens que les autres pays européens pour la scolarité obligatoire (école primaire et collège où les effectifs par classe sont les plus chargées d’Europe)) et beaucoup plus de moyens que les autres pour le lycée. Nous faisons les choses à l’envers.
Contenu du programme du RN
« Pour redonner au collège une place centrale dans la réussite des élèves, le diplôme national du brevet deviendra donc un examen d’orientation post-3e : en fonction des résultats de l’élève et de ses bulletins scolaires, celui-ci sera orienté vers l’enseignement général et technologique, vers l’enseignement professionnel ou vers l’enseignement des métiers par l’apprentissage ».
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Le brevet des collèges deviendrait ainsi un examen de passage en lycée (idée reprise par G Attal).
La proposition de loi déposée le 11 juillet 2025 par le RN[3] prévoit de scolariser les élèves des « quartiers en difficulté ou en milieu rural » dans des collèges différents dotés de larges marges de manœuvre pour le recrutement des enseignants et les programmes dispensés . Il s’agit d’autoriser « la création d’établissement d’un type nouveau, disposant de très larges champs d’autonomie et de responsabilité. Des établissements de ce type se sont développés depuis plusieurs décennies en Suède, au Royaume-Uni et aux États-Unis, sous l’appellation générale de « charter schools ». Souvent implantés dans des quartiers en difficulté ou en milieu rural, ces établissements renouvellent profondément l’offre scolaire et obtiennent de meilleurs résultats que les établissements publics « classiques ». C’est l’annonce d’une scolarité séparée pour les enfants des milieux populaires et d’un retour à une orientation précoce et par l’échec des élèves en difficulté vers l’apprentissage et la voie professionnelle. Avec le rassemblement national, il y aura deux sortes de collèges et les enfants des pauvres resteront à leur place ! Mais, et c'est toute la question, comment défendre un collège unique resté, sous la pression des milieux favorisés, un petit lycée qui ne s'est pas organisé pour tous les enfants mais qui n'est actuellement que le lieu du tri, de la sélection et de l'échec pour une grande partie des enfants des milieux populaires?
Contenu du programme du RN
« - Port d’un uniforme à l’école primaire et au collège »/
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Des élèves en uniforme pour tenter de masquer les inégalités ! Cette idée a également été reprise par une partie de la droite et G Attal.
Contenu du programme du RN
« - Dans le cadre de la réforme constitutionnelle, toute forme de « discrimination positive » en vigueur dans l’enseignement secondaire et supérieur sera supprimée ».
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C’est ici l’annonce de la disparition de l’éducation prioritaire. Pourquoi ne pas le dire franchement ?
Contenu du programme du RN
« - Sanction de l’absence d’assiduité et des comportements antiscolaires : retour aux principes de la loi Ciotti (2010), qui prévoit la suspension des allocations familiales et des bourses scolaires en cas d’absentéisme avéré et de perturbations graves et répétées au sein des établissements scolaires ».
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Aucune mesure ne permet aujourd'hui d'évaluer le lien entre la suspension des allocations et l'évolution du taux d'absentéisme. La loi Ciotti qui a été évaluée en 2013 n’a pas été efficace.
Contenu du programme du RN
« Afin de replacer la France dans la moyenne de l’OCDE, les salaires des enseignants du primaire au lycée seront revalorisés de 3 % par an pendant 5 ans, soit une augmentation de plus de 15 % sur le quinquennat ».
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Tout le monde connaît maintenant la situation désastreuse des salaires des enseignants. La revalorisation, timidement amorcée depuis deux ans, doit évidemment être amplifiée.
Contenu du programme du RN
« - Refondation du recrutement des professeurs. Suppression des Instituts nationaux supérieurs du professorat et de l’éducation créés en 2019, inefficaces et contribuant à diffuser une idéologie délétère dans l’institution scolaire. Les futurs enseignants, titulaires d’un Master 2, se présenteront au CAPES et à l’agrégation. Une fois admis, ils seront alors directement formés par des pairs expérimentés dûment rémunérés en contrepartie, au sein des établissements scolaires ».
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Cette mesure signifierait formation « sur le tas » et donc disparition d’une formation des enseignants digne de ce nom. Curieuse « refondation » qui supprimerait la formation professionnelle des enseignants, déjà anéantie de 2009 à 2012. On le voit ici, s’agissant tout particulièrement de l’école, la porosité entre une certaine droite et l’extrême droite n’est pas une vue de l’esprit.
Mais une proposition de loi déposée le 11 juillet 2025 par le RN[4] ne dit pas la même chose. Recrutés à bac +4 et formés cette fois dans des « écoles académiques de formation professionnelle », les lauréats des concours de recrutement des enseignants « y reçoivent une formation professionnelle assurée par des personnels en exercice issus des premier et second degrés de l’enseignement public et par des personnels d’encadrement ». Les universitaires ne feraient plus partie des formateurs.
CONCLUSION
Au total, sur l’école comme sur d’autres sujets, les milieux populaires n’ont rien de bon à attendre du RN, bien au contraire. On le voit dans son programme, dans ses propositions de lois, et aussi dans ce qui n’est pas encore dit explicitement. Par exemple, il n’y a rien dans le programme sur la mixité sociale ou sur l’école privée fortement soutenue par le RN. Le séparatisme scolaire et social dans le privé comme dans le public n’est pas un sujet pour le RN. Mais si on lit la circulaire de rentrée 2025 du ministère de l’éducation nationale et si on écoute la conférence de presse de rentrée de la ministre du mercredi 27 août dernier où pas un mot n’a été écrit ou prononcé sur le sujet, on ne peut que constater que la mixité sociale a également disparu des radars ministériels. Enfin, ce que le RN annonce pour le collège conduit sans le dire à une orientation précoce des enfants des milieux modestes comme c’était le cas avant le collège unique. Le verbe « restaurer » est largement utilisé dans le programme du RN et ce n’est pas un hasard.
Jean-Paul DELAHAYE
[1] Voir notre livre L’école n’est pas faite pour les pauvres, Le Bord de l’Eau, 2022.
[2] Il ne s’agit ici que de quelques exemples. Pour le programme complet voir projet-l-ecole.pdf (rassemblementnational.fr)
[3] Proposition de loi, n° 1714 rectifié - 17e législature - Assemblée nationale
[4] Proposition de loi, n° 1715 - 17e législature - Assemblée nationale